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En partie relancée sur les réseaux sociaux par des influenceurs comme Kim Kardashian, Victoria Beckham, ou encore les sœurs Olsen, la lithothérapie ou « crystal healing » connaît un regain d’intérêt considérable depuis quelques années. Cette pratique consistant à se soigner grâce à des pierres peut paraître totalement inoffensive. A peu près autant que l’astrologie en tout cas : si y croire vous fait du bien, tant mieux. Mais elle est aussi malheureusement utilisée par de nombreux charlatants.
Aucune preuve scientifique
Pour Christian Chopin, directeur de recherche émérite au CNRS spécialisé en minéralogie, il faut absolument s’alarmer de l’engouement qui se crée autour de ce phénomène. Ouverture des chakras, influence sur l’humeur, le stress et la condition physique… Si l’on en croit certains lithothérapeutes et personnes qui poussent cette pratique à l’extrême, les pierres seraient également capables de guérir toutes sortes de maladies. D’une simple migraine au VIH, il existerait dans la nature une pierre pour tout soigner, rendant le pouvoir des cristaux infini.
Pourtant, cette croyance ne se base sur aucun fondement scientifique et, à l’image de l’homéopathie, est considérée comme une pseudoscience (discipline présentée sous des apparences scientifiques mais qui n’en a pas la démarche). Pour Christian Chopin, cela va même au-delà, puisqu’il s’agit aussi souvent… d’une arnaque : « C’est tout simplement du charlatanisme, il n’y a aucune preuve scientifique ». Le directeur de recherche rappelle qu’à l’exception des pierres radioactives nocives pour la santé, aucun minéral ne produit spontanément de l’énergie ou prétendues vibrations. « Ça fait des décennies que les propriétés physique ou chimique des roches sont étudiées. Le contact ou la proximité d’un minéral n’a strictement aucun effet sur la santé ».
Le pouvoir de suggestion
Si certaines personnes assurent que leur état s’améliore grâce aux cristaux, il apparaît qu’il ne s’agit en fait que d’un effet placebo. C’est du moins ce qu’a démontré en 2001 une étude réalisée par Chris French, professeur en psychologie à l’Université de Goldsmith. Le chercheur a demandé à 80 personnes de remplir un questionnaire afin de jauger leur croyance aux phénomènes paranormaux. Il a ensuite fourni aux participants des cristaux de quartz ou des contrefaçons en verre et leur a demandé de méditer chaque jour avec pendant cinq minutes. Malgré les faux Quartz, les personnes ayant montré un plus fort niveau de croyance sont celles qui ont le plus ressenti les « effets bénéfiques » du prétendu cristal. « En d’autres termes, les effets rapportés sont le résultat du pouvoir de suggestion, pas du pouvoir des cristaux », en a conclu le psychologue.
Des dérives dangereuses
Le problème n’est pas la lithothérapie en soi. Comme toute croyance, elle a ses vertus – la magie commence parce qu’on y croit – et si elle permet à des personnes de se sentir mieux, tant mieux ! Il faut néanmoins être conscient des possibles dérives de cette discipline. Anne-Sophie Renouf, psychologue clinicienne, reçoit régulièrement des patients fortement impactés par cette pratique.
Selon elle, l’un des soucis majeurs intervient lorsque des personnes malades arrêtent de se soigner et d’avoir recours à la médecine traditionnelle. « On voit des personnes qui arrêtent les soins alors qu’elles ont des maladies comme le cancer qui nécessitent des traitements lourds », s’inquiète-t-elle. Dans des cas encore plus préoccupants, ce sont des enfants qui en subissent les conséquences. « Je me retrouve confrontée à des situations où des enfants ne reçoivent plus de soins et sont complètement instrumentalisés. ».
La santé mentale est aussi parfois mise en péril. « C’est au-delà de la simple névrose. Ce que je repère à chaque fois chez ces personnes [personnes portant une importance démesurée à la lithothérapie, ndlr], c’est une psychopathologie (troubles mentaux) très avérée. Elles sont capables de faire exploser leur vie familiale, de mettre en danger leur entourage et sont dans un déni profond. Elles ne se rendent pas compte qu’elles se sont engouffrées dans une croyance déviante », selon la psychologue. Les personnes convaincues par le pouvoir guérisseur des pierres font de la lithothérapie une sorte de bulle réconfortante et protectrice de laquelle il est parfois difficile de sortir.
