Dans les années 1980, des millions de destinataires dans le monde recevaient gratuitement, dans leur langue, le magazine Plain Truth, en français La Pure Vérité: l’édition anglaise avait commencé à paraître en 1934. Ce magazine était publié par l’Eglise universelle de Dieu (Worldwide Church of God), un mouvement religieux fondé par Herbert W. Armstrong (1892-1986). Il diffusait également son message par le truchement d’émissions radiophoniques et télévisées.

L’Eglise universelle de Dieu telle que l’avait édifée Armstrong

En 1933, H.W. Armstrong s’était lancé dans un ministère religieux radiophonique indépendant, appelé Radio Church of God (qui fut également, dans un premier temps, le nom de son organisation). Dans les années 1940, les émissions prirent le nom de The World Tomorrow, en accord avec la tonalité millénariste du message du fondateur: Armstrong n’eut en effet de cesse d’annoncer “le merveilleux monde à venir”, solution de tous les problèmes de monde présent. Dès les années 1950, des émissions diffusées sur Radio Luxembourg permirent au ministère d’Armstrong d’atteindre un public international. Ce fut en 1968 que le mouvement prit le nom d’Eglise universelle de Dieu (à ne pas confondre avec un groupe brésilien sans relation avec celle-ci, l’Eglise universelle du Royaume de Dieu).

Attachée à l’infaillibilité de la Bible et refusant la théorie de l’évolution, l’Eglise universelle de Dieu (ci-après: EUD) se signalait par plusieurs doctrines particulières. Elle rejetait la croyance à la Trinité: le Père et le Fils formaient la famille de Dieu, tandis que le Saint-Esprit était la puissance de Dieu, partagée par le Père et le Fils. A l’instar de quelques autres communautés chrétiennes, elle respectait le sabbat (samedi) comme jour de culte et de repos (Armstrong affirmait aussi que la résurrection du Christ n’avait pas eu lieu le dimanche, mais le samedi). Elle y ajoutait le respect des sept grandes fêtes de l’Ancien Testament (en contraste avec les “jours fériés païens” de la chrétienté), qui étaient l’occasion de rassemblement de fidèles dans des lieux spécialement choisis. Ses membres devaient aussi suivre des interdits alimentaires de l’Ancien Testament. Elle adhérait aux théories du British Israelism, c’est-à-dire la croyance selon laquelle les peuples anglo-saxons seraient les descendants des “tribus perdues” d’Israël (non revenues de l’exil babylonien); plus exactement, les Anglo-Saxons descendraient des tribus d’Ephraïm et de Manassé, tandis que les autres peuples occidentaux auraient pour lointains ancêtres d’autres tribus: ainsi, “les Français sont des Israélites. Leurs ancêtres sont, avant tout, les Gaulois, qui étaient les descendants des Rubénites.” (Dibar Apartian, Les Pays de langue française selon la Prophétie, Worldwide Church of God, 1982, p. 68)

Il faut y ajouter la conviction que H.W. Armstrong n’était pas simplement un prédicateur comme les autres, mais l’apôtre de Dieu pour l’époque contemporaine. L’EUD occupait ainsi, aux yeux de ses fidèles, un rôle spécial dans le plan de Dieu pour les temps de la fin. Le véritable Evangile de Jésus-Christ avait été supprimé dès le Ier siècle de notre ère, soutenait Armstrong, et l’EUD venait rien moins que rétablir l’Eglise de Dieu du Nouveau Testament (H.W. Armstrong, L’incroyable potentialité de l’homme, New York, Everest House, 1980). L’EUD représentait ainsi la vraie Eglise, tandis que la fausse prêche “un Evangile contrefait”.

Après Armstrong: une réorientation radicale et rapide

A son apogée, deux ans après le décès d’Armstrong, l’EUD comptait près de 130.000 membres dans le monde, très engagés au service de leur cause, payant une triple dîme pour la soutenir. Mais l’EUD a connu d’importantes transformations après la mort de son fondateur à un âge avancé. Sous la direction du successeur d’Armstrong, Joseph W. Tkach Sr. (1927-1995), qui n’était pas une figure de premier plan dans le mouvement et fut par la suite fortement influencé par son fils (Joseph Tkach Jr., né en 1951), l’EUD a connu en quelques années une réorientation doctrinale radicale: elle a officiellement renoncé aux enseignements prêchés durant des décennies par Armstrong, sur lesquels le mouvement avait été construit, et a abandonné toutes ses doctrines et pratiques particulières pour adhérer aux croyances et pratiques communes des milieux évangéliques.

