Au moment où les groupes sectaires n’ont jamais été si nombreux, (entre 600 et mille selon les sources) alors qu’un sondage IPSOS commandité par la MIVILUDES montre que 66% des Français voient dans les dérives sectaires une menace pour la démocratie, qu’il me soit permis de réagir ! Toujours d’après les sondages, 25% des Français ont été au moins une fois démarchés par une secte et 20% connaissent dans leur entourage une victime de secte. Comprenez donc qu’aujourd’hui je m’exprime solennellement en tant que président du Centre Contre les Manipulations Mentales et en tant que citoyen attaché aux valeurs de la République.
Quelques procès récents, et sans doute d’autres suivront, témoignent de la réalité de l’emprise mentale et des dégâts considérables qu’elle produit sur des personnes comme vous et moi, victimes de gourous ou de systèmes exploitant les pires méthodes de propagande et de manipulation inventées au siècle dernier. Ces procès ne reflètent qu’une infime partie de la réalité sectaire : le nombre de personnes qui souffre en silence est bien plus important que celui qui peut aller au tribunal. Il y a à cela des explications ; j’y reviendrai.
Les groupes sectaires vivent masqués et déploient des moyens énormes pour se parer des attributs de la respectabilité. Ils vouent une haine implacable à la démocratie qui est totalement bannie de leurs organisations.
Pourtant, si je les écoute, les liberticides, les intolérants, les persécuteurs, c’est nous, les associations d’aide aux victimes !

Venons-en au propos…

De l’Athènes antique à la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et à la charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne signée le 18 décembre 2000, les hommes ont combattu pour l’idée de démocratie. Elle visait au départ à assurer la liberté publique des citoyens en leur conférant un pouvoir égal sur les destinées de la société et de l’Etat. Elle s’est enrichie de l’humanisme moderne qui met en avant l’importance de quatre concepts :
La dignité de l’être humain,
L’égalité de tous les êtres humains,
La liberté individuelle
Et enfin de la solidarité.

Parmi eux, j’insisterai sur ce qui sépare les mouvements à dérives sectaires de la démocratie : l’égalité de tous les être humains. Notre chère République est fondamentalement égalitaire et elle ne reconnaît aucune supériorité conférée par le sang, le sexe, l’origine ethnique (enfin jusqu’à maintenant), sociale ou religieuse à quelque citoyen que ce soit (un récent sondage montre que pour plus de 70% des Français c’est la valeur principale).
A ma connaissance aucun mouvement sectaire n’est égalitaire. Les adeptes sont soit supérieurs par essence soit potentiellement supérieurs au reste de l’humanité s’ils veulent bien se plier aux exigences du mouvement et de son chef, d’un simple individu qui les manipule et les place sous emprise mentale. Ces mouvements proposent en effet à leurs adeptes une vérité à l’intérieur du groupe qui rejette le reste de l’humanité. Le projet sectaire fait adhérer ses victimes à l’idée que lorsque le bien (le mouvement sectaire) aura vaincu le mal (le reste du monde non adepte) alors adviendra le paradis dont seuls les élus choisis par le mouvement pourront jouir.
Même si l’horreur sectaire est encore très loin de l’horreur des « ismes totalitaires » du 20éme siècle, elle procède d’une démarche similaire, totalitaire
En effet, les méthodes et la conception du monde des groupes sectaires rappellent les grands « ismes » totalitaires du XXème siècle : nazisme et stalinisme où l’humanité est niée en vertu d’une pseudo-inégalité des « races » ou d’une appartenance de classe décrétée par le Parti. Dans les deux cas, des projets utopiques de « paradis » de la race aryenne pour les uns, de « paradis » de la classe ouvrière pour les autres, débouchent sur le massacre ou la déportation des « ennemis » et sur la mise en esclavage des adeptes en attendant le grand jour. Là, on s’aperçoit que la cosmogonie inégalitaire portée comme une vérité excluant toutes les autres, débouche forcément sur l’atteinte à la liberté et à la dignité de l’homme, et au déni de citoyenneté.
Rappelons-nous que la véritable horreur du nazisme n’est apparue aux yeux de l’humanité qu’en 1945 lors de la libération des camps! Rappelons-nous que la réalité de l’horreur stalinienne a mis des années à émerger face à la propagande soviétique!
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A ne pas y prendre garde nos démocraties pourraient devenir des « bantoustans » de groupes sectaires niant nos valeurs et mettant in fine la République à genoux devant les exigences des « surhommes » issus d’une multitude d’organisations totalitaires.

