On les confond souvent avec les amish, voire avec Les Témoins de Jéhovah. Mais qui sont réellement les mormons ?

Avec des articles au titre explicite “Mitt Romney: un mormon à la Maison-Blanche?”, le Net regorge d’informations sur l’appartenance religieuse de celui qui affrontera le 6 novembre 2012 Barack Obama. Pourtant, le principal intéressé n’évoque jamais la religion qui trône en bonne place sur sa fiche Wikipédia, l’Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours. Pour Anne Morelli, historienne à l’ULB, «c’est le lot de chaque religion minoritaire». Elle ajoute que «Kennedy aussi a dû imposer sa foi catholique dans une Amérique protestante». S’il ne dit mot sur le sujet, un élément de sa vie est tout de même revenu assez fréquemment, à savoir ses deux ans de mission en France durant lesquels il a, le “Livre de mormon” à la main, fait du porte-à-porte et réussi à se forger une carapace. «Une expérience de vie unique qui vous change un petit garçon en homme», selon sœur Prögler. S.I.

Immersion dans l’univers du mormonisme en Belgique

Le président a épuisé toutes ses idées, maintenant il épuise toutes ses excuses … », lance un Mitt Romney confiant, lors d’un énième meeting.

Tonnerre d’applaudissements. Le candidat de 65 ans à la Maison-Blanche, qui défiera Obama le 6 novembre prochain (lire encadré), contemple la foule. Après le retrait de son rival Rick Santorum, Romney est désormais certain d’obtenir l’investiture républicaine. La partie peut donc commencer. Mais une question turlupine les Américains: est-il possible qu’un mormon pose un jour ses valises à la Maison -Blanche? Quatrième religion du pays, l’Eglise de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours (l’appellation officielle des mormons) est un culte méconnu. Surtout en Belgique. Pour essayer d’en savoir plus, nous avons rencontré plusieurs acteurs de cette mouvance dans notre pays.

UN FESTIVAL MORMON À BRUXELLES

Conseiller en relations publiques de l’Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours de

Belgique, Claude Bernard enseigne également la communication au Vesalius College d’Ixelles.

«L’Église mormone, est aujourd’hui la quatrième en importance aux États-Unis (avec 5,5 millions de fidèles, ndlr). Un candidat mormon à la présidence est donc inévitable », explique-t-il. Costume sombre mais cravate multicolore, Claude a découvert le mormonisme en Italie lorsqu’il était encore étudiant. Mais ce n’est que quelques années plus tard qu’il embrassera cette religion, lorsque deux missionnaires viennent le trouver à un arrêt de bus bruxellois. Créateur du “Festival mormon des arts et de la culture”, Claude Bernard se bat pour démythifier cette religion. Pour ce faire, il propose, notamment à l’Actor’s Studio et au Vendôme, des films, mais aussi des pièces de théâtre et des concerts dont le but est avant tout d’informer le public sur ce qu’est réellement le mormonisme.

«Les gens ont une image assez fausse de notre religion. La série “Big Love” (diffusée récemment sur RTL, ndlr), par exemple, n’est pas du tout représentative de l’état d’esprit des mormons. C’est avant tout un réveil spirituel. Quelque chose de très intime », explique-t-il, en se souvenant de sa “révélation”. S’il garde pour lui ce qu’il a vu, il maintient dur comme fer qu’il a «su lorsque c’est arrivé».

PLUS DE 6.000 MORMONS EN Belgique

Étudiante en histoire à l’ULB, Alexina Delvaux planche depuis 18 mois sur un mémoire intitulé: “Contribution à l’étude de l’Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours en Belgique: perspective historique et approche sociologique”. Derrière ce titre kilométrique, Alexina a surtout passé beaucoup de temps avec les mormons belges. «Ma crainte était que ce soit une communauté plutôt fermée. Mais je dois avouer que ce fut tout le contraire », explique-t-elle. Durant son enquête sociologique à travers tout le pays, l’aspirante historienne est marquée par l’accueil et la simplicité des membres et des missionnaires, «un style relativement sobre et peu extravagant», ajoute-t-elle. «Ils ne sont pas implantés en Belgique de manière spectaculaire », précise Anne Morelli, historienne spécialisée dans l’histoire des religions et des minorités et prof à l’ULB. S’il est difficile de donner un chiffre avec certitude, les mormons baptisés seraient 6.363 en Belgique. «Un chiffre qui ne comptabilise pas les enfants de moins de huit ans car pour pouvoir se faire baptiser, il faut pouvoir faire la distinction entre le bien et le mal», précise Alexina.

