En 2020, l’épidémie de Covid-19 mettait en lumière la responsabilité d’une secte sud-coréenne dans la propagation du virus, nous interrogeant sur la liberté de pratique des cultes en Asie et notamment au Japon. 

Le pays compte en effet de nombreuses confréries religieuses se réclamant de divers courants bouddhistes, shintoïstes ou encore chrétiens. Peut-on pour autant les qualifier de sectes ?
Si certaines de ces organisations sont classées chez nous comme des mouvements sectaires pour certaines de leurs pratiques (déstabilisation mentale, volonté d’isoler, exigences financières, etc.) d’autres restent dans des zones grises qu’il est difficile d’analyser. Quelles sont les caractéristiques des sectes japonaises et quelle influence exercent-elles sur la vie du pays ?

​ Tour d’horizon des sectes japonaises

La fin du XIXe siècle au Japon a vu fleurir une multitude de pratiques et de groupuscules religieux. (On en compte plus de 230 000.) Issus de diverses modifications sociopolitiques et malgré la séparation officielle de l’église et de l’état, ces multiples groupes ont pris une place de plus en plus importante dans le pays.
Nommées « nouvelles religions » ou shinshūkyō (新宗教), certaines de ses sectes sont parmi les plus puissantes au monde.
Rissho kosei kai, Seicho no Ie, Kenshokai, Tenrikyo… impossible de lister la totalité de ces organisations reposant en majorité sur un même modèle. Les sectes occidentales ne sont pas en reste. Les témoins de Jéhovah ou l’église de scientologie sont bien décidés à profiter de la liberté de culte qu’offre l’archipel.
Les plus grosses, très riches, ont même créé leur propre parti politique.
Ces sectes sont également nombreuses à investir différents marchés et n’hésitent pas à se lancer dans les affaires. Profitant du flou qui entoure les lois japonaises concernant le régime fiscal des activités religieuses, elles deviennent de véritables entreprises capables de gérer opérations culturelles, magasins, universités, journaux, maisons de productions ou d’édition, etc.

Omoto Kyo (大本教)

Omoto est l’une des premières « nouvelles religions » japonaises. Elle est fondée en 1892 par une femme, Deguchi Nao, et basée sur des révélations et des pouvoirs que celle-ci aurait reçu des dieux. C’est sous la direction de sa fille Sumiko, mais surtout de son beau-fils Deguchi Onisaburo que la secte atteint plus de 2 millions d’adeptes. Après l’arrestation de ses leaders et de nombreux disciples en 1935, les locaux et temples de la secte sont détruits. Omoto est précurseur dans la manière d’utiliser les médias pour étendre son influence et gagner de nouveaux fidèles.

​Aum Shinikyo ou Aleph (オウム 真理教)

Aum Shinikyo, rendue tristement célèbre en raison des attentats qu’elle a commis sur le sol japonais, est désormais loin de la puissance d’autres sectes japonaises. Son chef, Shoko Asahara fut condamné à mort suite aux attentats aux gaz sarrasins perpétrés dans le métro de Tokyo, organisés par la secte en 1995. Cet acte terroriste causa la mort de 13 personnes et fit plusieurs milliers de blessés. Douze autres membres de la secte furent également condamnés à mort et exécutés en 2018. Aujourd’hui, la secte existe toujours, mais fait l’objet de fréquentes surveillances. On estime le nombre de ses disciples à un peu plus de 1500 personnes.

Happy Science (Kofuku no Kagaku, 幸福の科学)

Autoproclamé « Institut de recherche sur le bonheur humain », ce mouvement religieux est né dans les années 90. Fondé par Ryuho Okawa, celui-ci en est toujours le leader actuellement. Derrière de nobles intentions et une réappropriation de diverses figures religieuses telles que Jésus ou Bouddha se cache un immense business. Université dédiée, livres, conférences et même divers films retracant le parcours de Ryuho Okawa. Happy Science dispose également d’un parti politique nommé « parti de la réalisation du bonheur ».

