Nous avons sur le site Automates Intelligents essayé d’informer le plus fidèlement possible nos lecteurs sur ce qu’il faut bien nommer l’évolution des théories sur l’évolution. Tout évolue dans le cosmos tel qu’il est connu aujourd’hui. Mais c’est l’évolution de la vie, phénomène jusqu’à ce jour uniquement observé sur Terre, qui a toujours retenu l’attention, tant des scientifiques que du grand public.

D’innombrables écrits religieux, venant des grandes religions monothéistes, catholicisme et islam notamment, affirment, évidemment sans preuves aucunes, que le vivant a été créé par Dieu sous les formes qu’il manifeste aujourd’hui. L’idée que le vivant évolue serait donc à rejeter comme contraire aux Ecritures. Sans mentionner le monde musulman, particulièrement opposé à toute hypothèse concernant l’évolution de la vie, une grande majorité de croyants relevant du catholicisme ou du protestantisme évangélique, aux Etats-Unis mêmes, considèrent que la vie a été créée très récemment et n’a pas évolué – ou très peu – depuis lors. Il s’agit du Créationnisme qui, curieusement, dans une Europe réputée plus cartésienne que l’Amérique, progresse actuellement sur le Continent. Ici même, des intervenants (provocation ou aveuglement) continuent à affirmer rageusement que l’Evolution n’existe pas

Aujourd’hui, dans le monde scientifique, où nul ne nie évidemment le phénomène général qu’est l’évolution de la vie, ce fut depuis Darwin la théorie dite de l’évolutionnisme darwinien qui a été très généralement admise. Mais le darwinisme initial a lui-même évolué depuis ses origines dans la seconde moitié du 19e siècle. Le modèle initial de Darwin reposait sur une constatation, généralement partagée par tous les naturalistes et les éleveurs, que les espèces vivantes évoluent sur le mode transmission héréditaire, introduction de variations accidentelles, mise en concurrence des nouvelles espèces en résultant avec les anciennes et sélection(survie) des plus aptes à s’adapter au sein d’un milieu naturel lui-même changeant. Mais Darwin n’avait pas, compte tenu des connaissances de son époque, put expliquer les causes biologiques de ce phénomène général.

{{La théorie synthétique de l’évolution}}

Ce furent, à la suite des travaux de Mendel, ceux que nous appellerons pour simplifier les généticiens, qui ont mis en évidences les facteurs permettant la transmission des caractères, mais aussi les mutations affectant ces facteurs, et les sélections en résultant. Ces facteurs sont les gènes, identifiables au sein des ADN cellulaires. La théorie génétique de l’évolution a été nommée le modèle néo-darwinien ou théorie synthétique de l’évolution. Elle s’est construite entre 1940 et 1960 mais elle n’a cessé de se complexifier depuis compte tenu des progrès dans la connaissance des phénomènes intimes du vivant, notamment la biologie moléculaire.

Un grand nombre de travaux ont permis dans la seconde moitié du 20e siècle de préciser les modalités de l’hérédité, des mutations et plus généralement du rôle du génome dans la synthétisation des millions de protéines (ou protéome) à partir desquelles se construisent dès l’apparition de l’oeuf fécondé les différents organismes, avec leurs spécificités. Au niveau de l’évolution des espèces, la génétique dite des populations étudie la distribution et des changements de la fréquence des versions d’un gène (ou allèle) dans les populations d’êtres vivants, sous l’influence des pressions évolutives . On a pu mettre en évidence outre les mutations et la sélection naturelle, des mécanismes dits de dérive génétique, de recombinaison (recombination) et de migration expliquant les variations entre espèces.

