Après des décennies d’omerta, les victimes de pédocriminalité du monde équestre racontent enfin un monde où des enfants ont été livrés à des prédateurs adultes connus du milieu. Le président de la fédération est mis en cause pour avoir fermé les yeux.

Si elle-même explique n’avoir jamais osé porter plainte, cet éducateur, Loïc Caudal, a depuis été condamné à deux reprises. Le 16 septembre 2013 pour atteinte sexuelle sur une mineure, il a écopé de 15 jours de prison avec sursis. Puis le 20 novembre 2017, pour agression sexuelle sur trois mineures, il a été condamné à 1 an de prison avec sursis et une mise à l’épreuve.

Dans le haras de Jardy, en juin 2014. © Christophe Bricot / DPPI via AFP

Selon Me Laure-Ingrid Morainville, l’avocate du coupable, l’homme a depuis interdiction d’enseigner et d’être en contact avec des mineurs. La préfecture des Hauts-de-Seine confirme également un retrait de sa carte professionnelle d’enseignant sportif à  la suite de sa condamnation. Loïc Caudal n’a pas souhaité répondre à nos questions.

Joséphine, âgée aujourd’hui de 27 ans, avait entre 14 et 15 ans au moment des faits qu’elle décrit. « Loïc nous demandait des bisous sur la bouche en échange de chevaux qu’on aimait bien. Si on n’allait pas dans son sens, on se tapait la pire monture. »

Un jour, son professeur d’équitation lui expédie un message tardif : « Je suis sur un terrain de tennis, je te mettrais bien la raquette. » Joséphine explique : « J’avais 14 ans, je ne connaissais rien à la sexualité. Alors je me demandais si ce message était une menace physique donc je l’ai montré à mon père. »

Joséphine ne montera plus jamais au club de Suresnes. Par le biais d’anciennes copines d’équitation, elle apprend quelques années plus tard l’arrestation de Loïc Caudal mais s’étonne de le recroiser sur des terrains de concours équestres. « Je l’ai vu deux fois dans des compétitions, une fois en Bretagne, une autre à Jardy [l’un des plus grands centres équestres d’Île-de-France]. Il nous a fait des grands sourires comme s’il était amnésique Après cela, il est monté dans un camion de la fédération. Il était sur les terrains de concours pour la Fédération française d’équitation », raconte Joséphine.

En dépit de sa première condamnation en 2013, Loïc Caudal est en effet resté professeur d’équitation jusqu’en avril 2014 au club de Suresnes. L’homme aurait été ensuite licencié pour des disputes répétées, devant la clientèle, avec son ex-compagne, elle aussi professeure à l’époque.

En cette même année 2014, il est embauché par la Fédération française d’équitation jusqu’en 2019, comme chauffeur de véhicules publicitaires et poseur de signalétiques, notamment sur d’importants tournois, adultes et enfants, selon plusieurs sources. Sa seconde condamnation de 2017, stipulant une interdiction de s’approcher de mineurs, n’y changera rien.

Cette embauche de la part de la Fédération française d’équitation remet sérieusement en cause les récentes déclarations en la matière de Serge Lecomte, président à la fois de la fédération et du club d’équitation de Suresnes, où officiait Loïc Caudal : « Sous ma présidence, tous les faits dont nous avons été saisis relevant de violence, déviance ou abus sexuels, ont systématiquement, et sans délais, donné lieu à la mise en place de mesures conservatoires. »

Contacté par l’intermédiaire de son club de Suresnes, puis de la fédération, Serge Lecomte a longtemps rechigné à évoquer l’affaire Caudal. Finalement, après plusieurs semaines de relances, le président de la FFE nous rappelle, visiblement agacé. Il jure n’avoir « jamais été avisé des tenants et des aboutissants de cette affaire. Jamais et par personne, même pas par les victimes ! », s’écrie-t-il.

Quand on lui demande comment un président d’un club d’équitation et un président d’une fédération peut employer, sans le savoir, un homme condamné pour des faits d’agression et d’atteintes sexuelles sur mineurs commis au sein de ses structures, Lecomte lâche : « Attendez, j’ai d’autres chats à fouetter que d’appeler l’avocat, d’appeler le juge, je l’ai licencié, c’est fini ! En plus, vous savez très bien que je gère plusieurs clubs et que je ne suis pas en permanence à Suresnes. »

Au club de Suresnes, la gérante polyvalente du club, Salomé Pitault, était pourtant, elle, au courant des affaires judiciaires de Loïc Caudal. Serge Lecomte, lui, demande la nature de la condamnation, jurant ne rien savoir et avoue avoir appris son existence après « les coups de téléphone que vous avez passés au club. On s’est dépêché de venir me les rapporter ». Quand nous commençons à évoquer l’affaire, Serge Lecomte baisse cependant la garde et évoque, sans que jamais nous lui ayons donné ce détail (ni à personne), deux condamnations.