​La Soka Gakkai et le Kōmeitō (公明党)

La Soka Gakkai se présente sur son site Internet comme un mouvement international en faveur de la paix. Son objectif serait de développer l’accès à l’éducation et à la culture afin de faciliter le rapprochement entre les peuples. Son bras armé, le Komeito est un parti politique puissant, exerçant un véritable pouvoir de décision au sein du pays.
Le bouddhisme de Nichiren, tradition religieuse dont est issue la Soka Gakkai, est un bouddhisme très patriotique, orienté vers les traditions japonaises. Cet aspect « nationaliste » peut sembler ironique, lorsque l’on sait que la Soka est l’une des organisations japonaises les plus internationales. Le groupe religieux est également propriétaire du Seikyo Shimbun, un des plus grands quotidiens nationaux. (Tiré à 6 millions d’exemplaires.)

Pourquoi les sectes sont-elles aussi présentes au Japon ?

​Cohabitation pacifique et liberté des religions

Historiquement, le Japon a toujours choisi d’incorporer les nouvelles religions venues de l’étranger de manière pacifique aux traditions existantes. Au Ve siècle, lorsque le bouddhisme est introduit au Japon depuis la Chine, il trouve aussitôt un accueil bienveillant et se retrouve même mis en avant par la première impératrice du Japon, Suiko.
Par sa constitution, le Japon choisit de protéger la liberté de culte et conserve à l’égard des différentes religions la plus grande neutralité. Une liberté qui s’étend également aux non-croyants. Encore aujourd’hui, les Japonais exercent très librement leurs pratiques religieuses, n’hésitant pas à mixer d’anciens cultes animistes, shintoïstes ou bouddhistes.
Si la constitution garantit normalement la séparation de l’État et de la religion (sur le même modèle que la laïcité française), on constate pourtant dans les faits l’influence des nouvelles religions sur la politique du pays.
Profitant de l’incroyable liberté d’action qui leur est offerte, il est inévitable de voir apparaître parmi ces religions, divers groupes mal intentionnés. Ceux-ci n’hésitent pas à abuser du dévouement ou de la peur pour extorquer de l’argent ou des faveurs sexuelles à leurs disciples.

​ Une éducation stricte

Dès le plus jeune âge, les enfants japonais sont habitués à obéir à de nombreuses règles dont dépendent l’ordre et le bon fonctionnement de leur classe, de leur ville, du pays… Une pression permanente pour agir « en respectant les consignes ». Si cette volonté de faire au mieux pour le bien du groupe comporte bien des avantages, elle peut également générer une incapacité à prendre des décisions par soi-même. Ce besoin d’être « guidé » peut alors se trouver exploité par des entités malveillantes.

Relations sociales complexes

La facilité de ces sectes à recruter des adeptes, notamment parmi les jeunes Japonais, pourrait surprendre.
On parle souvent du tatemae japonais, cette politesse de façade qu’il faut maintenir à tout prix, ne laissant jamais transparaître ses véritables pensées ou sentiments. Entre collègues, entre amis ou même parfois en famille, difficile de se laisser aller aux confidences.
La secte vient alors combler ce vide relationnel. Elle recréée une « famille » chaleureuse au sein de laquelle les jeunes Japonais livrés à eux même pourront se sentir écoutés et appréciés.

​​Recruter des étrangers

Parfois naïfs, certains étrangers ont au départ une vision très positive du Japon et de sa sécurité. Ils peuvent alors se révéler une cible intéressante pour les sectes présentes dans le pays. On trouve sur Internet de nombreux témoignages d’expatriés, étudiants ou même de simples touristes, abordés au détour d’un parc ou d’un temple. La technique reste souvent la même : une discussion amicale avec de jolies jeunes femmes ou une personne sympathique, puis une invitation à se revoir autour d’un café. Une deuxième, parfois même une troisième entrevue pour vous mettre en confiance avant de passer à l’étape suivante : vous proposer la visite d’un temple.
Les scénarios peuvent légèrement diverger, mais le but de la secte reste le même, récupérer votre adresse et vos informations personnelles.

