Fatima Afif avait été licenciée en décembre 2008 de cette crèche privée en raison du voile islamique qu’elle porte. L’affaire a connu de multiples rebondissements, de juridiction en juridiction.

Mercredi après-midi, la Cour de cassation a confirmé le licenciement pour faute grave de Fatima Afif, ex-salariée de la crèche Baby-Loup, qui avait refusé d’ôter son voile. C’est la cinquième fois que la justice se prononce sur cette affaire, devenue, en quatre années, emblématique du débat sur le principe de laïcité et son application dans le champ du secteur privé.

Lundi 16 juin, la plus haute juridiction française s’était réunie en assemblée plénière pour aborder ce conflit du travail. L’audience s’est déroulée devant le Premier président, Vincent Lamanda, et 18 juges représentant les six chambres de la Cour de cassation. L’avocate de Fatima Afif – qui était absente à l’audience –, Claire Waquet, a dénoncé un licenciement pour discrimination, appelant à distinguer le port d’un signe religieux du prosélytisme. Elle a ajouté que sa cliente aurait dû être licenciée pour «trouble objectif causé à l’entreprise», et non pour faute grave – un licenciement qui n’ouvre pas aux indemnités. Patrice Spinosi, avocat de la crèche, a quant à lui plaidé que «la neutralité confessionnelle est une condition essentielle de l’activité de Baby Loup», compte tenu de sa mission d’accueil auprès des enfants en bas âge.

Lors de l’audience, le procureur général Jean-Claude Marin, a préconisé de confirmer le licenciement, mais a rejetté l’appellation «d’entreprise de conviction». Il a toutefois estimé que l’obligation de neutralité confessionnelle ou politique imposée par le règlement intérieur de la crèche était légitime, au regard «de la protection du droit à la liberté de conscience des enfants accueillis». Le haut magistrat a notamment avancé que «le port du voile dans une crèche présente un risque certain de pression sur autrui».

Lorsqu’elle revient de son congé parental en décembre 2008, après cinq années d’absence, Fatima Afif porte le voile islamique au quotidien. Cette employé de l’association Baby-Loup est entrée dans l’entreprise peu après sa création, en 1991, avant d’en devenir la directrice adjointe en 1997. Avant d’être licenciée pour faute grave le 19 décembre, elle avait demandé à son employeur, Natalia Baleato, une rupture conventionnelle – refusée par la crèche. En décembre 2010, Fatima Afif attaque son ex-employeur devant le conseil de prud’hommes de Mantes-la-Jolie (Yvelines), qui confirme son licenciement. L’ancienne salariée n’en reste pas là : elle porte le dossier devant la cour d’appel de Versailles, en octobre 2011. Là encore, sa demarche est déboutée. Mais, en mars 2013, la chambre sociale de la Cour de cassation estime que son licenciement doit être annulé, car il constitue «une discrimination en raison des convictions religieuses», compte tenu du statut de «crèche privée» de l’association Baby-Loup, qui «ne gère pas un service public».

Cet arrêt – prononcé malgré la préconisation par l’avocat général de rejeter le pourvoi de l’ex-employée – suscite un flot de critiques, dont celle de Manuel Valls qui déplore «une mise en cause de la laïcité», tandis que François Hollande se montre favorable à une extension du principe de la laïcité dans les structures privées, financées à partir des deniers publics – ce qui est la cas de Baby-Loup. En France, l’obligation de neutralité est exigée par la loi de 1905 uniquement dans la fonction publique. En novembre 2013, nouveau rebondissement : la cour d’appel de Paris rend un arrêt contraire à celui de la cour de la cour de Cassation. Elle confirme le licenciement de Fatima Afif pour faute grave, en attribuant la qualification «d’entreprise de conviction» à la halte-garderie, ce qui justifie qu’elle puisse «exiger la neutralité de ses employés».

Depuis mars, la structure a choisi de déménager à Conflans-Sainte Honorine (Yvelines), suite à des tensions dans son quartier d’origine. Au départ, Baby-Loup était implantée dans le quartier populaire de la Noé, à Chanteloup-les-Vignes, l’une des communes les plus pauvres du département, et dont 75% des logements sont des logements sociaux. La crèche offrait aux parents travaillant à des horaires décalés – en priorité des mères isolées – la possibilité de faire garder leurs enfants 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, selon le souhait de sa fondatrice et directrice, Natalia Baleato, une réfugiée politique chilienne.

Pour ce qui est de la justice française, cet arrêt est la dernière décision qui puisse être rendue. Si elle souhaite poursuivre son combat, Fatima Afif devra maintenant porter l’affaire devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH).

source : CHLOÉ PILORGET-REZZOUK
http://www.liberation.fr/societe/2014/06/25/licenciement-confirme-pour-la-salariee-voilee-de-baby-loup_1050166