Le danger est d’autant plus présent lorsque la guérison par les pierres est pratiquée en groupe et couplée à d’autres disciplines : il y a alors possibilité de dérive sectaire. Anne-Sophie Renouf donne l’exemple du reiki, parfois pratiqué en parallèle par les adeptes de lithothérapie. Cette technique japonaise se base, elle aussi, sur une méthode de soin non conventionnelle et est placée en France sous la surveillance de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes). « C’est dans ces formations qu’on observe des personnes qu’on assimile à des gourous et qui ont une forte emprise sur les difficultés psychologiques des gens qui viennent se former et changer de vie », précise la professionnelle.
Un marché très lucratif
La lithothérapie n’est pas nouvelle. Exercée par certaines civilisations antiques comme les Égyptiens, elle a été popularisée dans les années 70 par le courant new-age. On voit cependant une résurgence considérable ces dernières années : personnalités sur Instagram qui vantent les mérites des pierres, boutiques en lignes, livres dédiés… Un véritable marché s’est créé autour de ce concept. D’après un rapport de l’institut américain d’études géologiques, l’importation de gemmes aux États-Unis a connu une augmentation de 14 % sur l’année 2019. Christian Chopin rappelle par ailleurs qu’à l’image du quartz et de l’opale, les fragments de pierres polies que l’on trouve sur le marché sont généralement des variétés très abondantes dans la nature et peu chères à l’extraction, mais vendus à des prix considérables.
« On se retrouve confronté à un réel problème de société, assure Anne-Sophie Renouf. Que vous alliez à la Fnac, sur les aires d’autoroute ou en grande surface, une place colossale est laissée aux pierres. » Pour elle, il n’est pas question de remettre en cause la vente des cristaux mais elle considère qu’il est impératif d’arrêter de leur attribuer des pouvoirs illusoires.
L’argent dépensé dans les cristaux plonge parfois les plus convaincus dans la misère. « Certaines personnes n’hésitent pas à vider leur compte en banque. Elles dépensent des sommes faramineuses allant de quelques centaines à plusieurs milliers d’euros », décrit Anne-Sophie Renouf.
Même le monde des cosmétiques s’empare du phénomène et colporte ce message. On trouve par exemple des gloss à lèvres « infusés de véritables pierres précieuses » avec des noms assez suggestifs comme Heal yourself (guéri toi), Find Love (trouve l’amour), Stay Lucky (reste chanceux) et dont la description n’est autre que « Ressentez les vibrations et donnez vos lèvres une apparence holistique […] Le résultat – des lèvres lisses et brillantes et des chakras ouverts et équilibrés. »
Des publicités qui servent de caisse de résonance et viennent crédibiliser la lithothérapie auprès d’un public de plus en plus large. Juge, avocat, caissier, vétérinaire… D’après la psychologue clinicienne, la majorité de sa patientèle n’est pas forcément celle que l’on s’attendrait à voir. « À la base ce sont des personnes qui ont des très bonnes situations professionnelles, familiales et qui n’ont pas de problèmes financiers. Et tout d’un coup, elles éclatent tout car il y a un traumatisme jamais traité à la base. Il y a des prédispositions à s’orienter vers ce type de croyance. »
De plus en plus d’adeptes
Outre un marché florissant et des réseaux sociaux qui s’emballent, le contexte social semble profiter aux vendeurs qui surfent sur la « vague Covid ». « De monde se tourne vers cette pratique et je l’ai particulièrement observé en 2020-2021, développe Anne-Sophie Renouf. Je ne sais pas si on peut vraiment faire un parallèle avec la crise sanitaire, mais ça a sûrement joué. C’est très facile pour des gens affaiblis psychologiquement de se dire qu’en portant tel ou tel bracelet ou qu’en disposant trois ou quatre pierres dans leur salon, ça ira mieux ».
Des roches utilisées de manière récréative, pour décorer ou parce que ça apaise, « go for it ». En revanche, prudence à ne pas laisser ces pierres prendre les commandes. Elles pourraient vous mener vers des chemins