Un internaute témoigne :
  « II m’a proposé un café à Ikebukuro pour la semaine d’après, il semblait honnête, j’ai dit oui. Une fois au lieu de rendez-vous, il n’était pas seul. Il avait un ami qui avait une voiture et il m’a dit ; « un ami s’est libéré pour faire une journée de visite dans Tokyo ! » J’étais suspicieux, mais comme je ne me sentais pas en danger j’ai continué. Une fois dans la voiture il m’a alors demandé mon adresse, soi-disant pour pouvoir venir me chercher directement chez moi la fois suivante. Pour me mettre en confiance, il m’a montré où il habitait. Je lui ai donné une fausse adresse qu’il a aussitôt vérifiée sur « streetmap » avec son téléphone portable. Manque de chance pour moi, c’était un parking. Il m’a gentiment redemandé l’adresse, expliquant que j’avais dû me tromper en la notant. J’ai donné une nouvelle fausse adresse. Cette fois l’adresse existait, mon interlocuteur l’a aussitôt transmise au chauffeur qui l’a inscrite dans un formulaire. Ensuite il m’a dit que nous allions visiter un temple traditionnel, que lui-même s’y rendait tous les jours que ça lui apportait bonheur et joie. J’ai alors eu la certitude qu’il s’agissait d’une secte. »

Une fois dans l’enceinte du temple, on demande à l’invité de donner son nom. Celui-ci sera apposé dans un registre au côté du nom de la personne qui l’a amené. Ce système de « parrainage » est très courant et fait du visiteur un membre officiel de la secte.
Bien entendu, d’autres pratiques existent, les témoins de Jéhovah viendront déposer des prospectus dans votre boite aux lettres, de même que la Kenshokai y glissera son fameux journal arborant le mont Fuji. Certaines sectes vous contactent en vous offrant des cours de langues et d’autres se proposent même comme familles d’accueil.
Les étudiants étrangers sont une cible idéale face à la gentillesse et à l’attention que leur porte ces « recruteurs ». Très loin de leur famille et de leurs amis, confrontés à la barrière de la langue, sans argent et désireux de se lier avec des personnes du pays, ils seront particulièrement touchés par leur chaleureuse approche.
Aborder des étudiants étrangers n’est d’ailleurs pas une pratique réservée aux sectes japonaises. En France, il n’est pas impossible de trouver aux abords des universités des personnes disposées à « venir au secours » de ces jeunes désemparés.

La liberté de culte semble ancrée dans la culture japonaise. Toutes les croyances se mélangent et se pratiquent librement, s’adaptant au mode de vie et aux envies de chacun. Dans sa volonté de conserver une neutralité bienveillante, l’État japonais laisse le champ libre à de nombreuses sectes, bienveillantes ou non. Qu’elles agissent par le biais de partis politiques affiliés, des médias qu’elles possèdent ou grâce à leur poids monétaire, ces nouvelles religions ne semblent pas préoccuper les pouvoirs en place aujourd’hui. Et vous, avez-vous déjà été abordé par une secte au Japon ? N’hésitez pas à partager votre experience en commentaire de cet article.

Sources :
https://kenshokai.or.jp/index.html
https://happy-science.org/
https://www.liberte-religieuse.org/japon/
https://relation-aide.com/library/le-japon-un-paradis-pour-les-sectes/
https://www.japantimes.co.jp/news/2020/03/25/national/25-years-tokyo-attack-aum-shinrikyo/
http://www.info-sectes.org/pages/sectes.htm
Japanese politics 101 : https://www.youtube.com/watch?v=vWxUMyj9YmM
Témoignages de divers Français du groupe « Le cercle des Français à Tokyo »

https://lepetitjournal.com/tokyo/sectes-japon