TRIBUNE COLLECTIVE – Des professionnels de santé s’inquiètent des démarches de l’association Agence des médecines complémentaires et alternatives.

Les médecines dites alternatives représentent aujourd’hui un marché en pleine expansion. 165602752/Barselona Dreams – stock.adobe.com

Le 13 mars 2021, l’association Agence des médecines complémentaires et alternatives (A-MCA) publiait une tribune dans Le Monde annonçant son intention de déposer une résolution à l’Assemblée nationale destinée à lui conférer un statut d’agence gouvernementale. Or cette association est, dans les faits, un lobby profitant de l’engouement pour les pratiques alternatives en santé qui promeut diverses figures liées à des mouvements dénoncés pour leurs dérives sectaires.

Les médecines dites alternatives représentent aujourd’hui un marché en pleine expansion. Si elles n’entraînent pas le plus souvent de dérive sectaire, elles sont malgré tout à l’origine de la majeure partie des signalements effectués auprès de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes). C’est ainsi que des centaines de milliers de personnes atteintes de maladies graves (cancers, douleurs chroniques…) sont victimes d’emprise mentale, embrigadées dans des groupes qui les isolent de la société et détournées d’une prise en charge adéquate et décisive

Bien que peu connus du grand public, les fondateurs de l’A-MCA (Véronique Suissa, Philippe Denormandie et Serge Guérin) poursuivent depuis trois ans une démarche de lobbying en faveur des «médecines complémentaires et alternatives», avec pour objectif de favoriser leur essor, leur intégration dans la formation des praticiens de médecine et leur reconnaissance par l’État. Dans une thèse de psychologie de 2017 sur l’«évaluation de l’impact des médecines complémentaires et alternatives chez les patients atteints de cancer», Mme Suissa soutient quelques pratiques non conventionnelles qu’elle présente comme peu dangereuses, oubliant les 400 pseudo-médecines pointées du doigt par l’Organisation mondiale de la santé et la Miviludes ainsi que le rapport d’enquête sénatorial de 2013 «Dérives thérapeutiques et dérives sectaires : la santé en danger». Associée à M. Denormandie (médecin et membre de son jury de thèse) et à M. Guérin (sociologue), Mme Suissa codirige en 2019 un ouvrage collectif prétendant présenter un panorama équilibré d’une cinquantaine de contributeurs favorables ou non aux pratiques alternatives. Pourtant, seul un dixième de la rédaction a été confié à des acteurs reconnus de la lutte contre les dérives sectaires. La grande majorité des 420 pages est une ode aux médecines dites alternatives.
C’est sur ce terreau d’ambiguïtés que la future A-MCA bénéficie d’importants appuis politiques et universitaires. Par exemple, un mois après la parution du livre, le Pr Jérôme Salomon, directeur général de la Santé, l’accueille au ministère pour un premier colloque. Le groupe parlementaire Libertés et territoires la fait ensuite entrer dans les murs de l’Assemblée nationale pour les Premières rencontres parlementaires des médecines complémentaires et alternatives.

L’A-MCA est officiellement fondée en septembre dernier. En février, elle organise le colloque «Lutter contre les dérives en santé», parrainé par deux députées signataires de la tribune du Monde : Laurence Vanceunebrock et Agnès Firmin Le Bodo. Ces dernières sont présentées sur le site de l’A-MCA comme «experts politiques» de l’association aux côtés des anciens ministres Myriam El Khomri et Jean Gatel, ou de députés tels que Jeanine Dubié et François-Michel Lambert, tous signataires de la tribune.

Pourtant, lors de ces initiatives de lobbying, la nécessité d’évaluer et de démontrer scientifiquement l’efficacité des «médecines alternatives», sur la santé ou le bien-être des patients, est largement éludée. Leur validité est principalement justifiée par leur popularité et l’absence supposée de dérives si elles sont pratiquées par des personnes formées et bien intentionnées.

Le plaidoyer de l’A-MCA en faveur de la formation des professionnels de santé à ces pratiques n’est pas surprenant : M. Denormandie est directeur des relations santé de la mutuelle MNH, et M. Guérin dirige le master directeur des établissements de santé à l’Inseec. Le dernier colloque de l’association était d’ailleurs hébergé par cette entreprise d’enseignement supérieur qui déclare vouloir se développer dans le champ de la santé.

On peut en revanche s’étonner de leur volonté affichée de «lutter contre les dérives en santé», lorsque plusieurs «experts» mis en avant sur le site web de l’A-MCA ou lors d’événements publics sont eux-mêmes liés à des pratiques pointées du doigt pour leurs dérives sectaires. Ainsi, l’un d’eux se revendique de la très controversée médecine anthroposophique, qui appartient à un courant occultiste né en 1913, tandis qu’un autre fait la promotion du «décodage cellulaire», technique issue de la «nouvelle médecine germanique» postulant que les maladies peuvent se guérir grâce à la pensée et tenue responsable de nombreux décès.

En février dernier, la Ligue des droits de l’homme exprimait sa vive inquiétude face aux manœuvres d’officialisation des activités de l’A-MCA. Une première étape vient pourtant d’être franchie avec l’enregistrement le 18 mars d’une résolution à l’Assemblée nationale. Au-delà de la démarche singulière de l’A-MCA pour devenir une agence gouvernementale, nous craignons que ses actions ne favorisent l’entrisme, au plus haut niveau de l’État, d’intérêts commerciaux et de mouvements sectaires liés aux pseudo-médecines. Compte tenu des enjeux et des risques inhérents aux questions de santé, cette situation est des plus préoccupantes, puisqu’elle est susceptible d’interférer avec l’intérêt des patients. Nous, professionnels de santé, universitaires et citoyens engagés contre les dérives de santé et l’emprise mentale, demandons au gouvernement et aux députés de s’opposer à la transformation de l’A-MCA en agence gouvernementale, et plus généralement aux pouvoirs publics de faire cesser la promotion de cette association.

https://www.lefigaro.fr/sciences/ne-laissons-pas-un-lobby-de-pseudo-medecines-devenir-une-agence-gouvernementale-20210411