{{Fin du déterminisme génétique. L’ontophylogenèse.}}

A partir des années 1970-1980, cependant un nombre croissant de biologistes se sont insurgés contre les abus de ce qui a été nommé le tout génétique. ou déterminisme génétique. Ils ont montré que des relations complexes s’établissaient entre les espèces et entre celles-ci et l’environnement, sans dans un premier temps affecter le génome. Un des pionniers de cette approche fut en France le biologiste Jean-Jacques Kupiec, dont nous avons présenté les recherches en leur temps 1)

Comme rappelé ci-dessus, la très grande majorité des biologistes évolutionnaires d’inspiration naturaliste (ou matérialiste) admet aujourd’hui que la formation des espèces, c’est-à-dire l’ontogenèse, nécessite pour être comprise de faire appel au darwinisme. Celui-ci peut être résumé au principe de l’évolution sur le mode variation au hasard/sélection/amplification, Par contre, en ce qui concerne la formation des individus à l’intérieur des espèces, la très grande majorité des biologistes estimait jusqu’à ces dernières années que c’était le programme génétique transmis par l’intermédiaire de l’ADN reproductif qui déterminait la séquence d’apparition des différents organes de l’embryon. Son influence se prolongeait tout au long de la vie.

Les gènes, dans l’acception qu’en donnaient les défenseurs du « tout génétique », définissaient donc dès avant la naissance les propriétés et aptitudes de l’individu. La biologie moléculaire s’était efforcée de montrer qu’il s’agissait de processus rigoureux, déterministe, excluant donc, sauf accidents, le hasard. Le terme même de programme génétique, faisant penser à un programme informatique et à des informations numériques, faisait illusion. En aucun cas pourtant, il ne s’agit d’algorithmes s’appliquant par oui ou par non. Si bien que des individus issus d’un même génome (tels les jumeaux vrais) peuvent être différents.

Certes, il était vite apparu aux biologistes moléculaires que les gènes n’intervenaient pas directement dans la fabrication de l’embryon. Des médiateurs protéiques spécifiques faisaient le relais entre le gène ou les gènes supposés contribuer à la formation de l’organisme et les cellules directement concernées par l’ordre d’apparition et l’architecture des organes. Mais il s’agissait d’un mécanisme, totalement déterministe, excluait toute variation aléatoire. sinon par accidents. Une propriété qui avait été nommée la stéréospécificité permettait d’expliquer comment les protéines synthétisées (et repliées) sous l’influence des gènes ne pouvaient correspondre qu’à un et à un seul type d’organite infracellulaire ou de cellule. L’image popularisée alors fut celle de la clef qui ne peut ouvrir qu’une seule serrure.

En ce qui concerne l’ontogenèse, c’est-à-dire la formation des espèces, l’étude plus précise du rôle des gènes avait montré que l’intervention des gènes et des protéines dont ils provoquaient la synthèse était bien plus complexe que celle résumée par le concept « un gène, un caractère ». Des gènes dits régulateurs avaient été identifiées. Le protéome ou catalogue des protéines impliquées dans la reproduction s’est révélé par ailleurs infiniment plus riche que le catalogue des gènes propres à chaque espèce. La stéréospécificité apparut alors comme loin d’être systématique, le même morceau d’ADN pouvant diriger l’assemblage de protéines différentes, dont l’une seulement intervenait dans la suite de l’embryogenèse.

Par ailleurs, il n’était plus niable que dès sa formation, l’embryon était soumis aux contraintes du milieu, notamment du milieu social dit aussi milieu culturel. Le milieu influe de façon plus ou moins importante sur le développement de l’individu, selon des modalités étudiées dans le cadre d’une approche devenue depuis systématique, l’épigénétique.

En ce qui concerne l’évolution des génomes, c’est-à-dire la phylogenèse, il était apparu parallèlement que des phénomènes difficiles à considérer comme de simples mutations aléatoires pouvaient contribuer efficacement à la formation de nouvelles espèces ou à des modifications du génome à l’intérieur d’espèces existantes. Citons par exemple le transfert horizontal de gènes (très répandu, et pas seulement chez les bactéries) ou, à une autre échelle, la sélection de groupe présentée comme agissant sur l’ADN non d’un individu isolé mais de nombreux individus au sein d’un groupe soumis à une pression sélective. Il s’agissait en quelque sorte de mutations orientées. Jean-Jacques Kupiec a démontré le fonctionnement probabiliste des gènes et le caractère également probabiliste des interactions entre protéines synthétisées par ces gènes au cours de l’ontogenèse. Il a nommé cette théorie l’ontophylogenèse.