Un an seulement après le décès de celui qui était considéré comme l’autorité suprême du mouvement, ses livres commencèrent à ne plus être disponibles, sous prétexte de révisions mineures en cours. Dès 1988, toute référence aux doctrines du British Israelism disparut des enseignements de l’EUD. En 1994-1995, la croyance à la Trinité, rejetée quelques années plus tôt, était devenue la doctrine officielle de l’EUD. La critique de la doctrine de l’évolution fut également abandonnée (“nous savons que seul Dieu a créé la vie, et que le Créateur ne nous a pas révélé exactement comment il l’avait fait”). Alors que Armstrong prétendait que “le commandement relatif au sabbat est le seul d’entre les Dix Commandements qui serve à identifier les vrais chrétiens” (H.W. Armstrong, Quel est le jour du Sabbat chrétien?, Worldwide Church of God, 1983, p. 52), les membres apprirent soudain en 1995 que cette marque distinctive des authentiques croyants devait simplement être considéré comme une “tradition” de l’EUD.

Alors que ses doctrines étaient considérées par ceux-ci comme hérétiques, le retournement fut si profond que, dès 1997, l’EUD fut admise au sein de la National Association of Evangelicals aux Etats-Unis. Ses branches locales peuvent conserver la pratique du sabbat si elles le souhaitent, mais un nombre difficile à déterminer est passé au dimanche, avec l’encouragement de la nouvelle direction.

En 2009, l’EUD a complètement achevé sa mue en changeant de nom: elle se nomme aujourd’hui Grace Communion International, en français Communion internationale dans la grâce (même si le groupe conserve le nom d’origine d’EUDdans certains pays, par exemple en Europe, ou utilise conjointement les deux dénominations). En dehors de ses origines, c’est donc aujourd’hui en bonne partie une autre Eglise.

De telles transformations ne sont pas restées sans conséquence: certains pasteurs et fidèles ont voulu maintenir les enseignements originels, ou ont quitté le mouvement à différentes étapes de ses transformations. Par rapport au nombre de ses membres, l’EUD a probablement été l’un des mouvements ayant engendré le plus grand nombre de schismes dans toute l’histoire religieuse. Si certains avaient déjà vu le jour du vivant d’Armstrong (suite à quelques revirements doctrinaux qu’il avait introduits ou à des problèmes relationnels), la plus grande partie de ces groupes issus de l’EUD sont apparus après son décès en 1986.

Connu des chercheurs travaillant sur les mouvements religieux contemporains, documenté aussi par quelques périodiques publiés au fil des ans par d’anciens membres de l’EUD pour en suivre l’évolution et la postérité, un tel phénomène méritait une étude approfondie. Depuis de longues années, un chercheur britannique, David V. Barrett, auteur de plusieurs livres sur les mouvements religieux non conventionnels, s’intéresse à l’évolution de l’EUD. Il a maintenant synthétisé les résultats de ses observations et contact avec de nombreux acteurs de la mouvance de l’EUD dans un livre en anglais, qui porte le titre adéquat de “fragmentation d’une secte” (The Fragmentation of a Sect: Schism in the Worldwide Church of God, New York, Oxford University Press, 2013). Ce livre retiendra avant tout l’attention des spécialistes et de ceux qui ont appartenu à l’EUD. Nous tenterons ici de résumer quelques informations et analyses tirés de cet ouvrage, tout en évitant si possible le vertige dans lequel cette prolifération schismatique pourrait plonger le lecteur novice.

Un foisonnement de dissidences

Quand Barrett a commencé en 1996, à s’intéresser aux groupes issus de l’EUD, il y en avait 75 environ. En juillet 1999, 237 étaient recensés. En avril 2001, plus de 300. Et au début de l’automne 2009, probablement plus de 400. L’augmentation du nombre de groupes ralentit, pour d’évidentes raisons, mais elle pourrait se poursuivre encore durant quelques années, en raison de schismes survenant au sein des schismes déjà existants. Rares ont été les fusions entre groupes, relève Barrett. Mais certains groupes s’éteindront lors de la mort de leur fondateur, tandis que d’autres sont de taille trop modeste pour être viables, à l’image d’un groupe de 12 membres qui venait de se diviser en deux au moment où Barrett achevait son travail (p. 253).

