L’autre jour, j’ai tenté une expérience. Je m’étais donné comme règle de ne jamais répondre aux commentaires impolis que suscitent mes chroniques.

Je perds mon temps et je légitime la grossièreté.

Je suis cependant amusé et intrigué, je l’avoue, par ces gens qui croient aux théories conspirationnistes farfelues.

Il y en a dans toutes les familles idéologiques, mais ils me semblent particulièrement nombreux parmi les partisans de Donald Trump.

Beaucoup pensent vraiment qu’Obama est musulman, qu’il espionnait Trump, que les Clinton dirigeaient un réseau pédophile, que les attentats du 11 septembre 2001 furent un complot du Mossad, etc.

{{Preuves ?}}

J’ai donc, disais-je, tenté une expérience.

Exceptionnellement, j’ai engagé la conversation avec une de ces personnes. Je lui ai demandé quelles sont ses «preuves».

Je voulais voir comment ces gens raisonnent, dans quel univers mental ils habitent.

Pour chaque allégation abracadabrante, la personne me renvoyait à des tas de sites qui, supposément, «démontraient» ces histoires.

La personne était une encyclopédie vivante en matière d’«explications alter­natives», comme Mel Gibson dans le film Conspiracy Theory.

J’ai réalisé qu’elle habitait un véritable univers parallèle qui nourrissait et structurait toute sa vision du monde.

En fait, elle ne croit qu’à cet univers et tout le reste fait partie du grand complot pour nous endormir.

Personnellement, quand j’écris sur les États-Unis, je consulte des médias qui penchent à gauche et d’autres qui penchent à droite.

Pour mon interlocuteur, le clivage est plutôt entre les médias main­stream, de droite ou de gauche, et les médias «alternatifs», euphémisme pour désigner un véritable Far West du web.

Souvenez-vous, si vous avez plus de 30 ans, de l’arrivée des réseaux sociaux au milieu des années 2000.

On pensait que cette explosion d’informations et de moyens d’expression allait revitaliser la démocratie.

Il est vrai que chacun a maintenant les moyens de parler au monde entier. Mais la qualité du débat démocratique y a-t-elle gagné?

La démocratie suppose que des tas d’idées contradictoires circulent et que la discussion publique fasse émerger les meilleures.

La plus belle illustration que la démocratie, pour fonctionner, a besoin de la circulation maximale des idées, c’est que les dictatures cherchent toujours à restreindre la circulation des idées autres que les leurs.
{{
Bulles}}

Regardez cependant comment beaucoup de gens utilisent les réseaux sociaux: ils se construisent un univers virtuel personnalisé, à la carte, avec leur liste de sites favoris, ne reçoivent que des messages d’«amis», bloquent tout ce qui leur déplaît.

On peut, si on le veut, ne plus être exposé à des idées contraires aux nôtres.

On peut s’enfermer dans une bulle qui n’est qu’une caisse de résonance, qu’un écho de nos propres idées, qui renforce ainsi notre vision du monde.

On pensait créer une nouvelle arène démocratique.

Oui, en partie, mais on a aussi créé des tas de miniunivers parallèles qui ne dialoguent pas, mais se jettent à la tête leur seule et unique «vérité».

Nous n’y gagnons pas.

source : http://www.journaldemontreal.com/2017/03/21/mon-monde-est-plus-vrai-que-le-tien
Mardi, 21 mars 2017