Objectif: soigner l’image du mouvement pour stimuler le recrutement

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{{Le Devoir}}

{{Gaétan Pouliot 15 mai 2010 Éthique et religion}}

L’Église de scientologie prépare une offensive majeure au Canada. D’ici deux ans, cette organisation controversée compte construire d’attrayants lieux de culte à coups de millions dans les grandes villes du pays. Une opération charme sans précédent visant à recruter de plus en plus d’adeptes.

Et cela a déjà commencé à Québec. Au coeur du quartier Saint-Roch, les scientologues vous accueillent désormais dans leurs nouveaux locaux. En janvier dernier, ils étaient quelques centaines à assister à l’ouverture de l’église, la première du genre au Canada, qui a coûté six millions de dollars au groupe.

Environnement convivial et lumineux, boiseries et oeuvres d’art, rien n’a été laissé au hasard dans ce bâtiment en pierre rénové de fond en comble selon les préceptes du fondateur du mouvement, L. Ron Hubbard. Tout est fait pour attirer le passant, qui peut s’initier à la scientologie grâce à une attrayante exposition.

Ce temple, une «organisation idéale» dans le jargon scientologue, constitue le premier jalon de l’ambitieuse campagne d’expansion au Canada. D’ici la fin de 2011, l’organisation espère inaugurer sept autres églises de ce genre dans les grandes villes du pays, confirme la présidente de l’organisation au Canada, Yvette Shank. Toronto, Montréal, Vancouver, Ottawa, Edmonton, Winnipeg et Kitchener, en Ontario, sont dans leur mire. Le groupe a d’ailleurs déjà acquis de beaux immeubles, bien en vue, dans plusieurs de ces villes.

C’est Montréal qui doit accueillir la prochaine «organisation idéale». L’ancien édifice du journal La Patrie, un beau bâtiment en pierre de six étages situé au centre-ville, a été acheté par les scientologues de la métropole, qui comptent le rénover sous peu. Coût du projet: plus de dix millions de dollars, estime le porte-parole de l’Église de scientologie de Montréal, Jean Larivière.

Autre acquisition majeure de l’organisation en 2009: un terrain de 190 acres, soit plus de 140 terrains de football, près de Toronto pour y établir un centre de formation.

{{Une offensive mondiale}}

L’offensive des scientologues au Canada s’inscrit dans un programme mondial. L’objectif: soigner l’image du groupe pour stimuler le recrutement. Depuis quelques années, 16 autres temples — plus gros et plus luxueux que celui de Québec — ont ouvert leurs portes dans les grandes villes du monde, dont Washington, New York, Bruxelles et Johannesburg en Afrique du Sud.

Pour le sociologue Stephen A. Kent de l’Université de l’Alberta, cela n’est qu’une «stratégie de marketing», financièrement très risquée. «Il y a quelques années, les scientologues se sont rendu compte qu’ils avaient des problèmes de recrutement. Il n’y avait pas assez de nouveaux membres. Ils ont donc mis sur pied ce programme pour transformer les locaux de l’organisation en endroits très attirants, espérant que cela allait favoriser le recrutement», explique l’universitaire, qui a écrit de nombreux articles sur l’organisation.

Une allégation que réfute Yvette Shank. «L’Église de scientologie au Canada n’est pas en déclin», soutient-elle, avouant toutefois vouloir recruter de nouveaux adeptes et piloter l’expansion de l’organisation.

Les scientologues interrogés martèlent tous le même message: il y a de plus en plus de gens qui s’intéressent à leur «religion». Une affirmation difficile à prouver. Mme Shank reconnaît elle-même qu’il est difficile d’évaluer le nombre d’adeptes. Après réflexion, elle évalue qu’il y a entre 15 000 à 20 000 membres actifs au Canada. Un nombre artificiellement gonflé, soutient Stephen A. Kent, qui estime plutôt leur nombre à quelques milliers. En 2001, lors du dernier recensement canadien portant sur les croyances religieuses, seulement 1525 personnes se disaient scientologues.

Depuis quelques mois, le groupe est attaqué de toutes parts. Condamnation pour escroquerie en France, allégations d’avortements forcés en Australie et témoignages relatant les violences du leader de l’Église, David Miscavige, alimentent la controverse autour de l’organisation.