Comme nous l’avons signalé plus haut, une première vague de schismes se produisit du vivant d’Armstrong, en particulier dans les années 1970: il y en aurait eu 34 au total à cette époque (p. 63). De premières séparations, qui amenèrent probablement le départ de 2.000 fidèles, eurent pour cause des prophéties non réalisées entre 1972 et 1975. Quelques pasteurs conservateurs abandonnèrent l’EUD en 1975, lorsque Armstrong accepta le changement de la célébration de la Pentecôte du lundi au dimanche ainsi que le remariage de divorcés, qui avait été strictement prohibé jusqu’alors. L’un des groupes les plus connus est appeléChurch of God, the Eternal, fondé par Raymond C. Cole (+ 2001).

A la fin des années 1970, la rupture entre H.W. Armstrong et son fils, Garner Ted Armstrong (1930-2003) fut causée par plusieurs facteurs (problèmes personnels relatifs à des relations sexuelles illicites et orientations doctrinales relativement plus libérales du fils Armstrong). G.T. Armstrong fonda la Church of God International (CGI), qu’il dut quitter une dizaine d’années plus tard à la suite de la diffusion de vidéos compromettantes de rencontres avec une masseuse, pour constituer alors l’Intercontinental Church of God (ICG), qu’il dirigea jusqu’à sa mort et que conduisent des membres de sa famille, avec 1.000 à 2.000 membres. Elle déclare rejeter les approches autoritaires de l’EUD, mais cela ne l’a pas empêché de connaître également un schisme après la mort du fondateur sur la question de l’autorité dans l’Eglise: les dissidents appelèrent leur groupe Church of God Worldwide Ministries, qui a connu à son tour deux schismes, la Church of God Ministries International (2005) et la Church of God New World Ministries (2006).

Les révisions doctrinales entamées très rapidement après la disparition de H.W. Armstrong en 1986 furent cependant la principale cause de division. De premières défections se produisirent en 1989 et 1992-1993. Puis un sermon de J.W. Tkach en décembre 1994, confirmant et élargissant les transformations, entraîna une multiplication des défections et dissidences. Et pas seulement cela: il conduisit aussi à une chute brutale des rentrées financières de l’EUD, Tkach ayant déclaré que la dîme devait désormais être considérée comme une action volontaire, et non une condition du salut.

En peu d’années, l’EUD a ainsi complètement abandonné les doctrines de son fondateur. Un tel virage est peu commun, surtout quand on se souvient du statut attribué à Armstrong. Douze ans après la mort de ce dernier, un des principaux membres de l’EUD n’hésitait pas à affirmer que tous les enseignements d’Armstrong étaient faux, et allait jusqu’à le qualifier lui-même (certes devant des auditeurs extérieurs au mouvement) de “faux prophète” et d'”hérétique” (p. 97). On comprend que les Tkach aient ensuite été accusés par d’anciens membres de s’être livrés à un “détournement d’Eglise” et de l’avoir radicalement transformée plutôt que de la quitter par suite du changement de leurs convictions personnelles (p. 96).

Aujourd’hui, sans avoir de chiffre exact, le nombre de fidèles de Grace Communion International, qui a succédé à l’EUD sous la direction de Tkach Jr., compte moins de 50.000 membres: certains site du groupe lui-même indiquent un chiffre de 42.0000 fidèles. Il resterait donc un tiers environ des effectifs initiaux; il est bien sûr possible qu’une partie des membres actuels aient rejoint le mouvement après son tournant doctrinal. Quoi qu’il en soit, il ne semble pas inexact que l’EUD a perdu environ les deux tiers de ses membres à la suite de ses réorientations.

Les dissidences ne sont pas toutes des groupes missionnaires: certains croient que “l’Œuvre” s’est terminée avec la mort d’Armstrong et qu’il suffit de veiller aux besoins spirituels des membres existants — tout en essayant le cas échéant de convaincre des personnes appartenant à d’autres groupes de la mouvance de l’EUD (p. 108). Dans certains cas, les positions à cet égard ont évolué au fil des ans (ce qui rappelle d’ailleurs des débats au sein de courants adventistes au milieu du XIXe siècle).

