L’ambition la loi About-Picard de 2001 était de « fournir aux magistrats des moyens supplémentaires d’agir », comme l’expliquait à l’époque la rapporteuse du texte, la députée PS Catherine Picard – aujourd’hui présidente de l’Unadfi.
Dix ans plus tard, force est de constater que la nouvelle incrimination créée par le texte, « l’abus frauduleux de l’état de sujétion psychologique », n’a débouché que sur un nombre réduit de condamnations. Selon le ministère de la justice, 34 auraient été prononcées depuis 2001, soit moins de cinq par an en moyenne.
La directrice des affaires criminelles et des grâces concède ainsi que « l’usage de l’infraction d’abus de faiblesse sur personne en état de sujétion psychologique est encore limité ». Et ce, alors que la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) assure être saisie, chaque année, par un nombre croissant de victimes de sectes.
« Entrer dans le for intérieur des victimes est un exercice délicat »
Ce relatif insuccès de la loi était, en fait, prévisible. « Un certain nombre de magistrats rechignent à appliquer un texte qui, selon eux, met à mal la liberté de conscience », constate Me Rodolphe Bosselut, avocat spécialisé dans ce type de contentieux. C’était bien ce que redoutait, dès l’origine, le gouvernement, qui avait pour cette raison rejeté le projet de création d’un délit de « manipulation mentale ».
Les enquêteurs ont surtout du mal à démontrer, preuve à l’appui, l’emprise exercée sur les victimes. « Celle-ci se déroule dans un cercle clos, il est impossible de recourir aux constats d’huissier ou à des preuves écrites, explique Jean-Pierre Jougla, juriste spécialiste du sujet. Il ne reste que les témoignages et ils sont très difficiles à obtenir. »
Autant d’obstacles qui, là encore, étaient attendus. Procureur général de Bastia et bon connaisseur des dérives sectaires, Paul Michel précise : « Entrer dans le for intérieur des victimes est un exercice délicat. D’autant que, parfois, la victime elle-même conteste l’emprise mentale dont elle fait l’objet. »
Circulaire ministérielle
« Il est dommage que ce chef de poursuite ne s’ajoute pas aux autres, car cela nous permettrait de mieux recenser l’ensemble des dérives sectaires en France », regrette Hervé Machi, secrétaire général de la Miviludes. Autre motif de déception pour ce responsable : la possibilité, depuis 2001, de poursuivre la secte (en tant que personne morale) et de la dissoudre n’a jusqu’ici jamais été suivie d’effet.
Conscient de ces difficultés, le ministère de la justice a diffusé le mois dernier une circulaire sur le sujet. Objectif : aider les magistrats à démêler ces épineux dossiers. Le texte énumère les éléments « pertinents pour établir l’état de sujétion psychologique » : « La séparation des membres de la famille, la rupture avec l’environnement professionnel ou amical, le refus des traitements médicaux conventionnels, l’exigence de remise de fonds, l’absence d’accès aux médias… »
La chancellerie y précise ensuite les « pratiques physiques, cognitives, comportementales » permettant d’exercer la sujétion des victimes : « Les tests, les cures de purification, les régimes vitaminés, les jeûnes prolongés, les cours d’initiation répétés. »
La loi a eu une portée symbolique
Cet inventaire permettra-t-il aux magistrats de mettre plus facilement en œuvre l’arsenal pénal voté en 2001 ? En attendant, la circulaire est, sans surprise, vigoureusement attaquée par les organisations visées. L’Église de scientologie a annoncé, lundi, qu’elle avait déposé une plainte auprès du rapporteur spécial des Nations unies contre la France pour atteinte à la liberté de religion.
Selon les avocats de l’organisation, le texte pourrait même faire l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité lors de l’ouverture du procès en appel, jeudi, de la branche française de la Scientologie pour escroquerie en bande organisée.
Même peu appliquée, la loi a eu une portée symbolique. « Son grand mérite a été de reconnaître les personnes ayant été sous l’emprise mentale d’une autre comme des victimes, ce qui est fondamental pour leur reconstruction », affirme Philippe Parquet, psychiatre et expert dans ce domaine.
Source : LA CROIX 25/10/2011 par MARIE BOËTON et ESTELLE MAUSSION