L’annonce de la dissolution de la Mission interministérielle contre les dérives sectaires (Miviludes) ne passe pas. Parlementaires de tous bords et associations dénoncent un renoncement face à des mouvements en pleine recrudescence.
En 2024, la principale enseigne visible aux abords du Stade de France qui accueillera les épreuves des jeux Olympiques sera celle de la Scientologie. La secte y a installé son siège, un bâtiment de 8 000 m2 qui donne sur l’autoroute du Nord, la plus
fréquentée d’Europe. « Quand nous avons cherché en 2018 à contacter la Miviludes pour qu’elle fasse la transparence sur cette acquisition, il n’y avait plus personne pour nous répondre ! », rapporte le député (PCF) de Seine-Saint-Denis, Stéphane Peu.
De fait, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires, créée en 2002 sous la tutelle de Matignon, n’a plus de président depuis un an et demi. Et désormais, l’État souhaite lui porter le coup de grâce en la fondant dans les services du ministère de l’Intérieur. Une décision dénoncée par de nombreux élus, experts et associations de défense des victimes.
« Ce qui est en train de se passer s’est fait en catimini », alerte Patrice Verchère, député LR du Rhône, qui organisait jeudi dernier une conférence de presse dans les murs de l’Assemblée, réunissant des parlementaires de tous bords. Tous étaient stupéfaits par la brutalité de l’annonce. En août 2017, Édouard Philippe rappelait encore que « les préjudices pour la société (…) justihent le maintien d’une politique interministérielle, garantie par le rattachement de la Miviludes aux services du premier ministre ». En août 2019, il avait également tenu à rassurer Stéphane Peu,
assurant que « le recrutement de la nouvelle direction de cet organisme (était) en cours »…
L’argument budgétaire ne tient pas
En réalité, une tout autre direction a été prise. La Miviludes sera désormais rattachée au ministère de l’Intérieur. « Ses moyens et ses missions seront maintenus mais ils seront davantage en synergie avec les services luttant au quotidien contre les
phénomènes de radicalisation », a expliqué la semaine dernière Laurent Nunez, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Intérieur, lors des questions d’actualité à l’Assemblée. « Une absurdité, explique une fonctionnaire de la cellule contre la
radicalisation de la préfecture de la Marne. Les mécanismes de la radicalisation et de l’emprise sectaire sont très différents. » Même désarroi chez Catherine Picard, qui a donné son nom à la loi de 2001 sur l’abus frauduleux de l’état de faiblesse : « En
faisant cela, on va annihiler vingt ans d’expertise et de travail en commun. »
Pourquoi un tel changement de pied de la part du gouvernement ? Pas pour des raisons budgétaires, en tout cas. La Miviludes coûte à l’État 500 000 euros par an, incluant les salaires de 14 fonctionnaires détachés de diiérents ministères. « L’enjeu est ailleurs », estime Georges Fenech, ex-président de la Miviludes, qui évoque, comme d’autres, un noyautage au plus haut niveau de la part d’organisations sectaires. « On se demande s’il n’y aurait pas un rapport de forces qui nous aurait
échappé. » Pour Philippe Vuilque, ancien député PS, rédacteur du rapport parlementaire « L’enfance volée, les mineurs victimes de sectes », « la perte d’autonomie de la Miviludes réjouit les organisations sectaires, trop heureuses de se
trouver sous le contrôle du ministère de l’Intérieur où siège le bureau du culte. Ce rapprochement fait leur jeu car elles y voient leur oncialisation en tant que culte ou religion ».
90 000 enfants sont victimes des sectes
Même son de cloche de la part de Grégoire Perra, embrigadé durant trente ans dans le mouvement anthroposophique, dont il combat aujourd’hui les dérives. « Les écoles
Steiner-Waldorf, l’agriculture biodynamique, les banques comme la Nef, Triodos et GLS, ou encore l’entreprise suisse qui fabrique les célèbres huiles Weleda, toutes membres de l’anthroposophie, se réjouissent de la dissolution annoncée de la Miviludes, car c’est pour elles une garantie d’impunité », observe ce « repenti ». Autre victime, Nicolas Jacquette, capté dès son enfance par les Témoins de Jéhova, avant
de réussir à échapper à cette emprise à 22 ans, apporte un témoignage poignant : « Si la Miviludes, qui a appuyé les associations qui m’ont libéré, n’avait pas existé, je serais sans doute mort à l’heure qu’il est. »
Cinq cents sectes sont aujourd’hui repérées en France et 90 000 enfants en sont victimes. En 2017, 46 % des dossiers traités par la Miviludes concernaient la santé, le
bien-être et le développement personnel, en forte augmentation. Surfant sur la même vague, on voit seurir dans toutes les universités des formations à l’hypnose, à
la naturopathie, la méditation. Alors même que le diplôme « Emprise sectaire et processus de vulnérabilité », créé en 2011 à l’université Paris-Descartes, a été supprimé. « On a ouvert les portes des hôpitaux de l’AP-HP aux thérapies
alternatives, des colloques au sein du ministère de la Santé vantent les mérites de la méditation, s’inquiète Roland Biache, secrétaire général de la Ligue des droits de l’homme. C’est une tendance très insidieuse, qu’il est vital de continuer à surveiller. Ce qui sera très incertain sans la Miviludes. »
Une délégation d’opposants à cette disparition va maintenant tenter d’obtenir un rendez-vous avec le premier ministre, pour tenter de le ramener à la raison…
source
https://www.humanite.fr/libertes-impunite-garantie-pour-les-sectes-678538

par Eugénie Barbezat