En réponse à l’homme qui détient la vérité,

Par Michel Tubiana, président d’honneur de la Ligue des droits de l’homme.

Ce qui caractérise le mieux le propos de Patrick Kessel dans Libération du 15 février, c’est la certitude qu’il détient la vérité. D’un côté, le sien, donc nécessairement le bon, sont «les tenants d’un humanisme… ce sont les héritiers des Lumières…», etc. De l’autre, ce sont les tenants du communautarisme assigné aux origines, à l’ethnie et à la religion et à la terre. Ils sont prêts à tout même à renégocier les principes de la République. Et pour parfaire la diabolisation de ceux et celles qui ne partagent pas sa vision, il les relie à l’idéologie d’extrême droite.

Observons la méthode. Patrick Kessel se pose en héritier des Lumières, leur attribue ce qu’il pense et en déduit dans les termes les plus outranciers ce que sont ses contradicteurs : des traîtres à la laïcité et à la République. La majorité des membres de l’Observatoire de la laïcité, de nombreux universitaires et chercheurs, des associations comme la Libre pensée, la Ligue de l’enseignement ou la Ligue des droits de l’Homme (qui n’ont sans doute pas la même représentativité éminente du Comité Laïcité République (CLR), présidé par Patrick Kessel de manière inamovible…) seront ainsi navrés d’apprendre qu’ils sont excommuniés par le détenteur de cette vérité devenue aussi intangible qu’un dogme religieux.

Est-ce une manière de débattre ? C’est bien plus attiser le conflit en cherchant non pas à comprendre mais à combattre. Est-il possible de mener le débat autour de ces enjeux quand l’un des protagonistes de la controverse commence par, au mieux, caricaturer, au pire à dénaturer sciemment les positions de ses contradicteurs ? Je ne pense pas un seul instant que Patrick Kessel soit islamophobe, raciste ou quoi que ce soit de ce genre. Je pense simplement qu’il se trompe dans son analyse et encore plus sur les réponses qu’il apporte à des problèmes dont il serait stupide de nier l’existence. Est-il simplement possible que lui, comme d’autres, abandonnent leur posture de statut du commandeur autoproclamé et consentent à s’abaisser à notre niveau en admettant que leurs constats sont discutables, comme les nôtres, que nous sommes aussi attachés qu’eux à la liberté de conscience, à la forme qu’elle a prise dans notre pays qu’est la laïcité des institutions, etc. Cela est-il encore possible ? Pour cela, il faudrait un peu moins de certitude et un peu plus d’humilité, une ouverture sur la complexité des situations et des réponses qui fait manifestement défaut. Et puis peut-être un peu plus d’empathie avec la souffrance des autres.

Mais, ne désespérons pas. Même Patrick Kessel peut changer.

Michel Tubiana président d’honneur de la Ligue des droits de l’homme.

source : liberation.fr du 19 février 2016
http://www.liberation.fr/debats/2016/02/19/patrick-kessel-la-question-de-la-laicite-vaut-mieux-qu-un-proces-en-excommunication_1434641