Barrett est aussi attentif au sérieux problème que rencontrèrent ces groupes pour utiliser et republier les livres d’Armstrong: ceux-ci avaient été retirés de la circulation par la nouvelle direction de l’EUD, mais cette dernière en détenait toujours le copyright (pp. 110-111). Cela conduisit plusieurs groupes à produire une littérature qui réécrivait sous une forme un peu différente le message contenu dans les livres du fondateur. En 2003, à la suite d’un procès suivant la réédition non autorisée d’un livre d’Armstrong, la Philadelphia Church of God aboutit à un accord avec la direction de l’EUD et racheta le copyright de 19 ouvrages d’Armstrong (pp. 114-115).

Dans les années 1990, des cercles attachés au maintien de l’héritage armstrongite tentèrent de persévérer au sein de l’EUD plutôt que de la quitter, en créant la Worldwide Church of God Restored (WCGR). Ils acceptèrent même Tkach Jr. comme pasteur général, en demandant à être autorisés à poursuivre dans leur ligne propre, mais furent exclus en 1999 et fondèrent la Church of God Restored, avec quelque 850 membres en 2011 (pp. 100-101). Il resterait encore, au sein de Grace Communion International, de petits cercles attachés aux anciennes orientations, sous le nom de Climb the Wall.

Fondée en 1989 par Gerald Flurry (né en 1935), la Philadelphia Church of God(PCG), qui compterait quelque 4.000 fidèles (tendance à la baisse), est considéré par Barrett comme le groupe sur la ligne dure la plus conservatrice (p. 113), ce qui n’empêche pas Flurry — auquel est attribué un rôle spécial, comme à Armstrong — et d’autres auteurs d’élaborer leurs propres spéculations prophétiques: cela lui vaut d’être accusée par d’autres groupes de dénaturer les enseignements d’Armstrong. La Philadelphia Church of God a connu ses propres schismes, contribuant ainsi à la prolifération de groupes dans le sillage de l’EUD, même s’ils sont chacun de taille nettement plus modestes, et si certains ont déjà disparu; parmi ceux qui se trouvent encore en activité, l’on peut mentionner la Church of God’s Faithful (CGF) et l’Elect Church of God.

En décembre 1992, le plus important des évangélistes de l’EUD du temps d’Armstrong, Roderick C. Meredith (né en 1930), fut congédié par l’organisation en raison de son refus d’enseigner la doctrine de la Trinité: il lança la Global Church of God. Mais il permit le contrôle de celle-ci et la quitta donc en 1998, avec la majorité des membres, pour établir la Living Church of God, dont les effectifs se situeraient entre 7.000 et 8.000 fidèles. Quant à la Global Church of God, elle a poursuivi son existence sans Meredith, mais, à la suite d’une faillite, le milliers de membres restants constitua la Church of God, a Christian Fellowship (CGCF), qui fusionna en 2001 avec la United Church of God, sauf trois petits groupes reliés entre eux, qui utilisèrent soit les anciens noms de Global Church of God (Royaume-Uni) et de CGCF (Canada), soit celui de Church of the Eternal God (Etats-Unis). Egalement une dissidence issue de la Global Church of God, la Restored Church of God vit le jour en 1999, sous la direction de David C. Pack (né en 1948): elle se considère comme l’unique Eglise maintenant intégralement les enseignements d’Armstrong et rassemblerait moins d’un millier de membres. Autre séparation de l’année 1999: la Church of God Fellowship. En 2000, l’Eternal Church of God, groupe de taille modeste.

Le plus important des groupes issus de l’ancienne EUD est la United Church of God(UCG), apparue au début de l’année 1995, peu après le sermon controversé de Tkach en décembre 1994. Ceux qui s’y rallièrent “tendaient à être les adhérents les plus modérés aux enseignements d’Armstrong, ceux qui admettaient que l’autoritarisme de l’ancienne EUD avait été nuisible” et que Armstrong pouvait ne pas toujours avoir eu entièrement raison dans ce qu’il enseignait (p. 127). Le mouvement prône donc un modèle moins centralisé que celui qu’avait mis en place Armstrong. Avec peut-être plus de 20.000 membres aujourd’hui, c’était à la fin des années 2000 le schisme de l’EUD le plus important, mais des tensions internes entraînèrent une séparation en 2010 et la réduisirent à 12.000 membres, tandis que les dissidents fondèrent la Church of God, a Worldwide Association.

