Interview croisée de Denis Conus, préfet de Lot-et-Garonne, et Michèle Lugrand, directrice de cabinet, sur les missions du Renseignement intérieur en matière de radicalisation.
{{Pourquoi choisir de communiquer aujourd’hui sur les mouvances radicales et non pas après les attentats de janvier dernie}}r ?
Denis Conus. Parce qu’à ce moment-là c’était prématuré et sensible, l’heure de réimpulser des valeurs de fraternité et de tolérance… En réalité depuis le printemps 2014, le Gouvernement a pris conscience d’un phénomène nouveau : le départ de jeunes vers des zones de combats en Syrie, Irak, attirés par Daesch. 110 Français ont été témoins ou ont participé à des exactions. Il y a ceux qui ne peuvent plus revenir et ceux qui ont commis des actes criminels et qui tomberaient sous le coup de la loi. Le Gouvernement a souhaité protéger ces jeunes, comprendre les raisons de leur embrigadement et de leur départ. Et d’autre part, renforcer la sécurité de la communauté nationale. Deux lois ont apporté des moyens nouveaux : l’intensification de la traque des réseaux terroristes recruteurs sur Internet et aujourd’hui, la loi sur le renseignement intérieur qui permet d’accroître les expertises techniques. Enfin le Gouvernement a mis en place un numéro vert pour que des familles puissent signaler si un proche change de comportement, montre des signes de radicalisation. Des évolutions vestimentaires, alimentaires, le refus de serrer la main, un discours très anti-occidental…
{{Quels services s’occupent spécifiquement de ces questions en Lot-et-Garonne ?
}}
Denis Conus. Les services du Renseignement territorial et du Renseignement intérieur. Quand un cas concerne le Lot-et-Garonne, nous recevons une fiche de L’Unité de Coordination de la Lutte Anti-terroriste (UCLAT) avec une identité et des renseignements précis. Jusqu’à présent, nous n’avons eu affaire qu’à des personnes réellement inquiètes. Pas de manipulation.
{{Quelles suites sont données ?}}
Michèle Lugrand. On creuse les informations. Nous recevons la personne qui a fait le signalement et nous procédons à l’évaluation du mineur. Cela donne lieu derrière à un travail d’investigations sur des réseaux éventuels, des contacts. Parallélement, ce jeune en détresse fait l’objet d’un suivi et d’un accompagnement social et éducatif.
Denis Conus. Le service du Renseignement doit faire son travail, mais la société doit répondre aussi à ces appels au secours. Dans les services publics, des référents ont été formés à identifier les signaux faibles ou masqués de la radicalisation : la tendance au repli sur soi, les ruptures sociales et professionnelles. Mais il faut éviter les amalgames et les caricatures. L’absence d’hystérie au lendemain des attentats de janvier a démontré la sagesse et le discernement collectif.
Nous organisons des réunions hebdomadaires avec les forces de l’ordre, le Procureur et les services du renseignement sur les dossiers et vérifications en cours avec remontée à l’UCLAT. La circulation de l’information interservices est fluide.
{{Beaucoup de cas recensés ?}}
Depuis octobre 2014, 12 signalements (5 mineurs et 7 majeurs entre 15 ans et 40 ans, 50 % de filles, 50 % de garçons) émanant de la cellule nationale et 6 signalements départementaux. Nous n’avons pas noté d’accélération après le 7 janvier. Ces profils «à risques» relevaient plus des problèmes psychologiques ou sociaux que de la radicalisation pure. Trois mesures administratives d’interdiction de sortie du territoire pour des mineurs ont été prises. Mais, il n’a été mis en évidence aucun départ imminent pour le djihad au sens combattant du terme et non spirituel, ni jeune identifié comme étant de retour. Personne ne se revendique du djihad en Lot-et-Garonne.
La consultation de sites spécialisés représente le cœur de ces signalements. Progressivement des jeunes sont ciblés pour leur fragilité, isolés de leur milieu, et conduits à des choses radicales par le biais de discours formatés. Un filtre s’opère via ces filières de recrutement. Les filles sont endoctrinées sous couvert de l’humanitaire et les garçons par la vision conquérante de Daesch et la fascination pour les scènes de décapitation. Cela passe aussi par des conversions, malgré une ignorance de l’Islam. À l’heure où la jeunesse impatiente n’ouvre plus un livre, cette incompatibilité avec le temps, la réflexion et l’effort est compensée par Internet.
Michèle Lugrand. Ce sont des jeunes perdus qui auraient pu aussi basculer dans la délinquance. Nous avons eu aussi le cas d’une mineure désireuse de se marier.
L’arrestation d’un salafiste algérien aux débuts des années 2000, une suspicion d’appartenance au groupuscule «Forzane Alizza» en 2012 et des prédicateurs rigoristes, montrent que le département peut servir de terreau à un fondamentalisme religieux. Certaines mosquées sont-elles surveillées ?
Denis Conus. Nous sommes attentifs, mais l’Etat ne se mêle pas de religion, ni de la liberté de culte. Il existe, il est vrai, des courants plus ou moins conservateurs. Nous n’intervenons qu’en cas de troubles à l’ordre public ou de risques avérés. Si un discours radical était tenu ici ou là par un imam autoproclamé, ça se saurait vite. Nous savons que beaucoup de gens qui gèrent sereinement ces lieux de prière, ne l’accepteront pas. Ils sont les meilleures sentinelles.
Par contre, le vrai défi ce sont les aumôniers des prisons agréés par l’Etat, qui ne sont que deux pour le département et débordés.
Le rôle de l’état est de protéger les personnes contre une radicalisation sectaire qui n’a pas d’autre aspiration que la violence.
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Recueillis par C.St-. P
En savoir plus sur http://www.ladepeche.fr/article/2015/05/22/2109652-pas-de-candidat-au-djihad-identifie-dans-le-47-47.html#6qPpRAs49er6uis0.99
source : http://www.ladepeche.fr/article/2015/05/22/2109652-pas-de-candidat-au-djihad-identifie-dans-le-47-47.html
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