«Plus la médecine guérit, plus les charlatans prolifèrent», ironisait le professeur Jean Bernard, grand mandarin du siècle dernier, disparu en 2006. Ce qui se passe actuellement serait bien la preuve que la médecine officielle ne s’est jamais aussi bien portée. Car ces derniers jours, les cris d’alarme mais aussi les actions contre les mouvements sectaires en médecine se multiplient.
Pour la première fois, la semaine dernière, une campagne grand public de prévention a été lancée afin de faire échec à des «médecines alternatives nuisibles». Intitulée «Danger ! Attention aux traitements miracles et aux faux thérapeutes», l’opération émane du Centre contre les manipulations mentales (CCMM), l’une des principales associations françaises de lutte contre les phénomènes sectaires.
«Il y a nécessité, lâche Laure Telo du CCMM, car on assiste à l’explosion d’une multitude de petites structures qui échappent aux garde-fous». Des propos qui font écho à ceux de Chantal Gatignol, du pôle santé de la Miviludes (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires), lors d’une conférence à l’Institut Curie. «Depuis deux, trois ans, on note une montée en puissance de ces mouvements qui vont jusqu’à dénigrer la médecine traditionnelle.» Et cette experte d’avancer que «4 patients sur 10 auraient recours à d’autres médecines, et plus d’un patient sur deux atteint d’un cancer.»
Bulldozzer. Dans ce glissement vers d’autres médecines (comme la très en vogue naturopathie), soyons équilibrés, les torts peuvent être partagés. Bien souvent, la médecine hospitalière se révèle certes efficace, mais engoncée dans la froideur et l’anonymat, laissant peu de place au patient qui doit suivre sans contester le bulldozer thérapeutique qu’on lui impose.
«La montée des médecines alternatives ne peut se résumer à une affaire de gogos incrédules», analyse un médecin de santé publique. Preuve de cette ambivalence, ce phénomène touche tout le monde, quels que soient l’âge et le niveau social. On cite souvent le cas de Steve Jobs, fondateur d’Apple, qui, au cours de son long parcours de cancéreux, a suivi un régime végétarien très strict, sur les conseils d’un naturopathe qui l’a convaincu de délaisser les traitements classiques.
«Ce qui nous inquiète, ce sont les médecines alternatives qui imposent l’abandon des thérapeutiques qui ont fait leurs preuves, et non les médecines parallèles ou complémentaires, qui peuvent être d’une aide ou d’un soutien réel», précise Chantal Gatignol. Mais où se situe la frontière ? «Toute dérive thérapeutique n’est pas sectaire,insiste cette responsable. Cette dérive prend un caractère sectaire quand la personne perd sa capacité de décision, que cela se traduit parallèlement par une rupture avec son environnement personnel ou professionnel, et que s’ajoutent des demandes financières exorbitantes». En effet, alors qu’une consultation chez un médecin généraliste coûte environ 25 euros, la moyenne pour ces médecines oscille entre 100 et 150 euros.
Peut-on faire le tri dans cette abondance de pratiques incertaines ? Schématiquement, il y a les pratiques qui relèvent de l’exercice illégal de la médecine : une personne qui prescrit un produit alors qu’elle n’en a pas le droit. Ensuite, il y a les produits vantés qui peuvent être cocasses, voire dangereux.
Dans ce domaine, l’imagination est sans borne. Exemple récent : un praticien va faire de sa potion à base de jus de légumes «une cure anticancer magique de quarante-deux jours en argumentant que cette source de régime hypoprotéiné interromprait le développement des cellules cancéreuses». Un autre va faire ingérer au malade de l’huile essentielle de lin non chauffée et non traitée accompagné de lait caillé. Et c’est sans fin… On estime à 100 000 le nombre de praticiens parallèles, et à plus de 400 celui de pratiques non conventionnelles à visée thérapeutique. Enfin, à un petit millier les praticiens qui poseraient vraiment des problèmes sanitaires. «La difficulté, souvent, est que ces charlatans se sont vite adaptés aux nouveaux médias, ils travaillent en réseaux», ajoute Chantal Gatignol.
Arsenal. A l’Agence régionale de santé (ARS) de l’Ile-de-France, une chargée de mission auprès du directeur général s’occupe désormais de ce dossier. «Nous n’avons pas assez de recul pour noter une hausse de ces dérives. En 2013, nous avons reçu une vingtaine de signalements, on a fait six notifications au procureur et une inspection sur place.»
Pour l’ARS, l’arsenal réglementaire n’est malheureusement pas suffisant : «Il nous manque des outils et une réglementation pour réagir plus clairement. Ce qui nous importe, c’est que l’usager ait toutes les infos pour décider en toute connaissance.
Par Éric FAVEREAU

Source : Libération, 11 novembre 2014
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