Continuons et regardons la réalité en face :

Les victimes adeptes de secte sont infiniment plus nombreuses que ce nous percevons à travers les procès et les quelques personnes qui acceptent de relater leur calvaire. Et pourquoi donc ?
Les adeptes sous emprise ne sont pas conscients de ce qu’ils subissent et sont souvent des défenseurs inconditionnels du gourou ou du système sectaire.
Les victimes, adeptes ayant pris conscience de leur état, ont, pour la plupart d’entre elles, honte de s’être fait abuser.
S’il n’y a pas de possibilité de poursuivre le gourou ou la structure sectaire, les victimes préfèrent souvent se taire. (nous connaissons des victimes d’extorsion de fonds qui ne peuvent ester en justice faute de preuves et qui ne veulent pas témoigner de crainte d’être poursuivies en diffamation).
Les victimes ont souvent été conduites à commettre des actes délictueux : comment témoigner pour un adepte des « enfants de dieu » qui aura en tant qu’adepte, abusé sexuellement d’enfants? Comment témoigner d’avoir été le « kapo » d’un gourou et d’avoir ainsi fait du mal aux autres adeptes?
Les pressions des groupes sectaires sur des adeptes en rupture peuvent être un frein supplémentaire à leur libre expression.
Des transactions « argent (beaucoup) contre silence » sont souvent proposées à d’anciens adeptes qui pourraient se porter partie civile.
Les victimes subissent des traumatismes durables et restent longtemps inconscientes de leur état de victime. Elles sont aveuglément dévouées, corps et âme, à leur groupe ou à leur gourou.

Dans la société de communication où nous vivons, la propagande des sectes et du lobby sectaire sont relativement efficaces, et le nombre d’affaires jugées assez faible peut laisser croire qu’il n’y a pas de problèmes de sectes en France.
Les universitaires qui prétendent représenter la neutralité indispensable à l’étude du phénomène sectaire et des nouvelles religions, ont un problème de méthodologie et sont trop enclin à travailler directement avec les groupes sectaires ce qui contribue à en justifier l’existence.
Les rares témoignages d’anciens adeptes pourtant éloquents sont souvent présentés comme des points de vue partiaux et on leur oppose souvent la vision de la secte. Tout ne serait qu’une affaire de points de vue opposables. Pour ma part, je pense qu’il est dangereux de mettre dans le même panier le bon grain et l’ivraie.
Les Français ne s’y trompent pas et connaissant pour 20% d’entre eux une victime: ils peuvent s’inquiéter à juste titre de l’horreur que cela représente.
J’ajouterai que certains groupes ne sont guère présentés dans notre pays comme groupes sectaires. Pourtant si je me réfère à quelques auteurs, la manipulation mentale est une réalité dans les groupes islamiques radicaux. Dounia et Lylia BOUZAR démontrent dans leur ouvrage La République ou la Burka que les adeptes de l’islam radical sont manipulés. Une auteure Iranienne Esmat TORKGHASHGHAEI analyse sans concession les Moudjahiddines du peuple, les caractérise comme une secte apocalyptique et démontre elle aussi la manipulation mentale.

Nul doute que pour faire d’un homme ou d’une femme un esclave du groupe, que pour amener un individu se faire exploser en public ou à obliger une femme de se couvrir des pieds à la tête, il faille une grande expertise de la manipulation mentale!

La réalité perçue par les associations sur le terrain est donc beaucoup plus horrible pour ce qui concerne le mal fait aux adeptes et à leurs familles et plus inquiétante pour ce qui concerne notre démocratie par rapport à ce qui est généralement admis par les élites.

Notre ami Jean-Pierre Jougla dans une de ses interventions au conseil de l’Europe démontrait il y a quelques années que les mouvements sectaires sont constitués comme des micro-Etats totalitaires où la notion de citoyen est bafouée, foulée aux pieds du gourou, puisque les dirigeants cumulent l’ensemble des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire.

En quoi ces mouvements sectaires sont-ils des menaces pour la démocratie ?

Ils excellent dans la manipulation mentale. Comme l’a écrit notre ami JP Jougla :
« Au sein du groupe, l’adepte subit de manière réitérée, et à son insu, de fortes pressions pour exploiter sa naïveté ou son état de faiblesse et développer une dépendance. Ceci l’amène à commettre, contre son gré et a ses dépens, des actes préjudiciables. L’adepte est persuadé qu’il agit de manière libre et autonome. Le groupe sectaire constitue donc à proprement parler un système d’exploitation des états de faiblesse conduisant à une forme d’esclavage.
Cette manipulation mentale méthodique conduit l’adepte vers une déstructuration psychologique, intellectuelle, émotionnelle et parfois même physique.
Entre le groupe et l’adepte s’établit une relation de co-dépendance aliénante.
Sous l’effet du travail insidieux de la manipulation mentale, l’adepte se retrouve peu à peu coupé de tous ses repères structurants antérieurs et reformaté dans le cadre d’une norme fantasmatique. Ceci correspond à une sorte de clonage psychique.
Perdant de plus en plus contact avec la réalité, l’adepte, se coupe de tout lien affectif antérieur, entre dans une désinsertion sociale et professionnelle et glisse progressivement vers une dépersonnalisation.
A son insu, l’adepte perd progressivement sa capacité de discernement et son libre arbitre. Parallèlement, il adhère de plus en plus aux convictions de son groupe dont les délires interprétatifs représentent la vérité révélée et ne sont plus accessibles à la moindre remise en cause.
Méthodiquement, l’adepte et amené à faire table rase de son passé personnel et renonce à tout projet individuel. En contrepartie, il s’approprie l’histoire mythique du groupe et dévoue tout son temps, son argent et ses efforts à la mission partagée. »
Cette déstructuration fait perdre à l’adepte sa dimension de personne et de citoyen.

