Pour avoir écrit, dimanche 11 janvier, sur Facebook, se sentir “Charlie Coulibaly”, en référence à Amedy Coulibaly, l’auteur de la fusillade de Montrouge et de la prise d’otages de la porte de Vincennes, Dieudonné a été placé en garde à vue, mercredi 14 janvier, dans le cadre d’une enquête ouverte pour “apologie du terrorisme”.

Ce nouvel épisode relance le débat sur la liberté d’expression. Car, pour certains internautes, poursuivre le polémiste pour ces propos constitue une atteinte à la liberté d’expression. Sur Twitter, utilisant le hashtag “JeSuisDieudonné”, ils assurent qu’il s’agit d’une contradiction, alors que plusieurs millions de personnes ont manifesté dimanche pour défendre le droit à la caricature, revendiqué par les journalistes de Charlie Hebdo.

Parce que la liberté d’expression est strictement encadrée par la loi
La loi française n’interdit pas de se moquer d’une religion, rappelle Le Monde (article payant), mais elle défend en revanche d’appeler à la haine contre les croyants d’une religion, ou de faire l’apologie de crimes contre l’humanité.

“Dieudonné tombe clairement sous le coup de la loi avec de tels propos”, estime l’avocat Stéphane Choukroun, interrogé par Metronews. Mais il souligne que c’est aux juges de “départager la liberté d’expression et la provocation à commettre tel crime ou délit”. Dans le cas de Dieudonné, la justice l’a déjà condamné à de multiples reprises, comme en novembre 2013, mais l’a aussi parfois relaxé. Il a écopé de 28 000 euros d’amende en appel pour une vidéo parodiant la chanson Chaud cacao d’Annie Cordy en Shoah nanas, ainsi que pour avoir déclaré : “Les gros escrocs de la planète, ce sont des juifs”, dans une interview en ligne.

Pour Charlie Hebdo, ce qui est en jeu est différent. Furieuses après la publication de caricatures moquant le prophète, de nombreuses autorités musulmanes ont reproché au journal satirique de se livrer à “des blasphèmes”. Un délit qui “n’est pas dans notre droit” et “ne le sera jamais”, a rappelé Manuel Valls, à l’Assemblée nationale. Après la publication des premières caricatures du prophète, en 2006, le journal avait été poursuivi pour “injure envers un groupe de personnes en raison de sa religion”, avant d’être relaxé.

“Il faut savoir distinguer l’offense, qui relève de la liberté d’expression, et les préjudices, qui n’en relèvent pas”, explique le philosophe Ruwen Ogien, interrogé par francetv info. Les torts que l’on peut causer à des êtres abstraits (comme dieu, les anges, Mahomet…) rentrent dans la première catégorie. Selon lui, ces caricatures ne portent pas de préjudice au regard de la loi. “Charlie Hebdo pratiquait la liberté d’offenser sans jamais causer de préjudice”. Selon le philosophe, le cas Dieudonné est différent, et “relève du préjudice. (…) Il a cette intention de porter atteinte à la réputation, à l’image et aux droits d’un groupe de personnes”.

Parce que Dieudonné a une activité politique et des relations antisémites
Si, sur scène, l’humoriste peut jouer avec les thèmes qui lui tiennent à cœur et revendiquer le droit à la liberté d’expression, en dehors, il s’affiche avec des personnalités qui ne laissent pas planer de doute sur leurs opinions. Dieudonné M’Bala M’Bala a ainsi lancé récemment un parti politique avec l’essayiste d’extrême droite Alain Soral, qui a déjà été plusieurs fois condamné pour provocation à la haine et à la discrimination raciale.

Il est également proche de Robert Faurisson, un universitaire condamné à plusieurs reprises pour “contestation de crime contre l’humanité” pour avoir nié l’existence des chambres à gaz durant la seconde guerre mondiale.

Parce que Dieudonné n’a jamais cherché à se défendre d’être antisémite
Lorsqu’on l’accuse d’antisémitisme, le polémiste préfère se poser en victime du “système” auprès de ses fans et s’érige en héraut “antisystème”. Mais lorsque l’on décrypte son discours, comme Libération, apparaît “une vraie pensée antisémite”.

Pour François Jost, professeur à l’université Sorbonne Nouvelle-Paris 3 et interrogé par francetv info en janvier 2014, le polémiste brouille le message en tenant des spectacles humoristiques et des réunions publiques. “Dieudonné passe constamment d’une position à l’autre, créant la confusion. Ce qui autorise à penser que ses propos sont de l’ordre de l’incitation à la haine raciale”. Chez l’humoriste, le sujet est obsessionnel, note François Jost. “Pierre Desproges a écrit un sketch, resté célèbre, sur les juifs, mais ce n’est pas la base de toute sa carrière”, nuance-t-il.

De leur côté, les caricaturistes de Charlie Hebdo n’ont jamais cultivé une telle ambiguïté, se présentant clairement comme anticléricaux, mais aussi et surtout, opposés à toute forme de racisme ou d’antisémitisme. Ce qui n’empêche pas des dérapages, comme ce fut le cas en 2008. Un billet de Siné publié dans les colonnes de l’hebdomadaire, faisant allusion aux fiançailles de Jean Sarkozy avec l’une des héritières du groupe Darty, de confession juive, et à une possible conversion au judaïsme du fils du président de la République, a profondément bouleversé la rédaction. Ses journalistes avaient alors publié un texte pour réprouver unanimement cette chronique, et poussé à l’éviction du caricaturiste.

source : francetvinfo.fr