Après une tentative de noyer le poisson, le président de la FFE essaye de se rattraper et nuance ses propos : « En fait, j’ai su qu’il y a eu de multiples problèmes avec plusieurs jeunes filles. Mais je ne l’ai su qu’après coup. » Difficile de dater « l’après coup » pour Serge Lecomte, mais il assure que c’est très récent, bien après le départ de Loïc Caudal de son poste à la Fédération française d’équitation en 2019. Avant de raccrocher, il ajoute : « Vous me parlez d’une affaire qui est derrière moi. Tout ça c’est derrière nous ! »

Intimidations, réputation et discrédit

Son délégué général à la fédération, Frédéric Bouix, lui, ne nie pas que son président était au courant de la condamnation de Loïc Caudal. « Ça veut dire que cette personne est condamnée à ne plus jamais travailler de sa vie ? La personne a été interdite d’exercer une activité d’encadrement sportif par le code du sport et la fédération l’a embauché en tant que chauffeur en plus euh dans le cadre d’un rapprochement de conjoint. Parce que son épouse travaillait déjà à la fédération, ce qui a expliqué son recrutement… », explique maladroitement Frédéric Bouix.

À la Fédération française d’équitation, pour ceux qui avaient suivi l’affaire, ce recyclage a cependant choqué : « J’ai halluciné », rapporte une employée sous le couvert de l’anonymat. « Quand Serge Lecomte dit qu’il punit sévèrement ce genre d’abus, c’est totalement faux », souffle Joséphine.

Depuis février et une massive prise de parole dans le monde du sport, la FFE a mis en place une plateforme téléphonique externalisée, prise en charge par des psychologues, permettant ainsi aux victimes de trouver une écoute. Depuis sa mise en route, la FFE affirme avoir reçu une vingtaine d’appels sérieux, dont six comportaient des faits graves. La FFE a fait état, sur sa page Facebook, de la création de cette hotline permettant aux victimes de pédophilie de pouvoir parler en toute confiance. Ce poste Facebook a été largement commenté, par des victimes anonymes ou pas. Le nom de Loïc Caudal est souvent revenu et la FEE l’a vu : Frédéric Bouix l’assume, entre deux justifications de son embauche par la fédération.

Cependant, des affaires comme celle-là, Amélie Quéguiner les qualifie « d’affreusement banales dans l’équitation ». Début février, c’est elle qui tire la sonnette d’alarme. La cavalière, aujourd’hui dirigeante d’un centre équestre en Dordogne, affirme avoir été violée par son coach pendant dix ans, dès l’âge de onze ans. Elle a depuis porté plainte contre deux nouveaux coachs et dit avoir recueilli de nombreux témoignages de petites filles ou adolescentes, victimes comme elle, de pédocriminalité.

Le 5 février, elle interpelle Serge Lecomte sur les réseaux sociaux, lui demandant de lutter activement contre le fléau. Les cas du Poney club de Suresnes et d’Amélie Quéguiner sont emblématiques de vrais maux qui persistent dans le milieu hippique. Un milieu clos et protégé, où les agresseurs ont trop souvent une « immunité totale », selon la cavalière.

« C’est un milieu fermé. Les gens ne veulent pas parler, tout le monde veut faire carrière et devenir le meilleur. Si tu veux monter les meilleurs chevaux et si tu sais quelque chose, tu ne vas pas aller le dire. Personne ne parle. » Grégory Pieux le sait mieux que quiconque. Le fils du célèbre jockey Christophe Pieux, connu en France pour ses quinze cravaches d’or de courses d’obstacles, raconte l’omerta qui règne dans le milieu de l’équitation.

Le 23 juillet 2018, il a porté plainte pour des agressions sexuelles qu’aurait commises José Bruneau de la Salle quand il avait neuf ans. L’homme est un grand propriétaire de chevaux de course, ancien membre associé du comité de France Galop et accessoirement ami de la famille Pieux. « Il y a eu un soir où on s’est retrouvé dans le même lit, dans la chambre d’ami de chez mon père. II a essayé de me masturber. Ma réaction à l’époque, c’était d’essayer de faire comme si je dormais. Je n’avais pas son visage en face de moi, je m’étais mis de dos… », se rappelle Grégory.

Pendant plus de deux ans, l’homme aurait ainsi abusé de lui. Grégory dit avoir eu la force de porter plainte grâce à Jeremy Garamond, qui assure également avoir été victime de José Bruneau de la Salle à peu près au même âge. « Un jour, je raconte mon traumatisme d’enfance à une personne qui connaît bien le monde de l’équitation. Je lui révèle qu’il y a quelqu’un du milieu des courses en Normandie qui m’a fait ça Et du tac au tac le mec me répond : José Bruneau de la Salle ? Je me suis rendu compte que c’était connu par tout le monde dans le cheval. C’est abject, tout le monde le savait et personne n’avait jamais rien dit ! », raconte Jeremy.