PAS DE SKYPE POUR LES JEUNES MISSIONNAIRES

«Contrairement aux amish, avec qui on les confond souvent, les mormons ne refusent ni le confort ni le progrès. Mais leurs valeurs, ultraconservatrices, restent celles de la “Petite Maison dans la prairie”: chasteté jusqu’au mariage, interdiction de se marier hors de l’Église, refus de l’avortement (sauf en cas d’inceste ou de viol), tolérance zéro par rapport à l’homosexualité», écrit Natacha Tatu, correspondante du “Nouvel Observateur” à Chicago, dans un excellent dossier sur le sujet. Pour vérifier ses dires, nous nous rendons à l’Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours de Saint-Gilles, à deux pas de la station de métro Hôtel des Monnaies. Deux sœurs’ en mission nous accueillent. Sœur Prôgler et sœur Seeborg. Toutes les deux sont originaires d’Allemagne et sont venues, pendant 18 mois, diffuser “la parole de sagesse” à nos compatriotes. Sœur Seeborg, une dame coquette qui avait 20 ans en 1966 et qui nous parle dans un anglais teinté d’un fort accent allemand, nous fait une visite guidée de la chapelle. Une grande salle où elle donne des cours de piano et où a lieu la messe tous les dimanches, une pièce avec télé et ordinateurs pour les plus jeunes, une salle de classe où l’on apprend les math et l’allemand, et un endroit où il est possible de rechercher le nom de ses ancêtres sur microfilm. «Il y a en tout 17 nationalités représentées ici», affirme cette sœur qui a divorcé «mais pas à cause de la religion.» Le lieu ressemble plus à une salle des fêtes qu’à une secte, il faut bien l’avouer. «Le rapport du Centre d’observation des sectes nuisibles sur les mormons ne relève d’ailleurs pas de nuisance», selon Anne Morelli. Souriantes et ouvertes à la discussion sur pas mal de sujets, les deux sœurs sont plus réservées lorsqu’on aborde les questions relatives à l’homosexualité, l’avortement ou l’adoption: «C’est une décision personnelle qui n’est pas celle de Dieu.” Le lendemain midi, nous nous rendons en leur compagnie chez la famille Ponce. Arrivés sur le sol belge en septembre en provenance de Madrid, où ils

vécurent douze ans, les Ponce sont d’origine équatorienne. Sur le trajet, on évoque en compagnie des sœurs les différentes interdictions en vigueur chez les mormons.

Pas de café, pas de thé, pas d’alcool, pas de tabac, pas de drogue et pas de … Skype. La “parole de sagesse” invite les membres à résister aux substances nocives et à respecter leur corps. Dans un but d’immersion totale, les missionnaires sont priées de ne pas regarder la télé, de ne pas lire les journaux ou de ne pas surfer sur internet.

Et comme si cela ne suffisait pas, elles ne peuvent pas non plus se rendre à la piscine ou au cinéma durant leur mission car «ce serait du temps perdu … »

FAMILLE ÉTERNELLE ET SOUS-VÊTEMENTS MAGIQUES

Pour confirmer les recherches d’Alexina, l’accueil chez la famille Ponce est inversement proportionnel à la taille de leur appartement … Autant dire qu’il est immense! S’ils vivent avec leurs trois enfants (seule Rebeca est là le jour de la photo) dans un appartement minuscule près de la barrière de Saint-Gilles, Noël et Mariela ont l’air, à première vue, d’une famille unie et heureuse.

Au mur, quelques décorations équatoriennes, une photo du prophète et des certificats de mariage. La famille est une dimension extrêmement importante chez les mormons, même dans l’au-delà. Le baptême à titre posthume est d’ailleurs monnaie courante.

Claude Bernard explique que chez eux, «ce n’est pas jusqu’à ce que la mort vous sépare, c’est aussi après!» Chez les mormons, les relations familiales perdurent dans l’au-delà.

«C’est en partie pour cela que l’on nous encourage à faire des recherches généalogiques fortes.»Noël Ponce, le père de famille de 40 ans, résume cette pensée en parlant du concept de “famille éternelle”. Parmi les croyances les plus folles sur les mormons, il a souvent été évoqué que ceux-ci portaient des sous-vêtements … magiques! Le sourire aux lèvres, Claude Bernard explique qu’il s’agit en réalité d’« un symbole qui touche votre corps et qui rappelle vos alliances».

Anne Morelli abonde dans ce sens et fait le parallèle avec «les membres de l’Opus Dei qui portent le cilice (une sorte de ceinture en corde ou en métal portée sur la chair par mortification et qui gratte atrocement à chaque mouvement, ndlr) pour marquer, à chaque instant, l’appartenance à leur religion».

Le Soir Magazine N° 4166, 25 avril 2012, pages 34 à 37
Samuel Idmtal.
www.soirmag.be