• Avec le poids grandissant des réseaux sociaux et l’émergence de nouvelles plateformes, le militantisme en ligne s’est amplifié ces dernières années, et a pris de nouvelles formes.
  • Dans le quatrième et dernier volet de cette série, 20 Minutes s’intéresse au hacktivisme, une forme de militantisme popularisée dans les années 2010 par les Anonymous.
  • « L’hacktivisme n’est pas mort,  mais il évolue. Il est devenu aujourd’hui un outil au service de différentes puissances », explique Fabrice Epelboin, enseignant à Sciences Po Paris, spécialiste des médias sociaux.

Où sont aujourd’hui passés les Anonymous ? Ce collectif de militants, défenseurs du droit à la liberté d’expression, pronait dans les années 2010 l’hacktivisme – terme issu des termes anglais « hacker » ( pirate informatique) et « activism » –, une forme de militantisme non violente consistant à entrer illégalement dans un système informatique pour des raisons politiques, sociales, religieuses ou anarchistes. Ces « justiciers » virtuels ont créé et déployé durant des années des outils de piratage dans le but de vivre « dans un monde meilleur ».

Ils se sont notamment fait connaître en défiant de grandes multinationales – Paypal, Visa… –, des gouvernements, mais aussi des organisations comme l’Eglise de la Scientologie. Des changements politiques et sociétaux ont aussi pu voir le jour grâce aux campagnes hacktivistes de perturbation et de désobéissance menées ou soutenues par les Anonymous, par exemple lors des manifestations contre Mahmoud Ahmadinejad en Iran en 2011 ou du  mouvement « Occupy Wall Street » quelques mois plus tard. Pourtant, une dizaine d’années plus tard, le groupe est porté disparu ou presque et, avec lui, une certaine idée de l’hacktivisme.

Les attaques hacktivistes auraient chuté de 95 % depuis 2015

Après l’énorme buzz généré par les actions d’Anonymous dans les années 2010, les hacktivistes seraient aujourd’hui en voie d’extinction. Les attaques auraient même chuté de 95 % depuis 2015, selon une étude publiée par IBM en mai 2019. La disparition du célèbre groupe masqué*, responsable de près de 45 % de ce type d’attaques, et « les efforts répétés de la part des forces de l’ordre pour stopper ces actions – au moins 62 cyberactivistes auraient été arrêtés aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Turquie depuis 2011 » – ont eu raison de la présence des hacktivistes, note le rapport.

Pour autant, les hacktivistes n’ont pas totalement disparu. L’étude d’IBM indique que la période actuelle ne joue pas vraiment en faveur de ces hackeurs activistes. « Des problèmes de justice sociale aigus, des capacités organisationnelles plus grandes parmi les groupes hacktivistes et une transition plus forte vers des domaines qui échappent au contrôle des forces de l’ordre peuvent potentiellement changer le visage de l’hacktivisme en une période relativement brève. Nous assistons probablement à un ralentissement de l’activité hacktiviste plutôt qu’à une conclusion », souligne le rapport d’IBM.

« L’hacktivisme n’est pas mort »

L’hacktivisme des débuts semble désormais bien loin. Selon les spécialistes, les attaques se seraient normalisées, voire industrialisées via des malwares vendus sur le darknet, indique Stormshield, entreprise spécialisée dans la cybersécurité. « Le premier ransomware [en 2005] a introduit une nouvelle approche du piratage. De nombreuses plateformes ont rendu les attaques plus faciles et plus accessibles. Or, pour de nombreux hacktivistes, une campagne n’a du sens que si elle est originale. Elle perd de son intérêt si elle s’inscrit dans une certaine normalité », analysait l’an dernier Marco Genovese chez Stormshield. « L’hacktivisme qui consiste à aller pirater un système ou une organisation a probablement diminué ces derniers temps, même si c’est très difficile à quantifier », note de son côté Fabrice Epelboin, enseignant à Sciences Po Paris, spécialiste des médias sociaux.

Mais, selon le chercheur, une nouvelle forme d’hacktivisme s’est développée ces dernières années, davantage liée à la sphère médiatique. « L’hacktivisme n’est pas mort, il est juste moins visible. Celui qu’on connaissait il y a une dizaine d’années a changé. De nouvelles modalités sont en train de se définir, dans un monde en pleine mutation, où la révolution digitale est loin d’être achevée. L’hacktivisme n’est par ailleurs plus l’apanage des seuls hackers, il est devenu un outil au service de différentes puissances, et on ne s’en rend pas forcément compte », explique Fabrice Epelboin.

« Toutes les dernières grandes affaires de corruption ont été révélées grâce au hacktivisme »

Cette forme de militantisme existe donc encore aujourd’hui, mais sous de nouvelles formes. « Ce qui s’est passé avec l’affaire Cambridge Analytica [fuite de données personnelles de 87 millions d’utilisateurs de Facebook en 2016], par exemple, procède de l’hacktivisme. On est dans cette même logique de contourner un système pour en tirer parti », ajoute le spécialiste des médias sociaux. Selon lui, « toutes les modalités d’hacktivisme mises au point et développées par les Anonymous [idée d’un collectif où l’individu n’existe pas, méthodologie de prise de décision collective complexe…] ont été récupérées, transformés et adaptés par une myriade de formes ou d’organisations militantes », comme récemment en France par les « gilets jaunes ».

Par ailleurs, « si on remonte toutes les grandes affaires de corruption, toutes les grandes affaires fiscales de ces dix dernières années [Panama Papers, LuxLeaks…], ça n’est que cela : le fruit de campagnes menées par des hacktivistes. L’hacktivisme venu des hackeurs, ceux qui sont à un niveau majeur d’expertise en matière de technologie, a mis au point des méthodologies extrêmement pointues, comme on a pu le voir également avec WikiLeaks​ », détaille encore Fabrice Epelboin, qui considère aujourd’hui que cette forme d’hacktivisme s’est énormément accélérée. « La réalité, c’est que l’hacktivisme n’est pas du tout en voie d’extinction. Bien au contraire, c’est un phénomène qui s’est généralisé et sera de plus en plus présent à l’avenir. »

sources : https://www.20minutes.fr/high-tech/2870463-20201107-militantisme-ligne-o-passe-hacktivisme-popularise-anonymous

CYBER ACTIFS 4/4 « 20 Minutes » consacre une série aux différentes formes de militantisme en ligne

par Hakima Bounemoura

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