Ancienne éducatrice à la protection ­judiciaire de la jeunesse, membre de l’Observatoire de la laïcité, Dounia ­Bouzar a publié en janvier Désamorcer l’islam radical (Éditions de l’Atelier). Contactée depuis par une quarantaine de familles confrontées au djihadisme, elle a fondé en février le Centre de ­prévention contre les dérives sectaires liées à l’islam.

Les cas de jeunes français partant pour la Syrie se multiplient. Que dire des méthodes d’endoctrinement?

Dounia ­BOUZAR.-Aujourd’hui, l’islam radical emprunte les techniques utilisées par les sectes: l’identité individuelle remplacée par l’identité de groupe, les souvenirs familiaux effacés, la raison cédant la place au mimétisme. Sur Internet, les vidéos montrent des images de fin du monde, qui rappellent la secte Moon, sur fond de musique hypnotique. Quant au message basique d’appel à la haine – «Tuez-les tous, ces mécréants!» -, il s’est transformé en un «Vous êtes l’élu. Vous appartenez au groupe des “véridiques”, ceux qui vont “régénérer” le monde. Si vous voulez sauver votre famille de l’enfer, venez mourir en Syrie.» C’est plus que du prosélytisme! Et ce n’est pas avec la laïcité que nous allons régler cela!

Si l’endoctrinement se fait essentiellement via Internet et les réseaux sociaux, il ne faut pas négliger le contact physique. Les jeunes garçons sont abordés par des connaissances de copains et les jeunes filles par des groupes de femmes ou de faux petits amis.

En quoi le profil de ces jeunes français a-t-il changé?

Auparavant, l’islam radical touchait les populations socialement et familialement fragiles, ces jeunes que j’appelle «sans père, ni repère». Aujourd’hui, les classes moyennes et supérieures sont aussi concernées. Par ailleurs, le temps de basculement s’est raccourci. Les ­radicaux arrivent à faire tomber des athées en quelques semaines.

Les jeunes Français sont-ils une cible spécifique?

Les grands groupes djihadistes parlent en français, aux Français. L’un des plus grands gourous, dont les vidéos tournent sur Internet, s’exprime en français. Il n’est pas étonnant qu’autant de jeunes Français et Belges se laissent «attraper». Ces gourous connaissent parfaitement l’état des débats en France: ils évoquent une «fausse laïcité» qui serait, au fond, un complot contre l’islam.

Pourquoi faut-il travailler sur la prévention? De quelle manière?

Une fois qu’il y a eu basculement, je constate que le taux de «déradicalisation» est proche de zéro. Et ce, malgré le recours à des imams, psychologues, psychanalystes…

Aujourd’hui, seules les familles mu­sulmanes perçoivent clairement le basculement. Quand une maman voit son enfant déchirer une image en disant que c’est le diable, elle sait immédiatement qu’il ne s’agit pas d’un comportement religieux. Les familles non musulmanes, elles, sont démunies. Elles hésitent et perdent du temps. De manière générale, tout le monde est dans l’hésitation, de l’élu à l’assistante sociale qui parle de simple conversion. Il n’existe pas d’interlocuteurs pour poser le diagnostic. C’est ce que nous proposons au Centre contre les dérives sectaires liées à ­l’islam.

Il faut pouvoir placer convenablement le curseur entre liberté de conscience et militantisme radical et cesser les amalgames. On parle beaucoup des mères voilées pendant les sorties scolaires, mais les fonctionnaires barbus, personne n’en dit rien!

Je demande une formation de tous les interlocuteurs qui sont en contact avec les jeunes, des enseignants aux policiers en passant par les imams. Il faut aussi une campagne de prévention, ce que je suggère depuis la loi sur le voile intégral en 2010. Tous les autres pays ont mis en place des dispositifs de prévention. Ce qui fait souffrir les familles françaises, c’est le déni.

source : Le Figaro.fr