RENAUD LECADRE
QUOTIDIEN : jeudi 3 avril 2008
La scientologie n’a pas fini d’encombrer les tribunaux. La justice française n’entend pas «distinguer la chimère du sacré», affirme un arrêt de 2002 qui fait autorité : «La liberté de croyance étant absolue, il est vain de s’interroger sur le fait de savoir si la scientologie est une secte ou une religion.» Mais elle peut poursuivre pour escroquerie. Les méthodes de vente agressives pratiquées par la scientologie sont bien connues : elle facture au prix fort livres, cures et auditions. Souvent à la tête du client et à l’épaisseur supposée de son portefeuille. L’électromètre, appareil fétiche des scientologues sensé mesurer les émotions humaines, est ainsi facturé entre 2 000 et 4 500 euros, pour un coût de fabrication de 750. Certains adeptes ont été incités à dépenser jusqu’à 150 000 euros, contre la promesse d’un QI de 135, la fin du port de lunettes, ou encore le «facteur unique qui résoudra tous les cas»… Me Farthouat, avocat de la scientologie, ironise volontiers : «Il y a là-dedans un pragmatisme typiquement américain, mais je vous signale qu’on peut toujours acheter des messes chez les catholiques.»
Séquestration. Le juge parisien Jean-Christophe Hullin a décerné en octobre dernier un non-lieu en faveur de 20 dignitaires poursuivis pour escroquerie, au motif que les adeptes «apparaissent avoir été convaincus de l’efficacité des prestations proposées et animés d’une foi authentique.» Quant à l’exercice illégal de la médecine, le juge estime que «l’incitation à faire du sauna, prendre des vitamines et courir pour se purifier ne peut constituer une infraction». Le non-lieu vaut ici pour le Dr Claude Boublil, plus récemment connu depuis la séquestration de sa sœur en Italie, le thérapeute prétextant un traitement alternatif à l’hôpital psychiatrique – autre dada scientologue. Les parties civiles ont fait appel de cet «authentique scandale judiciaire», selon leur avocat, Me Nicolay Fakiroff, la chambre de l’instruction devant statuer d’ici la fin de l’année : vingt-cinq ans de procédure, émaillés par la disparition d’une partie du dossier, l’inertie de la juge Marie-Paule Moracchini – laissant à la scientologie tout le loisir d’indemniser une à une ses victimes contre retrait de leur plainte, sauf trois irréductibles – et plus généralement la mauvaise volonté d’une partie de la magistrature parisienne, la cour d’appel sauvant les meubles. «Record de l’impéritie», proclame Me Fakiroff.
{{«Manipulation».}} A Lyon, la justice a eu la main plus lourde, condamnant en 2002 un dignitaire local à trois ans de prison avec sursis pour «pratiques fallacieuses», «manipulation mentale dans un but d’aliénation» et publications «indiscutablement mensongères». Mais elle a exonéré les dirigeants nationaux, car il ne s’agirait que d’un dérapage ponctuel.
La justice parisienne brandit le même principe pour justifier le non-lieu en faveur des dignitaires du Celebrity Center (centre culturel de la secte) : «Au vu de l’organisation particulièrement cloisonnée des structures de l’Eglise de scientologie, la qualité de dirigeant d’un centre ne saurait présumer une implication pénale.» Ce cloisonnement permet également à certaines structures scientologues de se mettre en faillite dès que leur ardoise fiscale devient trop conséquente, avant de renaître. En marge de la problématique de l’escroquerie à la crédulité publique, certains documents internes saisis lors de perquisitions font froid dans le dos. «Nous ne nous arrêterons pas avant d’avoir anéanti ces personnes « suppressives » [les ennemis de la secte, ndlr] car nous avons la technologie et la vérité.» On est loin de la définition de la scientologie chère à Danielle Gounord (porte-parole nationale), celle d’un inoffensif «bouddhisme technologique».