Un culte brésilien du nom de Santo Daime basé sur l’absorption d’un breuvage hallucinogène séduit la classe moyenne lisboète. Selon ses partisans, cette pratique éveillerait la conscience, témoigne Expresso.

Samedi, dans la banlieue de Lisbonne. Une vingtaine de fidèles du Santo Daime [Saint Don], un culte d’origine amazonienne, se réunissent chez un particulier. Il y a là des hommes et des femmes de la classe moyenne, des citadins cultivés dont l’âge varie de 20 à 50 ans. On trouve des directeurs de banque, des artistes, des ingénieurs ou encore des professionnels du yoga. Cela fait trois jours qu’ils ont suspendu efforts physiques, relations sexuelles et consommation d’alcool dans leur quotidien afin de conserver toute leur énergie et leur concentration pour les heures qui vont suivre. Au programme : prières, chants et absorption régulière de l’ayahuasca, un breuvage hallucinogène qui, disent-ils, les mène à l’extase spirituelle et à la connaissance de soi.

Le rendez-vous a été pris via SMS ou courriel. Nous sommes dans une maison des plus normales, chez un fidèle. Aujourd’hui, c’est là, la prochaine fois ils ne savent rien encore du lieu de rencontre : il n’y a pas de temple fixe. Le nombre réduit de “daimistes” et le caractère privé du culte, qui se veut discret, n’oblige pas non plus à en avoir un. De maison en maison, ils transportent la Sainte-Croix, les bougies et les hymnaires, recueils des enseignements de la religion sous forme de cantiques en l’honneur du Christ, de la Vierge Marie, du Soleil ou de la Lune. Les sessions spirituelles se prolongent durant six à douze heures. D’un côté, les hommes, vêtus de blanc, cravate bleue. De l’autre, les femmes en longue robe, arborant parfois un diadème sur la tête.

Vicente, un cinquantenaire barbu à la Hemingway qui respire la sérénité, est le “parrain” ou “commandant”. Cet ancien entrepreneur a créé voici sept ans le Jardin de São Francisco, la branche portugaise du Santo Daime. Ce culte brésilien est basé aux confins de l’Amazone et compte plus de 20 000 fidèles dans vingt pays. Daime, le saint, n’a jamais existé. Le nom de la religion a pour origine les invocations “Donne-moi la lumière, donne-moi la force, donne-moi l’amour” faites par son créateur, Raimundo Irineu. Travailleur du caoutchouc dans l’Etat d’Acre [nord du Brésil], il connut le breuvage secret grâce à un chaman péruvien et, durant les “visions” provoquées par l’ayahuasca, il reçut l’ordre de fonder, dans les années 1930, cette doctrine qui mêle christianisme, spiritualisme et umbanda [religion afro-brésilienne]. De façon simplifiée, le culte du Santo Daime consiste à communier à la boisson hallucinogène dans le cadre d’un rituel sacré. Il existe ainsi un calendrier annuel de rassemblements, de célébrations, de mariages et même de baptêmes. Au Jardin de São Francisco, le rituel débute avec les daimistes rassemblés autour d’une table, un genre d’autel simplifié où l’on trouve la Sainte-Croix, des bougies et ce que chaque fidèle souhaite y poser.

Debout ou assis, les fidèles ne doivent croiser ni leurs bras ni leurs jambes et leur colonne vertébrale doit rester droite. Ils récitent des Notre Père et des Ave Maria puis boivent l’ayahuasca. Le breuvage, marron, pâteux, amer, mêle cipo-jagube [une espèce de liane tropicale] et feuilles de chacrona [un arbuste tropical]. Cette dernière contient de la diméthyltryptamine (DMT), une substance psychotrope qui favorise l’extase, les visions, les hallucinations, les mémoires qui s’allument dans le noir, avec une profonde lucidité. La mémoire est branchée et elle enregistre. C’est la phase de l’“observation”. Pendant un “travail”, on ingère le breuvage à plusieurs reprises. La dose, contrôlée par le parrain, varie selon le poids, l’âge, le sexe et l’ancienneté du fidèle. “Nous voulons qu’il éveille la conscience et non qu’il emmène la personne au-delà de tout.” La première expérience est toujours décrite comme étant très difficile. Le corps réagit au breuvage comme s’il s’agissait d’un produit toxique puis le purge. C’est pour cette raison que l’on prétend que la personne entre dans le Daime à condition qu’elle recherche le perfectionnement spirituel. Les initiés sont soumis à une entrevue au cours de laquelle les daimistes qualifiés étudient leurs motivations et les interrogent sur leurs problèmes psychiques, leur consommation de drogue et de médicaments – les mélanges constituant un risque. “Si l’on vient ici pour le trip, on ressort déçu. Et on ne revient pas”, assure Vincent.

REPÈRE Ayahuasca

La diméthyltryptamine (DMT) est une drogue illégale. Mais sa faible concentration dans l’ayahuasca ne permet pas de classer le breuvage comme illégal. A titre d’exemple, la DMT peut favoriser la schizophrénie. Au Brésil, la consommation d’ayahuasca à des fins religieuses par des adultes, des femmes enceintes et des enfants a été officiellement autorisée en début d’année. Le lobby y est puissant et plusieurs artistes se revendiquent daimistes – à l’image de Sting. En Espagne, aux Pays-Bas, aux Etats-Unis, au Canada et au Royaume-Uni, le droit au culte du Santo Daime est également garanti suite à une décision judiciaire après plusieurs saisies d’ayahuasca et des accusations de trafic de drogue.

http://www.courrierinternational.com/article/2010/11/08/voyage-extatique-aux-confins-de-la-conscience