Rappelons que le conflit entre la secte des esséniens et la municipalité de Cookshire-Eaton devait prendre un nouveau tournant aujourd’hui avec l’inspection de des bâtiments sur place.

Récit d’une visite en «terre essénienne» :

Alors que j’étais sur l’autoroute 10 à quelques heures du domaine des esséniens dimanche matin, j’ai commencé à me mettre dans la peau d’un personnage. Ce personnage: Éric Gendron, un jeune homme de 26 ans qui n’a pas de diplôme d’études secondaires et qui gaspille sa vie en vendant de la drogue tout en consommant son propre produit.

Avec mon visage mal rasé, mon chandail hip hop comprenant un graffiti, mes bijoux en or et ma Chevrolet impala 2003 tellement maganée qu’on jurerait qu’elle a été vandalisée, j’avais vraiment le physique de l’emploi.

À 11h05, j’entre dans le domaine avec ma voiture, une petite pancarte colorée bordée d’arbres me confirme que je suis au bon endroit. L’entrée étroite devient rapidement une immense clairière, je ne peux m’empêcher d’être frappé par la beauté des lieux. Au milieu de l’endroit, il y a un étang respectable dans lequel coule un ruisseau en passant par de petites chutes qui semblent avoir été aménagées près du petit pont qui mène plus loin dans les terres.

Le coloris automnal mélangé aux conifères avec le bruit réconfortant de l’eau font, dans l’ensemble, un effet quasi surréel amplifié par les rochers sur lesquels des runes ont été peintes. Un totem coloré se trouve en bordure de l’étang, à côté d’une installation aux proportions particulières. Il s’agit de l’édifice d’accueil/salle commune pour manger/dépanneur/librairie que je ne visite pas tout de suite.

Une série de rallonges

Ma première réflexion en voyant ce bâtiment rustique aux murs de bois : ça ressemble à une série de rallonges, qu’on bâtirait autour d’un chalet, qui seraient reliées les unes aux autres sans construction principale. On m’observe, une femme est assise en bordure de l’étang avec deux jeunes enfants et elle me dévisage. Je lui lance un regard fuyant avant d’examiner la salle commune qui était vide, je m’avance donc d’une démarche anxieuse et engourdie sur le pont en direction d’autres bâtiments que j’aperçois à travers les arbres.

Tous les édifices que je croise en marchant sont visiblement des habitations. Certains ont des allures de triplex alors que d’autres ressemblent d’avantage à des bungalows. La qualité du revêtement extérieur varie d’un bâtiment à l’autre, jusqu’à ce que j’aperçoive une structure qui se démarque. L’édifice est couvert de vinyle jaune soleil, il est au somment d’une colline et j’aperçois du mouvement à l’intérieur.

L’expérience essénienne

Je me rends jusqu’à la porte alors que je suis dans mon rôle à fond. J’entre, la femme assise à la table d’accueil me regarde et me fait un signe de tête en me parlant. Je ne dis rien, je m’avance vers elle et lui fait un signe de tête en lui lançant un regard partagé entre la menace et l’épouvante.

J’accroche mon manteau et je m’avance dans la grande salle. Des dizaines de personnes de tous âges sont assises sur des chaises pliantes autour du gourou : Olivier Manitara né Olivier Martin selon le site Esséniens.org.

Sa voix est portée par des moniteurs alors qu’un homme filme la cérémonie, l’équipement multimédia semble de bonne qualité. Une femme toute vêtue de blanc, comme beaucoup d’autres esséniens, se lève et regarde mon personnage, visiblement en détresse, avec une bienveillance infinie.

Elle prend ma main dans la sienne et la serre chaleureusement en me souriant, elle me parle mais je me contente de la dévisager alors que je suis déconcerté. Elle place sa chaise entre deux membres du groupe en m’invitant à m’asseoir. J’obtempère nerveusement.

Un orateur de talent

Manitara est, de toute évidence, un orateur de talent. Son message est réconfortant mais incite fortement au mode de vie des esséniens. Il parle des 4 éléments et vante l’existence sacrée dans le domaine de Cookshire-Eaton. Il dit que les plantes, les animaux, les rochers et les phénomènes météorologiques sont partie intégrante de l’être humain et qu’ils vivent à travers chaque personne.

Manitara affirme, avec la confiance d’un chef d’état fraichement élu majoritairement, qu’il faut offrir son propre corps aux anges de paix et que pour ce faire, il faut arriver à contrôler ce qui vit dans l’être à l’aide de médiation, d’étude et de recherche de soi.

À noter que les références au Dieu des chrétiens et à Jésus font partie de ses propos. Il se dit toutefois en désaccord avec la femme qui est symbole de souffrance dans la bible. Son discours de paix change seulement de ton quand il écorche la société et les institutions crées ainsi que gérées par l’homme. Il le fait habilement, parfois fermement et parfois sur le ton léger de la blague.

