Plus de 7000 personnes en France ont suivi depuis dix ans les stages d’Agapè-thérapie (il les appelle Agapè simplement aujourd’hui ) de
Bernard Dubois, un ancien médecin-pédiatre âgé de 58 ans, membre de la communauté d’obédience chrétienne des Béatitudes depuis 1987. Mais c’est seulement depuis août 2005, et l’installation au Puy dans les locaux du diocèse à l’invitation de l’évêque Henri Brincard, que la
fréquentation a explosé.

Plus de 1500 personnes sont venues suivre cette année des stages Agapè au Puy. Il y en a de deux sortes : des sessions pour les retraitants et des “formations” plus approfondies pour ceux qui veulent devenir accompagnants spirituels. Ces stages d’une durée de trois à
sept jours se déroulent dans les bâtiments du Grand Séminaire en vieille ville du Puy. Les prix oscillent en fonction du type de retraite, de 250 euros les 3 jours à 530 euros pour le plus gros contingent, celui des retraitants en session de 7 jours. Le succès est considérable et, d’après Bernard Dubois dont l’association Anne-Peguy Agapè dont il est salarié reverse une partie fixe (un prix de journée) au Grand Séminaire, cela aurait permis à la structure diocésaine gérée sous forme associative, de
retrouver un équilibre financier depuis 2007- 2008. En grande partie depuis l’arrivée des sessions Agapè au Puy.

{{GÉRER LES REMONTÉES…}}

C’est quoi l’Agapè ou Agapè-thérapie qui attire autant de gens dans le sanctuaire marial depuis six ans ? « C’est une retraite dont le but principal est de goûter et de rencontrer l’amour de Dieu » explique Bernard Dubois.
Expérimenter que Dieu est amour, c’est ça la vraie guérison, découvrir que Dieu nous aime. Je ne suis pas thérapeute, je suis dans une démarche spirituelle, c’est de cela dont les gens ont soif ». Mais Bernard Dubois qui est un des « promoteurs en France » de l’Agapèthérapie
comme le dit Georges Fenech, le responsable de la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires
(lire par ailleurs l’entretien qu’il nous a accordé), malgré le glissement sémantique assez habile qu’il opère depuis son arrivée au Puy, est un homme très critiqué depuis des années (les articles de presse sont légion).
C’est, contrairement à ce qu’il affirme aujourd’hui, sur cette confusion entre l’homme de médecine, « psychothérapeuteautoproclamé » comme l’a écrit à la fin du mois de novembre l’Agence France-Presse, et l’homme de foi que les critiques se focalisent.
Ses contradicteurs et les gens qui se déclarent victimes de ces stages, lui reprochent de mélanger psychologie et spirituel, de faire revisiter
aux retraitants leur prime enfance pour y rechercher des blessures de vie qui amènent souvent à reprocher, après les sessions, à son père, sa mère, voire ses ancêtres les maux d’un parcours de vie. Et les témoignages de gens qui se disent victimes d’emprise mentale, de déstructuration psychologique et de ruptures familiales après ces stages se multiplient.

{{MANIPULATIONS MENTALES ?}}

{{Le Centre Contre les Manipulations Mentales (CCMM)}} recense inlassablement ce genre de témoignages depuis des années. Il aurait fourni à la Miviludes (mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires) un nombre conséquent de témoignages
et des dizaines de dossiers directs seraient instruits par le CCMM.
« Bernard Dubois m’a bidouillé mes émotions » dit par exemple
Myriam Michelena qui a passé plusieurs années dans la communauté des Béatitudes de Château-Saint-Luc à Cuq dans le Tarn où Bernard
Dubois était le berger (le responsable) de 1994 à 2000. « J’ai perdu la régulation de mes émotions, je n’arrive pas à relativiser » explique cette femme brisée qui a passé un mois à l’hôpital cet automne après sa deuxième tentative de suicide. Après être sortie de la communauté avec son mari et ses enfants, elle a porté plainte contre Bernard Dubois en 2005 pour abus de faiblesse. Mais les faits étaient trop anciens et la justice les a déclarés prescrits.
« Je crois sincèrement que Bernard Dubois est un homme bon » dit a contrario une ponote d’une quarantaine d’années qui a suivi une
session Agapè récemment, « il s’agit de reprendre sa vie, de sa conception à sa vie adulte. C’est vrai qu’il faut un accompagnement
après sinon il est difficile de gérer les choses qui remontent ».
Des choses qui remontent, c’est à cela qu’est confronté ce mari
domicilié dans le centre de la France qui a récupéré sa femme en lambeaux après plusieurs sessions Agapè au Puy. « Quand elle
est rentrée » explique t-il, « elle a commencé à poser des questions à sa famille, si elle n’avait pas eu un ancêtre qui aurait connu une
mort bizarre, pourquoi sa mère ne lui aurait pas dit qu’elle avait eu un jumeau mort dans l’utérus… Elle était déjà fragilisée par un problème
psycho-affectif et cette session l’a écartée des psychanalystes compétents qu’elle aurait dû voir. Aujourd’hui, elle a rompu les
ponts avec sa mère, elle est tout le temps ailleurs, jamais les pieds sur terre, elle se perçoit comme persécutée et elle a menacé de se
suicider. J’ai compris ce qui lui arrivait quand j’ai surfé sur internet pour voir à quoi correspondait cette session Agapè, tout s’est éclairé et je réfléchis actuellement à une plainte pour exercice illégal de la médecine
mais j’aimerais que ma femme prenne conscience de tout cela par elle-même… Je suis remonté aujourd’hui, surtout contre l’église car ma femme ne serait jamais allée suivre ce genre de déviance et de délire si cela ne s’était pas fait sous couvert de l’église ».
Chaque session Agapè est en effet annoncée depuis des années sur le site officiel de l’évêché et du diocèse du Puy. Les plaquettes de l’association Anne-Peguy Agapè mentionnent même qu’elles sont placées « sous la bienveillance et l’autorité de monseigneur Henri Brincard ».

