Depuis le rapport de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (MIVILUDES) sur la « Santé et dérives sectaires » publié en avril 2012, les institutions se mobilisent. Après l’Académie de médecine, qui a publié un avis appelant à la prudence en mars, la commission d’enquête sur « l’influence des mouvements à caractère sectaire dans le domaine de la santé », présidé par le médecin UMP Alain Milon, vient de rendre son rapport ce mercredi matin. Sous la plume du rapporteur Jacques Mézard (RDSE) sont concentrés 6 mois de travail aux cours desquels plus de 70 auditions ont eu lieu.

Comme il est d’usage, les sénateurs ont insisté sur la distinction entre dérives thérapeutiques et dérives sectaires, tout en soulignant « la porosité » entre les deux, selon le rapporteur. « Avant de lancer cette mission, je ne m’étais pas aperçu de tout ce qui existe, notamment sur Internet. Maintenant, j’ai le vertige. Sur la toile notamment on trouve tout et n’importe quoi », témoigne Alain Milon. « La santé est utilisée comme une porte d’entrée vers une emprise sur de futurs adeptes. Des pratiques commerciales exploitent les peurs », insiste Jacques Mézard.

Les risques sont d’autant plus vifs que la médecine classique semble victime d’un certain désamour des patients. Les récents scandales sanitaires contribuent à saper son image, « les malades s’interrogent sur les pratiques de leur médecin et demandent une prise en charge plus humaine et plus personnalisée », indique Alain Milon.

41 mesures
De l’aveu des sénateurs, l’arsenal législatif est conséquent. « Il faut appliquer les mesures existantes et corriger à la marge celles qui doivent l’être », juge Jacques Mézard.

Ils suggèrent d’instaurer un contrôle rigoureux des appareils à finalité médicale ou pseudo-médicale, de la part de la direction de la concurrence. « Il existe de nombreux contrôles sur les produits pharmaceutiques, mais à côté foisonnent des produits parfois très farfelus, comme on peut en voir au salon du bien-être. S’il s’agit de pierre censée apaiser le stress, ce n’est pas grave. Mais j’ai aussi eu connaissance d’un appareil qui, utilisé tous les huit jours, permettrait de réduire les problèmes liés à la sclérose en plaques », développe Jacques Mézard.

Sur Internet, les sénateurs proposent d’améliorer la visibilité des informations officielles et de permettre aux enquêteurs de la cyberpatrouille de la gendarmerie nationale de mener des investigations sous pseudonyme, comme dans la lutte contre la pédophilie.

Médecins déviants et polémique à l’hôpital
Comme l’a suggéré le Dr Serge Blisko lors de son audition en octobre dernier, les sénateurs requièrent l’interdiction de l’usage du titre de docteur aux médecins, dentistes et pharmaciens radiés de leur Ordre, assortie d’une coordination européenne afin de faire respecter cette mesure dans les pays limitrophes.

Le rapport reste très prudent sur l’introduction des pratiques non conventionnelles à l’hôpital en définissant plusieurs garde-fous. Des groupes de détection des patients vulnérables pourraient être mis en place sur le modèle du dispositif actuel pour les victimes de violence, la Haute Autorité de santé (HAS) devrait accréditer les praticiens exerçant des pratiques non conventionnelles, et les agences régionales de santé seraient en charge d’organiser leur suivi, via les Ordres.

Les sénateurs insistent sur la nécessité d’un débat au sein de l’hôpital avant l’introduction de pratiques non conventionnelles, qui devrait être conditionnée à l’avis favorable de la commission médicale d’établissement (CME). La recommandation est inspirée de l’expérimentation en cours à l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) qui suscite les avis opposés de la directrice générale Mireille Faugère, favorable, et du président de la CME, le Pr Loïc Capron, tous deux auditionnés. « Il y a un véritable débat. Il est nécessaire de remettre de l’ordre », estime Jacques Mézard.

Des évaluations nécessaires
Les sénateurs prévoient en outre un suivi des patients par la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) et des intervenants extérieurs par les médecins chefs. Ils ont notamment estimé « qu’il y avait beaucoup à redire » sur l’introduction de la fasciathérapie à l’Institut de cancérologie de l’ouest d’Angers, de même que sur l’essai clinique réalisé sur une cinquantaine de femmes atteintes de cancer du sein. « Pour sortir de l’impasse, il faut demander des évaluations de la HAS », estime Jacques Mézard.

Enfin, la mission d’information alerte sur la nécessité d’encadrer les formations, en limitant le recours à l’intitulé « université » et en regardant de plus près le contenu des quelque 2 600 diplômes universitaires. Selon Alain Milon, le ministère de la Santé serait incapable d’en donner un recensement précis.

source :10/04/2013
Le Quotidien du Médecin
COLINE GARRÉ

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