Des recommandations douteuses

Il a parlé de gens qui auraient mis le feu à un édifice qui servait à la collecte d’impôts. En plus de féliciter le geste pendant que des fidèles s’esclaffent de rire, il recommande d’en faire autant que possible en qualifiant cela de multiples feux de joie.

Pendant le discours, un autre homme barbu se retourne pour me fixer, du coin de l’œil j’ai l’impression qu’il est méfiant. Je lui lance alors un regard mauvais et il détourne les yeux, je suis pratiquement assis entre sa femme et lui. À la fin du discours, tous se mettent à chanter joyeusement et mon nouvel ami me regarde avec un sourire franc et me serre chaleureusement la main. Je lui demande d’aller dehors.

L’homme me demande ce que je fais et ce que je cherche. Je lui réponds avec cette question : est-ce que tout le monde peut être sauvé ? L’homme devient alors un psychothérapeute et donne l’impression de s’en faire pour mon sort comme un frère proche.

Un Français

Nous marchons dans le domaine pendant qu’il écoute mon histoire où je me dis déchiré par mon mode de vie. Je lui parle de drogue, de violence et de vice dans la vie des bars. Ses paroles de réconfort calment mon personnage qui ne veut pas en dire trop à un étranger.Nous marchons et les jeunes enfants le saluent par son nom : Benoit. À noter que Benoit parle avec un accent français.

Il m’emmène devant une résidence ou un homme charge sa voiture en compagnie de sa petite famille. Cet autre homme se nomme Rémi. Il me demande ce qui m’amène et je lui résume en 3 phrases honteuses. Il me raconte alors sa propre histoire : Rémi dit être un ancien trafiquant de stupéfiants sur une réserve autochtone. Il soutient avoir côtoyé des individus louches comme des motards criminalisés et dit avoir eu lui aussi de graves problèmes de consommation.

C’est alors qu’il me montre ses avant-bras tapissés de grosses cicatrices, visiblement musclés par du travail de construction. Les cicatrices sont blanches, preuve qu’elles sont relativement anciennes. Elles sont impressionnantes et nombreuses, elles témoignent de ses tentatives de suicide et de ses épisodes d’auto mutilation.

Un nouvel ami

Je me montre impressionné par le fait qu’il a maintenant une vie sereine avec une petite famille dans sa propre maison en ce lieu paisible. Au moment de lui dire au revoir, il me prend dans ses bras comme un frère.

Benoit me ramène vers le temple, il propose de me ramener à l’accueil dans une voiturette de golf. Je lui pose alors des questions sur son mode de vie au domaine. Il me propose donc une visite en voiturette de quelques lieux de culte et de sa maison. J’accepte et nous conversons sans arrêt.

Il me dit qu’il est d’origine suisse et qu’il a 30 ans. Il dit que son père est médecin et qu’il a lui-même fait des études en médecine. Il parle à des esséniens d’Europe avant de venir s’installer au domaine après avoir pris connaissance de l’acquisition en 2007 afin de combler un vide.

Nous arrivons au temple du feu, encore une fois je suis impressionné. Cette construction est de toute beauté avec des colonnes faites de troncs d’arbres qui soutiennent un toit rouge. Un foyer brule au centre entouré de piles de bois de chauffage. Nous passons devant des jardins et des serres près de sa maison. L’installation n’est pas encore complétée malgré le fait qu’il la construite depuis des années.

La rémunération en assistant d’abord aux séminaires

Il dit que sa rémunération provient de l’ordre pour les travaux de construction sur d’autres habitations. Je lui demande si c’est possible pour tous d’être rémunérés par l’ordre, il répond qu’il faut d’abord suivre les séminaires. Il me ramène à l’accueil et me fait visiter le premier bâtiment que j’ai vu, il m’offre même à manger. C’est alors que je rencontre d’autres jeunes dans la librairie, dont un couple avec un jeune enfant. Ils sont tellement gentils que j’en suis presque gêné … Je quitte les lieux en prenant le numéro d’un gars qui s’appelle Ange.

Je l’appelle pour être sûr qu’il a le mien (heureusement il ne relève pas le 514). Un monsieur assurément dans la soixantaine, Pierre, qui vient de Gatineau, m’accompagne dehors quand je sors. Il m’avait donné 2 cigarettes à la sortie du temple. Pierre dit être le père d’un agent immobilier que je connais de nom.

Il me parle de son entreprise et de la façon dont il a été floué par son associé. Il dit qu’il vient de gagner le droit de construire sa demeure dans le domaine. Il admet que ça lui coute 5000 dollars pour s’établir et par la suite, 400 $ par mois à vie selon ce qu’on lui promet.

Pour en arriver là, il fait des séminaires depuis 2009 mais ne parle pas du cout des séminaires. Selon les récents articles, on parle de milliers de dollars pour un seul séminaire. Les esséniens m’ont affirmé que pour 4 jours de séminaire, le cout est de 620 $ repas et hébergement compris.

http://www.985fm.ca/national/nouvelles/notre-journaliste-en-visite-chez-les-esseniens-350276.html