Au Canada, la scientologie est reconnue comme une religion, alors qu’elle a le statut d’organisation commerciale ailleurs. Elle est aussi considérée comme une secte dans certains pays.

Sa doctrine a été développée dans les années 1950 par l’auteur de science-fiction L. Ron Hubbard, mort en 1986. Ses enseignements, qui se font par des cours et des thérapies vendus à fort prix, permettraient de purifier le corps et l’esprit, ouvrant la voie à un monde sans guerre ni criminalité.

Dans la nouvelle Église de Québec, tout est en place pour offrir ces services. En plus de la grande salle de culte où mariages et baptêmes peuvent être célébrés, on y retrouve des salles équipées d’électromètre — un appareil censé mesurer les émotions des adeptes — ainsi qu’une salle d’entraînement et un sauna pour réaliser une purification à base de vitamines.

Douze heures de confession coûtent 4000 $, alors que la cure dans le sauna s’élève à 1000 $. Et cela n’est qu’un début. Pour évoluer dans l’organisation, les membres doivent débourser des sommes de plus en plus importantes pour se purifier.

Pour complètement libérer son esprit, atteindre l’étape finale dans l’Église, un adepte devra débourser au moins un demi-million de dollars, estime Jean-Paul Dubreuil, ancien scientologue.

M. Dubreuil, 68 ans, a été un membre actif de l’organisation durant six ans. Il a travaillé pour elle à Sherbrooke et ensuite à Toronto, le siège de l’Église de scientologie au Canada.

Il faisait partie de ces nombreux «bénévoles» qui se dévouent corps et âme pour faire fonctionner l’organisation. Des gens faiblement rétribués en fonction des cours et thérapies vendus dans leur église locale. À titre d’exemple, la porte-parole à temps plein de l’Église de scientologie de Québec, Karine Bélanger, reçoit de 800 à 1000 $ par mois.

«Les gens qui travaillent là sont vraiment dévoués. Ils y mettent leur coeur, toute leur énergie. Il faut être programmé, malade pratiquement, pour rester là-dedans, dans ces conditions», explique M. Dubreuil, qui estime que la scientologie est une «pseudo-religion». Au début, «j’avais vraiment l’impression de participer à l’évolution du monde. Mais à un moment donné, je me suis rendu compte que j’étais devenu une sorte de robot», se rappelle-t-il.

{{Mystérieuse structure financière}}

Un mystère entoure la structure financière de cette organisation aux ramifications internationales. Dès qu’il est question d’argent, les représentants de l’organisation au Canada sont évasifs.

Chose certaine: une partie des revenus et des contributions est envoyée à l’Église de scientologie internationale, la maison mère de l’organisation, située à Los Angeles aux États-Unis. Combien? «Ça pourrait être 10 %», répond vaguement Yvette Shank, qui explique que cet argent sert à l’achat de services et de matériels profitant à toute l’organisation.

Et qui paye la note pour l’ambitieux programme d’expansion au Canada? Le tout serait financé par les généreuses contributions des membres, se bornent à dire les scientologues.

Le professeur Kent craint pour sa part que le groupe ne mette beaucoup de pression sur ses membres pour obtenir des dons, ce que nie catégoriquement l’Église de scientologie.

Les «bénévoles» qui travaillent pour l’organisation peuvent bénéficier gratuitement des cours et des thérapies. Une solution qui peut être attrayante pour les moins fortunés voulant évoluer dans l’organisation.

Dans la ville de Québec, ils seraient passés de 30 à 100 depuis l’ouverture de «l’organisation idéale», indique la porte-parole Karine Bélanger.

Pour Jean-Paul Dubreuil, son voyage au coeur de la scientologie s’est mal terminé. Il n’a pas seulement perdu beaucoup d’argent, mais aussi sa famille. Ses trois enfants et son ex-épouse sont restés dans le groupe après son départ. «Pour eux, il est interdit de me parler», dit-il, expliquant qu’il est sur la liste noire du groupe.

Alors qu’on lui avait promis de le soutenir financièrement pour étudier la scientologie, son séjour de six mois à Toronto lui a plutôt coûté 16 000 $. Il a quitté l’Église avant de devenir dépendant de l’organisation. «Quand t’as plus rien, on te prend toi, puis on t’amène dans le système», avertit-il.

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