Toucher à la loi de 1905 serait un recul de la République

C’est ce que toutes les associations laïques ont répété le 8 janvier. L’appel des 113 (113 ans de loi de 1905) soutenu par le Collectif laïque national, signé par 40 000 pétitionnaires, le réaffirme. La laïcité est un « pilier de la République » (Cour européenne des droits de l’Homme, 4 décembre 2008), au demeurant constitutionnalisé en 1946, et dont le Conseil constitutionnel a précisé (imparfaitement) la portée le 21 février 2013. Ce n’est pas un « tabou », mais bien un fondement de nos institutions. La modifier, même partiellement, constitue un signal négatif, encourageant ceux qui remettent en cause les principes de la République et les cléricaux de toute religion.

Le gouvernement renoncera-t-il finalement à modifier la loi de 1905 ? Si c’est le cas, la levée de boucliers des laïques (mais aussi des cultes, pour d’autres raisons) n’y aura pas été pour rien ! Il faut en tout cas souligner que, contrairement à ce qui est soutenu par les pouvoirs publics, les « 17 » modifications de la loi intervenues depuis 1905 ont presque toutes eu pour effet d’en affaiblir la portée — essentiellement au bénéfice de l’Église catholique. Les principales sont rappelées en encadré ci-après.

Les assurances données sur le respect des « principes » sont trompeuses

Méfions-nous quand même, car le gouvernement se contente d’affirmer qu’il ne touchera pas aux « principes » de la loi de 1905, énoncés dans ses articles 1 et 2. C’est évidemment trompeur, car ils sont mis en œuvre précisément par les 42 autres articles (2) de ce texte détaillé et concret, qui ne se réduit pas à des « principes » !

Ainsi, il existe un projet précis de modification de l’art. 19 de la loi de 1905, initialement prévu dans la loi ESSOC (3) mais reporté à la future modification de la loi de 1905. Les « associations cultuelles » de la loi de 1905, seraient autorisées à détenir et administrer tous immeubles reçus à titre gratuit (dons et legs), donc y compris un patrimoine immobilier lucratif (immeubles de rapport, commerces, etc.). L’exposé des motifs affirme sans honte qu’il s’agirait de compenser leurs « ressources en diminution » — ce qui est l’affaire de leurs seuls adeptes, et ne relève d’aucun intérêt général ! Ces immeubles lucratifs bénéficieraient en outre des divers avantages fiscaux (gratuité des dons et legs, exemption des impôts commerciaux) accordés au patrimoine des cultuelles.

Or cette modification introduirait un véritable bouleversement dans l’équilibre de la loi de 1905. En effet c’est la garantie spéciale accordée par l’État au « libre exercice des cultes » (art. 1er de la loi de 1905) qui justifie les avantages consentis (4), à condition que les associations soient exclusivement formées pour ledit exercice (art. 4, Titres III et IV). Ce sont actuellement les services fiscaux qui déterminent — ou non — ce caractère cultuel exclusif, « rescrit administratif » qui rétablit une « petite reconnaissance » des cultes. Pratique contraire à la liberté de culte et à l’interdiction de leur reconnaissance publique !

D’ores et déjà, les associations diocésaines autorisées pour l’Église catholique dérogent à cette condition depuis 1923 (voir encadré). L’objet de la modification envisagée par le gouvernement serait donc d’étendre plus largement encore cette infraction aux « principes » de la loi de 1905 !

Par ailleurs, pour apprécier les intentions du gouvernement, on se souviendra que, par la même loi ESSOC, les associations cultuelles ont été exemptées de l’obligation de déclarer leurs opérations d’influence auprès des décideurs publics. L’opacité de leur lobbyisme est donc « garantie » !

Certains objectifs affichés peuvent être atteints sans modification de la loi de 1905… d’autres sont problématiques !

L’ingéniosité juridique du pouvoir est en réalité sans limites, lorsqu’il s’agit d’opérer des modifications ‑en général sournoises et négatives — des principes de la loi. En témoignent les « baux emphytéotiques administratifs » pour la construction des lieux de culte (ordonnance du 21 avril 2006, voir encadré). Que souhaite donc le gouvernement actuel, selon sa note remise aux Obédiences maçonniques ?

1) « Renforcer la transparence du financement des cultes »

C’est le type même de mesure qui trouve sa place dans une loi de finances, y compris en incluant toute association à caractère cultuel non exclusif (loi de 1901).

2) « Garantir le respect de l’ordre public »

Le titre V de la loi de 1905 (Police des cultes) y pourvoit. S’il n’est plus en accord avec la réforme du Code pénal de 1993 (il serait temps de s’en apercevoir !) qui a supprimé les peines de prison pour les délits contraventionnels, il suffit pour cela de modifier le Code pénal lui-même, ou de faire passer ce toilettage dans le cadre d’une « loi de simplification du droit » plus générale ! Quant à la possibilité de dissoudre des associations gestionnaires de lieux de culte où se tiendraient des propos incitant à la haine ou à des troubles à l’ordre public, l’art. L.212-1 du code de la sécurité intérieure y suffit déjà (5).