La théorie étendue de l’évolution, ou synthèse étendue

http://img.agoravox.fr/local/cache-vignettes/L106xH160/Evolution_Th518b-6edfe-848be.jpgDans la ligne des travaux étudiant les relations complexes entre ontogenèse et phylogenèse, de nombreuses recherches ont été menées depuis le début du présent siècle. Nous avons le plus fidèlement possible relaté les résultats de celles-ci dès qu’elles faisaient l’objet de publication. Un livre récent en propose une liste assortie de commentaires détaillés. Il s’agit de Evolution – the Extended Synthesis, par Massimo Pigliucci et Gerd Müller. 2)

Les auteurs, qui ont été choisis principalement parmi des biologistes, montrent que depuis le livre fondateur de Julian Huxley’s Evolution : The Modern Synthesis, des progrès considérables ont été faits, tant dans le domaine de la biologie proprement dit que dans celui des développements théoriques pouvant en être déduits. En conséquence, les théories de l’évolution incluent aujourd’hui des domaines de recherche qui étaient insoupçonnée des auteurs de la théorie synthétique de l’évolution. Pour un petit nombre de ces auteurs, les nouvelles recherches ne remettent pas fondamentalement en cause les bases de la théorie synthétique. Pour la plupart au contraire, elles obligent à les redéfinir radicalement.

Ils aboutissent ainsi à ce qui a été nommé dans le titre du livre une nouvelle Synthèse intéressant l’évolution, qualifiée de Synthèse Etendue. Il ne s’agit pas, comme certains polémistes le disent volontiers (pour qui le darwinisme reste une bête noire), d’affirmer que désormais Darwin est démenti. En effet, comme précédemment avec la théorie synthétique de l’évolution, les postulats fondamentaux posés par Darwin ne sont pas modifiés, mais ils sont considérablement enrichis et étendus. Il est bien dans la logique de la science matérialiste de procéder ainsi.

Nous avons sur ce site, au fil du temps, publié des articles précisant les nouvelles recherches et leurs apports. Le lecteur curieux pourra les y retrouver. L’ouvrage présenté ici, Evolution – the Extended Synthesis, en fournit des analyses très complètes. Il n’est évidemment pas possible de les résumer. Nous y renvoyons le lecteur.

Le schéma proposé en libre accès par les auteurs du livre, en donne une image très parlante. Dans le centre en blanc on retrouve les concepts rendus célèbres par Darwin. Dans la bulle en gris clair, sont mentionnés ceux de la théorie Synthétique. Enfin, dans la bulle gris sombre, figurent les nouveaux concepts constituant la Synthèse Etendue telle que définie par les auteurs. Parmi ceux-ci, citons la théorie de l’Eco-devo, la construction de niches, les théories de l’évolution épigénétique, la sélection à multi-niveaux (incluant la sélection de groupe) , la théorie du réplicateur et les théories récentes intéressant l’évolution génomique (par exemple les transferts de gènes).

{{Vers une approche post-biologique de l’évolution}}

Par post-biologique, nous entendons ici une évolution qui continuerait à intéresser un grand nombre d’organismes biologiques ou de gènes d’origine biologique, mais associée avec des processus ou organismes relevant de la vie génétiquement modifiée ou artificielle, de l’intelligence artificielle adaptative et d’une robotiques de plus en plus autonome. On aboutira à des animaux ou humains dits augmentés, à des cerveaux artificiels et, comme l’a depuis longtemps étudié Alain Cardon, à des consciences artificielles animant des organismes artificiels pouvant ne plus conserver que de lointains rapports avec l’humain. On remarquera que les biologistes auteurs du livre précédent font à peine allusion à ces recherches ou les ignorent. C’est sans doute un effet de ce que l’on nomme l’enfermement disciplinaire.

Il a par contre toujours été dans le coeur éditorial de notre site de signaler les progrès continus et accélérés se déroulant dans les différents domaines scientifiques et technologiques intéressés par ces recherches. Nous avons par ailleurs incité les lecteurs à réfléchir aux conséquences économiques, politiques et philosophiques de tels travaux. Certains sont publiquement documentés par des chercheurs universitaires, mais d’autres, en bien plus grand nombre, relèvent désormais du secret défense. Autrement dit, ils sont mis au service de petites minorités d’humains disposant des pouvoirs militaires et économiques, entraînant la capacité de dominer par la contrainte de très larges majorités d’humains désormais asservis.