Les dérives sectaires, un défi posé à la démocratie
En fonction de ce qui précède, il découle que l’état d’adepte est antinomique avec celui de citoyen. C’est en cela que le projet sectaire constitue aussi un danger pour la démocratie.

Le projet sectaire a pour objectif la création d’un « individu » sans ego visant à imiter les pouvoirs que prétend posséder le gourou. Cet « individu » sera totalement dépersonnalisé, exécutera à la perfection les consignes supérieures et n’existera seulement qu’en tant que cellule de l’organisme central. Après « utopique », le deuxième mot qui qualifie ce type de projet est sans hésitation : « totalitaire » !
La dignité sera bafouée, la liberté totalement aliénée au groupe.
Nous l’avons vu, pas question d’égalité dans les conceptions du monde des groupes sectaires. Une solidarité apparente s’exerce dans la phase de séduction, mais après cette solidarité sera dans un seul sens : l’argent et toute l’énergie de l’adepte vers le groupe ou plus souvent vers son chef.

Un groupe sectaire constitue non seulement une violation des droits de l’homme, mais également un réel défi à la démocratie.
Comment protéger les fondements de la démocratie ?
Les valeurs humaines fondamentales ne peuvent être protégées que si elles reposent sur le principe de démocratie et sur le principe de l’Etat de droit.
Le CCMM défend l’absolue liberté de conscience garantie par les lois de la République. Pour autant la vigilance s’impose et nous nous devons d’informer le public des réalités de l’emprise mentale pour que chacun puisse en toute connaissance de cause exercer son droit inaliénable de croire.
Le CCMM se félicite de sa collaboration avec la MIVILUDES et de ses orientations vers plus de répression contre les atteintes aux droits de la personne et vers une plus grande information du public et de l’ensemble des corps constitués.
Pour aller plus loin il faut certainement entrer dans la réalité des groupes sectaires et décrire scientifiquement leur mode de fonctionnement, leur financement, leurs atteintes au droit, leurs démêlées avec la justice, bref tout ce qui pourrait donner au public une image de la réalité par les faits, épurée de toute propagande. Les associations comme le CCMM disposent d’informations de première main sur les groupes sectaires et sont souvent les premiers à détecter les nouveaux entrants. Mais cela n’est pas suffisant. Il faudrait des moyens d’investigation complémentaires sous contrôle de la MIVILUDES.
Par exemple il serait certainement utile d’infiltrer les groupes sectaires à l’instar des mouvements terroristes pour prévenir leurs agissements et les prendre en flagrant délit de nuisance à autrui. Il faudrait aussi améliorer le contrôle des associations sectaires tant sur le plan juridique que financier : Les mouvements d’argent considérables sont en effet connus pour certaines organisations à but particulièrement lucratif et des contrôles fiscaux devraient être commandités. De même il serait certainement pertinent d’examiner comment des mouvements totalitaires pervertissent les statuts associatifs issus des lois de la république.
Enquêter sans complexes sur les mouvements sectaires et pas seulement sur les atteintes aux victimes, et poursuivre le cas échéant voici la réponse que nous attendons des pouvoirs publics.
Il faudrait certainement prendre en charge sous une forme appropriée les adeptes livrés à eux-mêmes quand le gourou est incarcéré.
Enfin, il faudrait redonner aux associations les moyens financiers qui depuis 3 ans leur ont été réduits de 50%. Sans associations, dont le coût pour la collectivité est très faible eu égard aux services rendus, le pays sera livré aux « entrepreneurs du pire » et malgré un engagement fort de la MIVILUDES cette dernière verra ses sources d’information se tarir et son autorité sur le sujet sectaire, contestée.

Pour conclure je dirai qu’il ne faut plus se laisser abuser par les groupes sectaires habiles à utiliser, à leur profit, les droits des sociétés démocratiques tout en réfutant ces mêmes droits à leurs adeptes.
J’affirme de nouveau que les méthodes de séduction et de propagande qui rappellent les pires « ismes » totalitaires du XX siècle doivent être dénoncées avec rigueur et fermeté!
Une organisation ne peut pas en effet utiliser un droit comme celui de la liberté d’association et de croyance pour porter atteinte aux droits fondamentaux de toute autre personne : dignité, liberté, égalité des droits….

Jacques MIQUEL
Colloque de Bordeaux le 23 octobre 2010