Dans un entretien au « Monde », la secrétaire générale de la Miviludes, Anne Josso, fait le point sur les dérives sectaires des entreprises de marketing multiniveau ciblant particulièrement les jeunes.

Dans un contexte de marché de l’emploi en berne, créer son emploi a de quoi séduire. Absence de qualifications requises, indépendance financière, entrée dans une « famille »… telles sont les promesses du marketing multiniveau (MLM), un modèle économique discret qui connaît un certain succès actuellement en France. Aussi appelé marketing de réseau, ce système rémunère ses vendeurs sur leurs propres ventes, mais également sur celles des vendeurs qu’ils ont cooptés au sein du réseau.

Dès 2007, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) a alerté sur l’emprise exercée par certaines de ces sociétés, occasionnant « des préjudices financiers, des ruptures parfois dramatiques, jusqu’à un épuisement physique et un effondrement moral ». Après une période plus calme, la Miviludes constate, ces trois dernières années, une augmentation des saisines concernant ce secteur.

Le point avec Anne Josso, secrétaire générale de la Miviludes.

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Combien de signalements la Miviludes a-t-elle reçus concernant le marketing multiniveau ?

Anne Josso : La Miviludes a reçu plus de 250 demandes d’intervention et des témoignages qui sont ainsi parvenus ces trois dernières années.

Une centaine d’interrogations ont été reçues entre 2015 et 2019 concernant la société Akeo, quatre-vingts pour Herbalife et une trentaine au sujet de NL International. Une dizaine a été enregistrée concernant Kuvera, MWR Life et WorldVentures en 2018-2019. Dans une moindre mesure, des signalements ont été reçus concernant Modere, Emrys La Carte, Q Sciences.

Les derniers signalements reçus depuis le début de l’année mettent en évidence une évolution très inquiétante des acteurs, des cibles et des méthodes du marketing réseau. Ils ciblent de plus en plus les 18-25 ans, toutes classes sociales confondues.

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La présence forte dans le discours des MLM de références au développement personnel fait-elle partie des éléments qui suscitent la vigilance de la Miviludes ?

La vision du monde proposée par la plupart des MLM est binaire : d’un côté, ceux qui travaillent, paient leurs impôts et gagnent leur vie de manière honnête, présentés comme les perdants, et de l’autre, les gagnants, ceux qui appartiennent au réseau.

La Miviludes repère dans les nombreux témoignages reçus les techniques de manipulation employées par les mouvements à caractère sectaire et les mécanismes qui jouent dans l’emprise : des propositions séduisantes et au-delà de toute espérance, une demande d’investissement de plus en plus importante, l’intégration dans un groupe fermé, un discours à la fois valorisant et culpabilisant, un changement progressif de vision du monde et une attaque du système de valeur par l’acquisition de nouvelles règles, brouillage des repères et ruptures avec l’environnement habituel…

Les proches constatent impuissants les transformations et se heurtent à un mur d’argumentations et de justifications prêtes à l’emploi. Contrairement aux groupes sectaires « classiques », où les ruptures sont volontairement provoquées par le groupe pour mieux contrôler les adeptes, ici les ruptures sont davantage une conséquence des pressions en cascade du « vendeur », qui est contraint de puiser dans son réseau relationnel pour progresser dans le système. Les conséquences sont sensiblement les mêmes.

Comment se déroulent concrètement les premiers temps des nouvelles recrues au sein des MLM ?

Par des mots-clés tels que « Comment devenir riche en travaillant à la maison ? », les nouvelles recrues – de plus en plus souvent des jeunes – sont guidées dans leur navigation par des algorithmes et entrent en contact avec ces sociétés. Ils visionnent des vidéos elles-mêmes animées par de jeunes gens entrés récemment dans le système et qui répètent un discours préformaté. Ainsi, les nouvelles recrues peuvent facilement s’identifier aux jeunes promoteurs du réseau.

Ce procédé crée une forme d’intimité et renforce l’idée d’appartenance à un groupe, et ce, sans aucune violence ni contrainte. Les vidéos très attractives sont scénarisées, avec pour toile de fond des voitures et des endroits de luxe. Ces mises en scène participent de la séduction et servent d’appâts. Sur les réseaux sociaux, pour poster les vidéos, les consignes sont strictes et le cahier des charges est précis quant à l’emplacement des photos, du texte, des carnets de voyage. Pour recruter les autres, « jouer sur l’émotion » fait partie des enseignements. Une technique particulièrement efficace sur les jeunes.

Le développement du réseau est fondé sur un système de parrainages, utilisant massivement les réseaux sociaux pour une propagation très rapide de l’information. Les rares avis défavorables font immédiatement l’assaut d’internautes défendant le bien-fondé de ces pratiques, exhibant des « pseudo-preuves », brandissant des captures d’écran de gains financiers faramineux.

Puis vient l’étape de la rencontre. Les premières réunions se tiennent dans des restaurants ou des bars, diaporama à l’appui, avec un animateur tiré à quatre épingles. Les diapositives montrent des personnes menant un train de vie de multimillionnaire. Pour un public plus âgé, les diapositives montrent des voyages qui répondent aux goûts et appétences de chacun, allant d’un voyage de luxe organisé à celui pour baroudeur avec sac à dos.

Afin de présenter une image de respectabilité de l’entreprise, plusieurs arguments, images à l’appui, sont avancés, tels que des actions humanitaires bénévoles pour nettoyer le littoral. Toutes se défendent également d’appartenir à un système pyramidal.

source : le monde.fr

Propos recueillis par   Publié le 06 novembre 2019