Relaxée en première instance, une institutrice de 49 ans, accusée de sévices graves (des violences psychiques et physiques) sur 24 de ses élèves, a comparu devant la cour d’appel de Limoges mercredi jusque tard dans la nuit. Il y a quelques mois, elle était restée maîtresse de la partie, répondant aux faits par la récitation d’une litanie de fiches pédagogiques ; mercredi, le rythme avait changé.
«Que les choses soient claires, le ministère public n’a rien contre les punitions, en revanche il est intéressé à la façon dont elles sont administrées», a ironisé Georges Borg, avocat général, dans les premières minutes. Soulagement parmi la quarantaine de parents d’élèves de l’école de Feytiat (Haute-Vienne), que la première audience avait laissés interdits. «Certains comportements que l’on comprenait à mon époque ne passent pas avec les parents de la nouvelle génération», avait déclaré le magistrat qui présidait alors la séance.
Claques, gifles, tapettes, enfants poussés au-delà de leurs forces, exposés sciemment à leurs terreurs, punis arbitrairement, enfermés dans le «placard aux sorcières», secoués, humiliés, affublés de sobriquets vexants… La liste des plaintes est sans fin et les dénégations de «maîtresse Delphine» sont totales.
«C’est bien une gifle ça ?»
«Puisque vous semblez aimer la sémantique, pas de problème, j’ai tout mon temps. Vous avez admis dans un moment d’emportement avoir eu un geste ample et vigoureux qui malheureusement s’est achevé sur la joue de certains enfants. C’est bien une gifle ça ?», lâche l’avocat général. Mais même face à un tribunal résolu à fouiller chaque recoin de ce dossier de manière circonstanciée et sans affect, maîtresse Delphine ne ploie pas.
«Vous nous dites que les enfants, ça aime braver les interdits, donc c’est aussi capable de dire sans mentir ce que ça a subi ? J’en conclus que vous ne nous opposerez pas le défaut de maturité», poursuit le ministère public. Qui réussit finalement là où tous avaient échoué : l’institutrice fait silence.
Elle reste impassible face aux parents. Des parents rongés pour certains d’avoir remis en question les propos de leurs enfants. «J’ai vu ma fille dépérir, passer d’une joie de vivre communicative à une apathie totale, les yeux blancs, couchée sur une couverture et refusant de s’alimenter. Un jour elle m’a dit : « Papa, j’ai peur qu’elle me fasse du mal. » Et moi je lui ai répondu qu’elle devait faire un effort pour s’adapter», confesse, encore blême, le papa de Léa (1), fillette absente et pourtant centrale. Elle était, de l’avis de tous, «le souffre-douleur» de l’institutrice, celle «qui n’avait pas le droit à l’erreur».
«Notre parole ne pesait pas grand-chose face à cette femme»
Impassible aussi devant les Atsem (assistants territoriaux spécialisés en école maternelle), des témoins bouleversés. «Elle a mis ses mains derrière et elle l’a poussé dans le vide : il hurlait de terreur, lâche l’une d’entre elles, les mains serrées contre sa poitrine, au sujet d’un élève. On ne savait pas quoi faire pour que ça s’arrête.» Et de s’excuser : «On n’est que des femmes de ménage. Améliorées certes, mais que des femmes de ménages. Notre parole ne pesait pas grand-chose face à cette femme qui en impose.»
Pas grand-chose, mais pas rien pour cette institutrice, ancienne collègue de l’accusée, venue attester «solennellement de leur intégrité». «Elles ont pensé qu’elles ne seraient pas écoutées, mais la vérité c’est qu’il se passait des choses anormales dans cette classe. Si nous sommes venus aujourd’hui, malgré les risques, c’est pour protéger les enfants», a-t-elle témoigné avant d’être interrompue bruyamment par la numéro deux de l’inspection académique. Celle qui avait opposé aux signalements des parents et des professionnels un silence assourdissant. Et l’avocat général de soulager l’enseignante en lui rappelant que son témoignage ne saurait lui être reproché par sa hiérarchie.
Le parquet a requis 18 mois de prison avec sursis et l’interdiction à vie d’exercer une profession en lien avec des enfants. Le jugement a été mis en délibéré au 27 mai.
(1) Le prénom a été changé.
Julie Carnis Corresponda
source : liberation.fr du 31/3/2016