Dans la suite de ces développements inégalitaires, les concepts de transhumains ou de post-humains sont devenus aujourd’hui très populaires. Ils font l’objet de nombreux débats. Il faut bien voir cependant que l’accès au post-humanisme restera le privilèges des minorités dominantes évoquées ci-dessus. Ceci pour deux raisons, d’une part parce que cet accès supposera des moyens économiques considérables, hors de la portée du tout venant des humains. D’une part et tout autant parce qu’il s’agira d’instruments de pouvoirs et que ceux disposant du pouvoir ne le partagent pas.

Parallèlement donc à l’émergence d ‘organismes biologiques relevant du post-humain, subsisteront des effectifs innombrables de populations relevant de l’humain traditionnel. Celles-ci subiront de plein fouet les conséquences des changements climatiques et des raretés innombrables prévus pour la fin du siècle. Il sera vite tentant alors de qualifier les plus démunis d’entre eux de sous-humains, surtout s’ils se réfugient dans différentes formes de violence. Effectivement, ainsi qualifiés et rejetés, ils le deviendront de plus en plus.

Les différentes formes de vie augmentée et vie artificielle évoquées ici affecteront aussi les organismes biologiques traditionnels, qu’il s’agisse des micro-organismes ou des formes les plus complexes du monde animal et du monde végétal. En ce qui les concerne, la compétition darwinienne pour la survie continuera évidemment à s’exercer. On peut prévoir qu’en sortiront victorieuses les différentes espèces virales ou bactériennes présentes sur Terre depuis les quelques milliards d’années pendant lesquelles la vie s’est développée. Tout laisse craindre au contraire que la plupart des espèces complexes ne puissent pas s’adapter spontanément, faute de temps et face aux agressions multiples qu’elles subiront.

Dans le meilleur des cas, elles ne survivront que dans des zoos et musées, ainsi que sous forme de banques de gènes censés pouvoir repeupler la Terre après les grandes extinctions devant marquer ce que l’on nomme désormais les formes ultimes de l’anthropocène.

Rappelons que nous avons proposé d’utiliser te terme de systèmes bioanthropotechniques pour désigner les symbioses durables et évolutives s’étant établies depuis l’apparition des premiers outils au temps des australopithèques, et culminant aujourd’hui avec l’explosion des technologies de l’artificiel que nous venons d’évoquer. Ce terme n’est pas là uniquement pour créer gratuitement un concept original. Nous l’avonsexplicité dans différents articles et ouvrages (3) .Nous comptons publier prochainement sur ce site, en accès libre, un petit essai actualisant le concept de complexe bio-anthropotechnique, tant au regard de l’évolution des théories et pratiques intéressant la composante biologique de ces complexes que de l’évolution des technologies associées.

Notes

1) Voir Jean-Jacques Kupiec. Ni Dieu ni gène. Pour une autre théorie de l’hérédité (Seuil, 2000), suivi de L’origine des individus
http://www.automatesintelligents.com/biblionet/2009/mai/oringinesindividus.html

2) Evolution – the Extended Synthesis, par Massimo Pigliucci et Gerd Müller. 2010 avec rééditions. The MIT Press Cambridge, Massachusetts, London,
Lire aussi
http://mitpress.mit.edu/books/evolution-extended-synthesis
Lire aussi http://www.nature.com/news/does-evolutionary-theory-need-a-rethink-1.16080?WT.ec_id=NATURE-20141009r
Lire aussi http://mitpress.mit.edu/sites/default/files/titles/content/9780262513678_sch_0001.pdf

3) Voir notamment JP. Baquiast, Le paradoxe du Sapiens. JP. Bayol, 2010

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source : AgoraVox le média citoyen
http://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/nouvelles-theories-sur-l-evolution-161384
par Automates Intelligents (JP Baquiast) (son site)
vendredi 2 janvier 2015