Ses positions médianes et les incertitudes sur l’autorité dans l’Eglise ne pouvaient cependant manquer d’être propices également à de nouvelles séparations. Réduit à un moindre rôle, son premier président, David Hulme, quitta la United Church of God en 1998 et organisa la Church of God, an International Community (COGaic). Les effectifs de celle-ci semblent tourner depuis une dizaine d’années autour de 2.500 membres.

Mais ce n’est pas fini: à côté de ces “grands” schismes et de leurs propres scissions, Barrett présente une série de groupes ayant eu d’autres points de départ, mais ayant tous en commun de s’être séparé de l’EUD, avec des variations plus ou moins importantes par rapport aux enseignements d’Armstrong. Pour en citer simplement quelques-uns encore existants, sans entrer dans les détails: les Christian Churches of God (Australie, 1994), la Church of the Great God (1992) ou la Sabbath Church of God, que sa dispersion conduit à exister avant tout à travers Internet, en dehors d’un modeste rassemblement pour la Fête des Tabernacles.

Et il ne faut pas oublier les croyants qui ont quitté l’EUD sans rejoindre l’un des groupes existants: selon certaines estimations, sur les 130.000 fidèles à l’apogée de l’EUD, ceux qui ont coupé tout lien avec Grace Communion International ou l’un des multiples groupes issus de l’EUD et de ses schismes pourraient être jusqu’à 20.000, sans qu’il soit cependant possible de proposer une évaluation précise, la marge d’erreur étant ici de plusieurs milliers (p. 147).

Ce tour d’horizon incomplet suffit à donner au lecteur un sentiment de saturation: d’autant plus qu’il n’est pas simple de s’y retrouver dans ce dédale de groupes, pour certains de taille très modeste, et aux noms souvent voisins. Cela illustre le caractère prolifique de l’EUD à travers ses schismes et ramifications, d’autant plus étonnant si l’on considère sa taille de départ.

Pourquoi ces schismes?

Après avoir raconté l’histoire, dans laquelle le lecteur se perd parfois, Barrett consacre une partie de son livre à l’analyse du phénomène. Nous nous bornerons à en résumer quelques éléments.

Barrett s’intéresse notamment à la question de l’autorité dans l’EUD et dans ses schismes. D’abord l’autorité d’Armstrong, reposant sur la perception qu’il rétablissait des vérités perdues du christianisme originel et, apôtre du temps de la fin, annonçait le prochain avènement du gouvernement de Dieu sur terre; les publications de l’EUD ne cessaient de mettre en valeur la personne d’Armstrong (ses écrits, ses voyages et ses rencontres avec des personnalités internationales), ce qui inspirait aux fidèles un profond respect pour sa personne — et celle de son fils, jusqu’à la rupture entre celui-ci et l’EUD (sinon, il aurait été le successeur naturel). Pour certains fidèles, c’était vraiment dans la personne d’Armstrong que résidait l’autorité; d’autres insistaient sur le fait que celle-ci était liée à sa prédication fidèle des doctrines données par Dieu: des schismes du vivant d’Armstrong, comme celui de la Church of God, the Eternal, soutinrent donc qu’il avait modifié de sa propre autorité les doctrines divines (pp. 152-154).

Joseph Tkach avait été nommé par Armstrong comme successeur tout à la fin de la vie du fondateur de l’EUD. Relativement peu connu, il ne jouissait pas de l’autorité charismatique d’Armstrong: c’était la nomination par ce dernier qui l’investissait de l’autorité. Paradoxalement, tout en développant une critique de l’autoritarisme de la période Armstrong, il put utiliser les structures d’autorité centralisée du mouvement pour transformer celui-ci en profondeur; moins d’un an après avoir été placé à la tête de l’EUD, les publications de celle-ci le présentaient comme “apôtre du Christ”, à l’instar de son prédécesseur. Nombre de membres lui restèrent d’abord fidèles en raison de leur conviction que l’EUD avait été établie par Dieu et qu’il n’était donc pas possible de la quitter (pp. 155-159).