{{RAPPORT CONFIDENTIEL EXPLOSIF}}

Rupture familiale, mal-être, anéantissement des proches qui ne comprennent pas le changement radical d’attitude à leur égard…
on pourrait remplir des pages entières avec ces souffrances. La liste s’est tellement allongée qu’une commission spéciale a été mise sur
pied par la conférence des évêques de France. Intitulé “groupe de réflexion spirituel et
psychologie”, ce groupe de travail a réuni pendant un an des Jésuites éminents, des théologiens et un psychiatre-psychanalyste sous l’autorité
de son président, l’évêque de Créteil, Michel Santier. L’Eveil a pu consulter ce “document rigoureusement confidentiel” qui a été diffusé seulement aux évêques de France au mois de novembre dernier. L’analyse de ces stages psycho-spirituels est accablante et le docteur Dubois, ses livres, les témoignages d’anciens retraitants du Puy et les écrits du livret de retraite de Notre-Dame du Puy y sont disséqués.
Lors de notre entretien, Bernard Dubois s’est défendu vertement de mélanger spirituel et psychologique dans ses stages. Pourtant, voici l’analyse de son dernier livre dans ce rapport (La Libération Intérieure, aux Presses de la Renaissance en 2010) : « ce discernement
critique rigoureux manque gravement dans le livre de Bernard Dubois et Claude Desbois » (p.32). Et les membres de la commission de pointer plusieurs manquements ou interprétations erronées dans la doctrine même de la foi.
L’auteur de la préface en prend lui aussi pour son grade : « on se demande comment le père Abbé de Kernogan a pu donner une préface à
un ouvrage tissé de telles confusions, qui ressemble plus à un plaidoyer pro domo qu’à une étude respectueuse ».

{{UN PSY ACCABLE CES SESSIONS}}

Bernard Dubois nous a dit qu’il ne se sentait pas concerné par ce document, qu’il nous mettait au défi d’y trouver la moindre citation de
ses activités ponotes. Et pourtant… Le chapitre le plus accablant contenu dans ce rapport est l’analyse d’un livret de retraite de Notre-
Dame du Puypar un psychiatre des hôpitaux, psychanalyste. La première phrase est directe :
« Les auteurs associent du spirituel à du psychologique, avec de manifestes méconnaissances de la psychologie de base, ce qui aboutit
à des interprétations erronées et des raisonnements simplistes et réducteurs ». La suite est à l’avenant et synthétise très bien plusieurs
analyses émises ici et là pour alerter sur la dangerosité potentielle de ce genre de stages : « On peut s’interroger sur le fantasme
de toute puissance des auteurs de ce texte. Les parents, imparfaits par nature, sont ici disqualifiés dans leurs fonctions parentales et
d’éducateurs (…) D’emblée, dans la définition de l’Agapè, la recherche de bouc-émissaire est annoncée. Il y a confusion entre l’événement et
le traumatisme (…) Ils utilisent le spirituel dans une fonction magique pour panser les plaies psychoaffectives qui ne seront en fait ni
nommées, ni analysées, juste suggérées au risque de les induire. Le registre émotionnel domine, sans l’aide de la pensée, puisqu’il est
recommandé plusieurs fois au retraitant de ne pas réfléchir… ce qui laisse l’autre penser,réfléchir pour soi ».

Enfin, la conclusion du médecin mandaté par la conférence des évêques est mise en exergue dans le rapport : « la démarche d’offrir des réponses toutes faites à des questions ou blessures personnelles peut apporter un soulagement dans un premier temps, car le sujet a l’illusion d’avoir trouvé la réponse à ses maux. Mais non seulement elle n’ouvre pas la voie vers un travail personnel d’élaboration de ses propres conflits psychiques mais elle risque, au contraire, d’aboutir à une fermeture personnelle, voire à des ruptures relationnelles
en rapport avec des bouc-émissaires désignés».