Quoiqu’il en soit, l’intention annoncée de subordonner la « petite reconnaissance » (ou « rescrit administratif ») des associations cultuelles à des considérations d’ordre public, décidées par les préfets, contreviendrait au principe de « libre exercice des cultes ». Le caractère « cultuel » d’une association posé par l’art. 4 de la loi de 1905 est purement déclaratif — sauf pour l’administration à prouver qu’il y a fraude. La Cour européenne des droits de l’Homme, à plusieurs reprises, a condamné la France qui refusait, par exemple, aux Témoins de Jéhovah les avantages fiscaux attachés au caractère cultuel.

3) « Consolider la gouvernance des associations cultuelles et mieux responsabiliser leurs dirigeants »

Il n’est pas davantage conforme au principe de libre exercice des cultes d’encadrer administrativement le régime associatif des « cultuelles », sous prétexte d’éviter « les prises de pouvoir hostiles dans un lieu de culte ». On ne peut mélanger des considérations d’ordre public et de sûreté intérieure à l’organisation de la séparation entre l’État et les cultes, instaurée par la loi de 1905. Que penser enfin de la volonté d’imposer aux cultuelles de respecter « non seulement l’ordre public mais les droits et libertés garantis par la Constitution » (sic) ? Comme si le respect des droits constitutionnels n’était pas en soi « d’ordre public » !

Dans ces conditions, une éventuelle obligation pour toute association « à objet religieux » de se conformer aux statuts de 1905 des « cultuelles » apparaîtrait « liberticide ». En tout cas, elle mettrait fin aux « associations mixtes » qui assurent par exemple de la médiation sociale en plus de l’exercice du culte — sauf à modifier l’article 19 (notamment) de la loi de 1905 imposant l’objet cultuel exclusif… À moins que le Conseil d’Etat, peu ami de la laïcité, ne fasse preuve de la même mansuétude que pour les « diocésaines catholiques ? Il faudrait en outre abroger l’art. 4 de la loi du 2 janvier 1907, autorisant l’exercice du culte aux associations de la loi de 1901. On voit donc que les récents propos du Président de la République n’ont fait qu’accroître l’incertitude…

LES PRINCIPALES MODIFICATIONS DE LA LOI DEPUIS 1905 QUI L’ONT AFFAIBLIE

– La loi du 2 janvier 1907, autorisant l’exercice des cultes sous le régime de la loi de 1901 (associations cultuRelles) : c’est une dérogation aux articles 2 et 4 de la loi de 1905 ;
– La loi du 13 avril 1908, faisant des édifices du culte catholique antérieurs à 1905 la propriété des collectivités publiques, qui assument donc l’intégralité des charges afférentes : dérogation à l’art. 4 et aux titres II à IV de la loi de 1905, avantage discriminatoire au culte catholique ;
– Les “associations diocésaines”, dont le statut, accordé en 1923 à l’Église catholique, déroge à l’art. 19 de la loi de 1905, puisque leur objet ne comprend pas “l’exercice du culte” — ce, sans qu’aucune modification législative soit intervenue : il aura suffi que le Conseil d’État les admette comme associations cultuelles loi de 1905 ;
– La loi de Pétain du 25 décembre 1942, autorisant les subventions publiques “pour réparation” à tous les édifices de culte, quel que soit leur régime juridique (transfert aux associations cultuelles, propriété des collectivités publiques pour le culte catholique, ou propriété privée) ; dérogation à l’art. 2 de la loi de 1905 interdisant le subventionnement public des cultes ;
– L’ordonnance du 21 avril 2006 autorisant la construction d’édifices de culte sur des terrains publics pas baux emphytéotiques administratifs, pour un loyer de 1 € par an, pendant 18 à 99 ans : avantage financier direct à un culte contraire à l’art. 2 de la loi de 1905 ; à l’expiration des baux, les édifices deviennent propriété des collectivités publiques, autre contravention à la loi de 1905… que cependant l’ordonnance du 21 avril 2006 ne visait même pas, entendant sans doute la modifier de façon subreptice. Or le Conseil d’État a admis que cette disposition dérogeait légalement à la loi de 1905, que l’on peut ainsi modifier a posteriori sans y toucher (6) !

BY  ON 

Note(s)

1. Que le ministre de l’Intérieur avait cependant écartée dans sa lettre aux Obédiences maçonniques…
2. 38 aujourd’hui, 4 d’entre eux ayant été abrogés depuis 1905, dont l’art. 30 (supprimé en 2000, sous la gauche plurielle) obligeant l’enseignement religieux dans le primaire à se tenir « en dehors des heures de classe » (problème pour l’Alsace et la Moselle, et l’enseignement privé confessionnel sous contrat !).
3. Ex art. 38 — I du projet « Pour un État au service d’une société de confiance » (loi du 10 août 2018).
4. Auxquels il faut ajouter la déduction fiscale de l’impôt sur le revenu accordée aux donateurs, la garantie d’emprunt accordée par les communes « en développement », le recours aux baux emphytéotiques administratifs (voir encadré).
5. Il s’agirait d’ailleurs de viser « toutes les catégories d’associations » : on peut estimer dangereux pour les libertés de renforcer optiquement l’arsenal sécuritaire législatif alors que les mesures existent déjà.
6. En constitutionnalisant les principes de la loi de 1905 (décision QPC du 23 février 2013), le Conseil constitutionnel a très opportunément « oublié » l’interdiction de subventionner les cultes (art. 2), à laquelle une loi simple peut donc à tout moment déroger !