Face aux mairies et aux clubs locaux, c’est en tant que messagers de la paix qu’ils se présentent, occultant leur spiritualité pourtant au coeur de cette course vécue comme une méditation.

Le café tant apprécié par les magistrats sera quelque peu troublé ce matin : la place Arago, en face du palais de Justice de Perpignan, et ses terrasses ensoleillées, lieu adéquat pour peaufiner sa plaidoirie en silence, verra l’arrivée de deux vans perturbateurs. Descendent des véhicules, l’équipe en jogging bleus et baskets de Peace run. Ce groupe de coureurs de fond, qui parcourent l’Europe pour diffuser la paix, n’a rien à envier à l’organisation d’un staff d’une grande équipe de sport.

Dans une cadence folle, des flyers sont distribués, des drapeaux sortis et une banderole est étendue. Une fois la flamme de la paix allumée, proche de celle des Jeux Olympiques, le groupe se rassemble pour la photo qui illustrera l’article du journal régional. Malgré la vitesse de l’action, cette image respirera la plénitude par le sourire de ses participants. On y verra la quinzaine de coureurs de Peace Run mais aussi des enfants brandissant le flambeau symbolique accompagnés des clubs perpignanais de karaté et de course à pied. Les prises de photographies seront furtives : le maire de Perpignan, Jean-Marc Pujol, les attend quelques rues plus loin pour une cérémonie. Toute l’assemblée disparaît au pas de course de la place, intriguant le peu de touristes présents.
Sri Chinmoy n’étonne personne

A l’Hôtel de Ville, tout l’attirail est ressorti. C’est le moment pour le svelte et bronzé Autrichien, Dipavajan Renner, coordinateur de Peace run en Europe, d’en dire plus sur la course : “Nous sommes très heureux d’être accueillis parmi vous. Nous sommes un groupe international qui court pour la paix. Notre parcours s’étend sur 24 000 kilomètres et 47 pays (…) L’initiateur de Peace run s’appelle Sri Chinmoy (…)”. “24 000 kilomètres !”, reprend le maire étonné.

Avec une courtoisie politique, encore plus forte en période électorale, l’élu les remerciera de leur passage dans la ville, après que les joggeurs aient chanté leur hymne phare, composé de nouveau par Sri Chinmoy, dont le nom oriental ne semble interroger personne. Ni l’adjointe aux sports en charge de la cérémonie, qui ne connaissait pas Peace run avant les premiers échanges avec l’équipe. Ni la plupart des clubs ou mairies qui partageront un temps avec ces « messagers pour la paix ».

Cette méconnaissance n’a rien de surprenant : avec Peace run, les disciples du maître spirituel ne souhaitent pas afficher leur spiritualité au risque d’effrayer et d’anéantir le message de paix qu’ils portent au pas de course de Lisbonne à Belgrade. La vigilance est d’autant plus forte en France, où ils longeront la côte méditerranéenne, en raison de la Commission parlementaire sur les sectes de 1995 qui les a répertoriés parmi ces mouvements.

Les rencontres de cette journée chargée seront à l’image de celle de Perpignan : pas d’affichage religieux et une organisation hors pair, aidée par la répétition. Surtout que le temps tourne et que l’équipe est attendue à 18h15 à Narbonne, à environ 70 kilomètres de là. Avant, il faudra faire étape dans quatre autres villes pour des réceptions. Des rendez-vous seront pris aussi avec les clubs sportifs de ces bourgs. Ensemble, ils partageront des kilomètres de départementale, à travers les paysages arides et infinis de bord de mer, toujours au pas de course et en sueur.
La transcendance de soi

Mission réussie pour Peace Run : cette agitation et la communication rodée en fait oublier la spiritualité de la course alors qu’elle est au centre de la philosophie de leur maître, Sri Chinmoy, décédé en 2007. En effet, la course longue est l’application de la notion de transcendance de soi, très chère au guru (rappelons qu’en Inde, ce terme n’a rien de péjoratif) : selon lui, le sport permet de cultiver une bonne forme physique mais aussi de mesurer ses capacités et si possible de les dépasser. D’ailleurs, ce maître doit notamment sa renommée aux exploits d’haltérophilie qu’on lui attribue.

Les disciples vivent la course longue aussi comme une forme de méditation. Une jambe après l’autre, ils ne pensent à rien n’étant plus parasités par des pensées secondaires ; l’être et le mental sont purifiés. En temps normal, la méditation se pratique assis le matin et le soir de manière individuelle. Pour la disciple de Cherbourg, Natashira Lecoq – dont le nom spirituel en sanskrit signifie « la tête inclinée devant Dieu » -, « lorsque tu médites sur ton coeur intérieur, tu reçois de la paix et de la force. C’est une récompense ». Un cadeau précieux que les disciples, au nombre d’une trentaine en France, ont envie de faire partager aux autres, par le contact.

Leurs représentations font du monde un miroir. Ce qu’ils offrent, aux clubs et mairies qu’ils rencontrent sur la route, ils pensent le recevoir en retour. Alors que le soleil diminue en intensité, laissant aux yeux la possibilité de se reposer, c’est un dernier « don » que l’équipe réserve à la municipalité de Narbonne. Accueillis à l’hôtel de ville, les disciples offrent à la première adjointe au maire un ouvrage récapitulant l’historique de la course. En retour, c’est un hébergement dans la MJC de la ville qui leur est proposé. Ce soir-là, leur monde en miroir avait vu vrai.
Au Mexique, disciple de mère en fille

« République Tchèque, Autriche, France, Russie, Nouvelle-Zélande, Slovaquie, Moldavie » : c’est l’un après l’autre, que les disciples de Sri Chinmoy énoncent leurs origines. « Mexique » crie Uhaina Maya, seule représentante du continent américain au sein de la Peace run. Face à l’enracinement du catholicisme dans son pays, la présence de cette jeune femme – dont les pointes de ses cheveux bruns sont teintées en vert, signe d’une adolescence excentrique -, peut étonner. La Mexicaine a pourtant été bercée par les enseignements du maître spirituel. Sa mère, éprise de la même croyance, méditait devant ses enfants. « Elle nous disait qu’il existait des choses impossibles à voir avec les yeux », se souvient-elle.

Rendre visible l’invisible, à travers la méditation, est vite devenu chez la jeune fille, aujourd’hui âgée de 19 ans, « une part d’elle-même ». Une part si forte que le lycée terminé, elle a rejoint l’Europe pour laisser à « [son] mental le temps de respirer ». Durant ces deux années de pause, Uhaina cuisine dans un restaurant bio, à Montpellier, géré avec d’autres disciples, et participe à la Peace run. Cette course ne représente que du plaisir pour elle ; son corps et son esprit ne font alors qu’un. Surtout que sa mère, aux prémices de sa spiritualité, la rejoindra pour partager différentes étapes. De l’autre côté de l’Atlantique, sa grand-mère, de confession catholique, les suivra d’un bon oeil. Pour la vieille dame, seul l’engagement dans la spiritualité compte, qu’importe le courant adopté.

source : par Alice Papin – publié le 18/03/2014http://www.lemondedesreligions.fr/actualite/peace-run-ils-courent-pour-la-paix-en-masquant-leur-spiritualite-18-03-2014-3779_118.php