{{FRATERNITÉ STE-THÉRÈSE DES BÉATITUDES}}

Autre imbroglio. Le service communication du diocèse du Puy nous a expliqué que « monseigneur Brincard a accepté d’héberger Bernard Dubois au Puy en 2005 justement parce qu’il avait quitté les Béatitudes » dont les dérives ont souvent été pointées du doigt
(un procès pour pédophilie contre un ancien frère de la communauté vient de se clore à Rodez). Mais c’est un paradoxe de plus. Car
Bernard Dubois n’a jamais quitté cette communauté issue du Renouveau Charismatique ! Il a même créé au Puy, au 12 rue Saulnerie, dans une maison appartenant au diocèse, une fraternité des Béatitudes depuis son arrivée, appelée Fraternité Sainte-Thérèse ND du Puy.
Rattachée à la maison des Béatitudes de Pont- Saint-Esprit, elle comprend Bernard Dubois et son épouse Florence, une religieuse des Béatitudes et « la mère d’une soeur des Béatitudes qui a voulu rester avec nous après une session il y a six ans ». Bernard Dubois est sûr de son fait malgré le tombereau de critiques : « l’Agapè est un laboratoire dans l’église, qui a le soutien des évêques (sic) sinon j’arrête ce
soir ! S’il y a des choses à corriger, il faut nous le dire. Je pense que l’on fait plus de bien que de mal sinon j’aurais arrêté… ». Il s’abrite derrière un comité de vigilance et de surveillance pluridisciplinaire mis en place par l’évêché du Puy. Nous avons contacté un de ses membres… qui ne savait pas grand-chose des activités organisées au Grand Séminaire.

Bernard Dubois, acculé par nos questions, lâche en fin d’entretien cette froide statistique : « Dans la population française, 1,8 personne
sur 1000 risque d’avoir des problèmes psychotiques. Sur 7000 personnes accueillies depuis dix ans, on devrait donc avoir eu 14 craquages de type psy, pour l’instant j’en ai relevé quatre…».
Dans le cadre de cette enquête, Mgr Henri Brincard que nous avons sollicité à plusieurs reprises, n’a pas souhaité répondre à nos questions.
Il prépare un communiqué commun avec l’évêque de Créteil, Mgr Santier. Le diocèse du Puy, quant à lui, annonce d’ores et déjà sur son site internet la tenue de 20 sessions Agapè en 2012 au grand séminaire.

QUI EST BERNARD DUBOIS ?
Bernard Dubois, 58 ans, né à Toulon, a fait ses études de médecin-pédiatre à Paris.Aexercé ensuite pendant 3 ans les fonctions de chef de clinique avant de rejoindre la communauté des Béatitudes au Château-Saint-Luc. Il a écrit deux principaux livres :
La Guérison intérieure en 2001 (éditions Béatitudes) et la Libération intérieure en 2010 (avec Daniel Desbois aux Presses de la Renaissance qui a stoppé la commercialisation en octobre dernier). Il prépare un nouveau livre.

{{Le président de la Miviludes va saisir les autorités locales.}} Etonné et surpris.Voilà les premiers mots qu’a employé Georges Fenech, le président de la Miviludes en France (mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires) quand nous l’avons appelé au début du mois de décembre. Etonné et surpris que Bernard Dubois organise des stages « pour des centaines de personnes
apparemment » dans la ville du Puy. « Bernard Dubois est un des promoteurs de l’Agapè- thérapie en France » explique le président de la Miviludes, également député UMP du Rhône, « cela consiste à soigner à travers des méthodes non-validées, des méthodes profanes. Dans l’Agapè, il y a une confusion entre ces méthodes dont on connaît la dangerosité et le mélange avec le spirituel. Il y a une confusion entre le rôle du prêtre et celui de psychothérapeute. Ces méthodes sont dangereuses car elles peuvent engendrer une emprise mentale, elles ont d’ailleurs été dénoncées par un communiqué des Béatitudes et
elles ont été décommandées par le Vatican qui a pris conscience de la dangerosité de ces groupes de prière. Je constate aujourd’hui que Bernard Dubois qui n’appartient plus aux Béatitudes ({{notre enquête a prouvé le contraire plusieurs jours après cet entretien{{,}}ndlr),}} continue ces séances dans des locaux qui dépendent directement du diocèse duPuy, l’accueil Saint-Georges ou le grand séminaire. On ne peut que s’étonner qu’il continueses activités aujourd’hui. On n’a pas fait d’enquête mais on a un certain nombre de documents à la Miviludes. Nous allons nous y intéresser et saisir les autorités locales surtout
vu qu’il semble rencontrer un certain succès. On va saisir les autorités préfectorales de Haute-Loire, l’agence régionale de santé, le conseil de l’ordre départemental des médecins et écrire à l’évêque Henri Brincard. Car je m’étonne également de la promotion forte qui est faite de ces activités par le diocèse du Puy ».

Source : Julien BONNEFOY Page 6 – L’EVEIL – Mercredi 28 décembre 2011