En 2014, Nadia Remadna fondait à Sevran la brigade des mères, association visant à protéger les jeunes de l’islam radical. Elle est aujourd’hui poussée vers la sortie par son employeur, une école privée catholique.
Éric Brunet n’a pas l’indignation discrète. Le 24 octobre, puis le 26 octobre, c’est avec ses 644 000 abonnés que le journaliste de LCI partage sa colère sur Twitter : « Je suis scandalisé. Nadia Remadna, la militante laïque de la #BrigadeDesMères, va sans doute perdre son emploi car elle a raconté son combat contre l’islamisme dans mon émission. » L’animateur de « Brunet Direct » vient de l’apprendre : la femme qu’il a invitée après l’ assassinat de Samuel Paty pour parler des ravages de la radicalisation risque un licenciement. Son intervention sur le plateau de la chaîne, les menaces de mort dont elle est l’objet et, plus généralement, la médiatisation de sa parole font d’elle une employée indésirable dans l’établissement scolaire où elle est agent d’accueil. Invitée à une « rupture conventionnelle » par la direction, elle a refusé. Nadia Remadna a saisi des avocats. Sa liberté de parole, cette sexagénaire d’origine algérienne l’a déjà payée chèrement. Militante passionnée, ardente à défendre la laïcité dans les cités, réclamant « des écoles, des logements, du travail plutôt que des mosquées », elle a quitté la Seine-Saint-Denis après trente ans dans le département pour échapper à la furie des partisans d’un islam radical.

D’abord il y a eu la Brigade des mères, qu’elle crée en 2014 ; cette association accompagne les femmes victimes de violences et les enfants déscolarisés, attentive à les protéger de la radicalisation. Ensuite en 2016, elle publie « Comment j’ai sauvé mes enfants » (éd. Calmann-Lévy), un témoignage cinglant sur la dérive des banlieues et la complaisance des dirigeants politiques. Nadia Remadna y dénonce les élus locaux, « de gauche et de droite, qui ont Marc fermé les yeux, qui ont laissé les religieux remplacer les le 20 institutions de la République, qui ont acheté la paix sociale à coups de subventions ». Elle regrette aussi le soutien de l’État aux « grands frères » qu’elle côtoie alors au Blanc-Mesnil et qui, dit-elle, sont surtout les premiers à « faire pression sur les gamins » pour les pousser vers la religion. Conséquence immédiate : « Ils m’ont accusée de ne pas être une bonne musulmane, ils ont promis de me casser les dents, de me casser la tête s’ils me croisaient encore dans la rue. Ce ne sont pas des enfants de chœur, pas des petits dealers. J’ai démissionné. J’ai déménagé. »

À Paris, où elle s’installe, Nadia Remadna continue d’animer des réunions sur la laïcité. À l’automne 2019, elle y croise le proviseur de Saint-Sulpice, un établissement catholique privé du 6e arrondissement, qui lui dit admirer son courage et lui propose un emploi d’hôtesse d’accueil en attendant, promet-il, qu’un poste se libère à la vie scolaire. « J’avais besoin de travailler, je n’avais aucun revenu. Hôtesse d’accueil, ça ne correspondait ni à ma formation ni à mes compétences, mais j’ai accepté. J’aurais pris n’importe quoi. »

« Vous êtes à risque »