En effet, explique Barrett, quitter l’EUD pour créer d’autres groupes représentait une rupture majeure avec tout ce que les pasteurs et membres avaient enseigné et cru — ce qui rend d’autant plus remarquable la fissiparité de l’EUD. Les dirigeants de plusieurs schismes de l’EUD validèrent leur autorité à travers leur charisme personnel, mais aussi en rétablissant et en maintenant “l’ordre découlant de la construction sociale de la réalité sous Armstrong, qui avait été détruit par Tkach” (p. 159).

A travers un questionnaire diffusé en ligne, Barrett a essayé de comprendre les raisons qui ont poussé des membres à quitter l’EUD pour rejoindre d’autres groupes. Malgré les problèmes et limites d’un questionnaire portant sur un échantillon “auto-sélectionné”, les réponses recueillies (au nombre de 317) sont intéressantes. Dans l’ordre, les principales raisons qui ont causé de premiers doutes ont été le changement de la doctrine sur la Trinité et l’abandon de l’exigence du sabbat; quant aux raisons qui ont finalement décidé des membres à rompre, l’abandon du respect du sabbat vient en tête, suivi de la diminution des exigences en matière d’obéissance aux lois bibliques (p. 211).

En ce qui concerne la famille et les relations sociales de ceux qui ont choisi des groupes dissidents de l’EUD, le questionnaire révèle que seulement 7,6 % avaient toute leur famille proche dans la même Eglise, et que 46 % des personnes ayant répondu n’avaient aucun autre membre de leur famille proche dans la même Eglise. 14 % disaient avoir dans la même Eglise leurs cinq amis les plus proches, et 22 % trois ou quatre parmi leurs cinq amis les plus proches; mais 37 % ne comptaient aucun de leurs proches amis dans la même Eglise (pp. 212-214). Barrett en conclut donc que les relations familiales et sociales ne constituent pas un facteur majeur dans l’affiliation aux groupes dissidents de l’EUD; nous pourrions ajouter que cela met aussi en question la capacité de la plupart de ces groupes à durer, car, d’un point de vue sociologique, cela est notoirement difficile, à long terme (c’est-à-dire à l’échelle de plusieurs générations) pour des mouvements religieux dans lesquels les adhérents sont affiliés sur une base individuelle plus que familiale.

Beaucoup de personnes dans l’échantillon de Barrett n’ont pas simplement quitté l’EUD pour rejoindre une autre Eglise, mais ont par la suite quitté l’un des groupes dissidents pour adhérer encore à un autre. Selon les données recueillies par Barrett, les deux principaux facteurs dans ces changements successifs d’affiliation ont été le désaccord avec des doctrines et les (mauvaises) expériences avec des responsables jugés arrogants et/ou incompétents.

La lecture de l’histoire de la fragmentation de l’EUD laisse le sentiment que les changements intervenus après la mort d’Armstrong a littéralement ouvert les vannes de la dissidence et que ce phénomène, tant autour de personnes que de doctrines, est appelé à se perpétuer, jusqu’au moment où le “filon” de l’EUD et de ses schismes sera épuisé. En dehors de quelques groupes pouvant espérer un peu de stabilité et de pérennité, le paysage de ces schismes se révèle en changement constant, et il n’est pas besoin d’être prophète pour prédire que beaucoup d’entre eux auront disparu dans vingt ou trente ans, même si quelques autres nouveaux auront vu le jour.

David V. Barrett, The Fragmentation of a Sect: Schism in the Worldwide Church of God, New York, Oxford University Press, 2013 (XVIII + 284 p.).

Des bulletins d’information ont vu le jour pour permettre aux personnes intéressées, en particulier aux anciens membres de l’EUD, de se tenir à jour sur le foisonnement de groupes issus de l’EUD, d’avoir connaissance de l’apparition de nouveaux groupes et de recevoir des nouvelles sur d’anciens membres de l’EUD. L’un de ces périodiques paraît toujours et a déjà publié plus de 150 numéros: The Journal. News of the Churches of God.

Pour retrouver des numéros de La Pure Vérité ou des ouvrages de H.W. Armstrong en plusieurs langues (y compris en français), une des plus importantes archives de documents de l’EUD scannés et en est accessible à l’adresse suivante: www.herbert-armstrong.org.

source :Jean-François Mayer – Religioscope
1 Apr 2013

http://religion.info/french/articles/article_609.shtml#.UVokWhfcUhQ