{{Comment réagissez-vous aux propos tenus par Emmanuelle Mignon, chef de cabinet de Nicolas Sarkozy, dans VSD ? Les sectes en France sont-elles un “non-problème” ?}}

– Je crois au contraire que les dérives sectaires sont un vrai problème. A la Miviludes (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires), nous constatons tous les jours qu’il y a en France un certain nombre d’organisations qui se livrent sur des personnes à des actions dangereuses. Cette semaine encore, nous avons reçu deux victimes de ces mouvements.
Je peux donc dire sans hésitation que le problème des sectes existe : nous le voyons de façon concrète et nous en avons les preuves.

{{Emmanuelle Mignon a également indiqué dans VSD que le gouvernement voulait “transformer” la Miviludes en “quelque chose de plus efficace et en finir avec le blabla”. Partagez-vous cette opinion sur la fonction de la Miviludes ?}}

– La Miviludes fait un travail très, très concret, en analysant les dérives sectaires. D’abord parce qu’elle observe et suit l’évolution du paysage sectaire. Ensuite parce qu’elle en rend compte : au Premier ministre, mais surtout au public. Elle l’informe sur les dangers auquel il est exposé, dans la formation, la santé, le bien-être, domaines où il y a un grave danger de dérives sectaires.
La Miviludes fait son travail de façon très rigoureuse, et c’est une critique imméritée pour nous que de dire qu’elle n’est pas efficace ni active. Nous avons mis à disposition du public dernièrement un guide sur le satanisme, un autre sur le risque sectaire dans les entreprises, qui a été salué dans ces milieux. Nous concevons ces rapports et ces guides dans une optique très concrète, d’un usage facile, pour informer le citoyen sur les risques auxquels il est exposé.
Evidemment, on peut toujours faire mieux. Mais pour l’ensemble des collègues et des membres de la Miviludes qui planchent sur ces rapports, je trouve que cette critique n’est pas du tout méritée.
La Miviludes, attachée au Premier ministre depuis sa création en 2002 a remplacé la Mission interministérielle pour la lutte contre les sectes (MILS), créée en 1998. Ces deux organismes répondent et ont toujours répondu à un besoin. Le Premier ministre et l’Assemblée nationale, tous courants confondus, les ont toujours soutenu et accompagné ces organismes, en veillant à ce que le travail soit bien fait et les libertés publiques respectées.

{{Quels sont les critères mis en avant en France pour définir les sectes ? Est-ce une bonne chose de s’aligner sur d’autres pays d’Europe en la matière, dont certains reconnaissent la Scientologie comme une religion ?}}

– Dans le domaine de la lutte contre les dérives sectaires, la France est au contraire plutôt en avance par rapport aux autres pays. Nous sommes aujourd’hui bien au point dans l’analyse et la connaissance de ces mouvements, nous avons défini une batterie de critères qui permettent de dire quand nous sommes en présence d’une secte, comme l’emprise mentale, les exigences financières exorbitantes, les violences, le discours radical, la rupture avec l’environnement familial. La plupart des pays d’Europe s’appuient au contraire sur la méthode française.
Sur le problème plus particulier de la Scientologie, il faut faire attention, car c’est un mouvement qui est passé maître dans l’art de communiquer. Les Scientologues se targuent d’être reconnus comme religion dans beaucoup de pays, comme l’Espagne par exemple. Ce que le mouvement ne précise pas, c’est qu’en Espagne, la reconnaissance des religions repose sur un régime déclaratif. Chaque mouvement peut là-bas s’autoproclamer religion. En France, si n’importe qui peut faire de même, cela ne sera pas reconnu comme religion.
Nous avons la loi de 1905 sur la séparation des Eglises et de l’Etat, au terme de laquelle l’Etat garantit la liberté totale de conscience et de culte. Mais l’Etat français ne définit pas la religion. Il y a ainsi en France beaucoup de mouvements qui, parce qu’ils ont un lieu de culte, des rituels, se sont rassemblés en associations cultuelles. Ce que la Scientologie aurait pu faire mais n’a pas fait.
Les mouvements sectaires sont très habiles pour se servir de l’argument de la liberté de conscience, et pour éviter qu’on ne puisse regarder comment ils fonctionnent. Ils s’abritent derrière une pseudo-discrimination religieuse. J’y vois une volonté d’effectuer un petit business plutôt que de proposer une véritable solution spirituelle.

{{Interview de Jean-Michel Roulet par Sibylle Laurent
(réalisée le jeudi 21 février 2008)}}

Nouvel Obs

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