Le harcèlement, dit-elle, commence la semaine où elle prend ses fonctions, en janvier dernier, après la disparition du téléphone d’un élève. Son bureau est fouillé. Elle envoie un premier courrier indigné au directeur, qui l’exhorte à « la sérénité ». « Il s’est battu bec et ongles pour qu’on t’accepte ici. Tu fais peur », lui murmure une collègue. « J’ai trouvé ça vraiment exagéré. Je ne reviens pas de Syrie, non plus ! » Après le premier confinement, elle postule à plusieurs reprises à la vie scolaire, pour remplacer un surveillant ou dépanner un collègue absent. Refus du directeur, malgré ses promesses de l’automne. Nadia Remadna retrouve son poste d’hôtesse d’accueil, où elle essuie de nouveaux reproches de l’administration : elle serait trop zélée à appliquer les mesures sanitaires, à respecter les gestes barrières et à nettoyer son poste de travail – « J’encaisse, encore. Je réponds que je suis en contact avec les élèves, avec les parents d’élèves, avec tous les professeurs. Mais la pression commence à me peser. Je fais des crises d’angoisse, je suis arrêtée plusieurs fois. » Début juillet, un matin, elle découvre que l’accueil est déplacé à l’extérieur des bâtiments : des ouvriers travaillent à édifier une petite guérite en bois devant la grille d’entrée de l’établissement. Nouveau courrier, pour regretter de ne pas avoir été prévenue et dénoncer un manque de considération. Cette fois, Nadia Remadna reçoit un avertissement : « Ton mail met le doute et la suspicion sur les personnels de la communauté éducative. » Le changement de direction, le 1er septembre, contribue à dégrader la situation. Le jour de sa prise de fonctions, raconte Nadia Remadna, la nouvelle proviseure, Nathalie Jouclas, lui reproche brutalement, devant témoins, d’être une femme « dangereuse » qui crée des polémiques sur les réseaux sociaux. Dans sa « cabane du pêcheur », comme elle l’appelle, l’hôtesse d’accueil est effondrée, mais déterminée à rester.

Le 20 octobre, quatre jours après la mort de Samuel Paty, elle accepte l’invitation d’Éric Brunet, et, au nom de la Brigade des mères, répète sur LCI à quel point la défense de la laïcité est la seule réponse au terrorisme islamiste. L’après-midi même, sur son lieu de travail, elle est menacée de mort au téléphone. Pourtant, c’est seule qu’elle va porter plainte. Malgré la gravité des menaces, personne, à la direction de Saint-Sulpice, ne juge utile de l’accompagner. Quelques jours plus tard, à la veille de la rentrée, elle est reçue par le président du conseil d’administration, Philippe Bailly-Monthury : « Vous êtes à risque, lui dit-il. On a regardé si on avait un autre poste à vous proposer. Il n’y en a pas. » Il lui propose une solution négociée pour quitter Saint-Sulpice. Elle refuse.

Depuis le 2 novembre, Nadia Remadna n’a plus accès à Saint-Sulpice. Ses avocats, Maîtres Frédéric Pichon et Samia Maktouf, ont envoyé une mise en demeure à l’établissement pour qu’elle puisse reprendre ses fonctions : « Sa mise à l’écart n’est aucunement justifiée, résume Frédéric Pichon. C’est du harcèlement pour la faire craquer, pour qu’elle parte. » Et si les professeurs l’apprécient, ils ne se mobiliseront pas pour la soutenir : « Vraiment, j’aime beaucoup Nadia, c’est une femme bien. Mais c’est compliqué pour nous d’aller au conflit avec notre chef d’établissement », résume un enseignant, sous couvert d’anonymat. Philippe Bailly-Monthury n’a pas répondu à notre demande d’entretien. Quant à la proviseure, Nathalie Jouclas, elle nous a fixé un rendez-vous qu’elle a annulé, se contentant d’un mail : « Madame Remadna a été recrutée sur un poste de chargée d’accueil dans notre établissement et fait toujours partie de notre personnel. Nous respectons nos collaborateurs, leurs opinions et engagements extérieurs qui relèvent de leur vie privée, pour autant qu’ils n’aient pas d’incidence sur la vie ni sur la sécurité de l’établissement. » En dépit de ce respect réaffirmé pour leurs « collaborateurs, leurs opinions et engagements extérieurs », la direction de Saint-Sulpice a proposé aux avocats une compensation financière pour que Nadia Remadna accepte de démissionner. Au téléphone, celle-ci dit simplement qu’elle est fatiguée. « Au début, ils me trouvaient tous courageuse, maintenant, ils me trouvent tous dangereuse. Elle est belle, la charité chrétienne. »

source :
Elise Karlin
Récit par Elise Karlin
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