José Bruneau de la Salle a depuis été mis en examen pour agression sexuelle sur mineurs et est placé sous contrôle judiciaire. Il encourt dix ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende, selon les avocats des jeunes hommes, Olivier Pardo et Baptiste de Fresse de Monval, du cabinet Oplus. Contacté via son avocat, MDaniel Siksous, l’intéressé « réfute catégoriquement l’accusation portée contre lui et réserve ses explications au magistrat instructeur ».

Danielle* a elle aussi porté plainte. Contre Jean-Christophe Brionne, le 16 décembre dernier pour des faits de « viol commis par une personne abusant de l’autorité que lui confère sa fonction ». Elle avait 14 ans au moment des faits : « On sait très bien qu’en parlant on va se faire discréditer. Je comprends celles et ceux qui sont dans le milieu et veulent y rester. Ils n’ont pas envie de se faire blacklister, ne plus monter ou se faire péter la gueule sur un terrain. Quelqu’un qui a de la famille dans le cheval, qui a des chevaux, qui a son réseau social dans ce milieu, il lui est impossible de parler », rapporte Danielle.

«En France, élèves et coachs dorment encore dans la même chambre»

Alice* a porté plainte contre ce même entraîneur, en décembre 2019, pour sept viols commis entre mai et septembre 2017. Après une tentative de suicide et de nombreuses séances chez le psychiatre, elle tente petit à petit de se reconstruire, loin du monde équestre. « Je ne pourrai plus monter en France Ça me manque énormément, mais c’est un choix. J’ai vendu mon cheval depuis, je ne dors pas, je suis sous médoc. Je suis incapable d’avoir une vie normale. Mais vous savez, les mains aux fesses, c’est très banalisé dans ce milieu. Jean-Christophe Brionne faisait ça devant tout le monde, sa femme et les gens autour rigolaient, tout le monde trouvait ça normal de dire à une fille de 14 ans : “T’as des gros seins”, ou “J’aimerais bien que tu me montes comme ça dessus”, ou “Si tu gagnes ce concours t’as le droit à une bonne levrette ce soir…” Tout est banalisé dans l’équitation. Je pense que c’est dû au fait qu’il y a une importante concentration de filles élèves et de coachs hommes. Et ils se font plaisir avec des enfants et des adolescents… », analyse Alice.

Danielle corrobore : « À l’époque, autour de moi, c’était fréquent. En concours on voyait beaucoup de coachs qui trompaient leurs femmes le week-end avec des élèves mineures. »

Après avoir été mis en garde à vue puis mis en examen pour viol, Jean-Christophe Brionne s’est suicidé le 14 décembre 2019. Il était réputé dans le milieu de la compétition pour être un excellent coach, et pour avoir emmené ses filles à un haut niveau. Dans son entourage, il est encore défendu, et Danielle et Alice subissent toujours de lourdes pressions psychologiques. « Sa femme a fait un communiqué sur Facebook. Il est mort en martyr et tout le monde nous traite d’assassins maintenant », lâche Alice.

À la mort de son violeur présumé, Alice dit être passée par toutes les phases. De la culpabilité de l’avoir tué, à la colère de l’impunité du défunt. « Peu après mon arrivée en sports études chez lui, il a commencé à me demander mon âge et me parler de sexe. Puis un soir où nous n’étions que tous les deux chez lui, il a ouvert la porte de ma chambre et s’est jeté sur moi C’est arrivé sept fois pendant tous les mois où j’étais chez eux. J’étais pas là, dissociée de mon corps, dans un autre monde. J’étais totalement absente, je ne bougeais pas. Et je ne pourrai jamais obtenir justice. »

Si les deux jeunes femmes ont attesté avoir été violées, les concours hippiques catégorie poney (réservé aux enfants) rendent encore hommage à leur coach à coups de minutes de silence. Alors qu’il a été « mis en examen pour pédophilie ! », rappelle Danielle, exaspérée.

L’emprise charismatique du cavalier revient souvent chez les victimes de pédocriminalité du monde équestre. Jeremy Garamond décrit son présumé agresseur José Bruneau de la Salle comme un homme respecté dans le milieu des courses : « C’est quelqu’un qui m’a fasciné par son intelligence. Il joue sur les peurs de chacun de manière hallucinante. »

Les affaires de pédocriminalité se succèdent et se ressemblent au sein du monde équestre. Or structurellement et légalement, l’équitation française n’est pas armée pour lutter efficacement contre ces prédateurs.

Il est en effet à la portée du premier venu d’ouvrir un centre équestre sans affiliation aucune à la fédération. Et un professeur destitué d’un club fédéré, pour des faits de pédocriminalité, peut retrouver du travail dans une structure non affiliée. « On plaide pour un sport qui soit complètement organisé sous la coupe de la fédération pour plus de contrôle, explique Frédéric Bouix, délégué général de la FFE. Mais on tend plutôt vers une déréglementation du système sportif et un écrasement des fédérations pour une pratique non encadrée. L’état de la réglementation incite malheureusement à cela. Ce sont des sujets récurrents dont on alerte souvent le ministère des sports. »

Selon lui, une obligation pour chaque club d’équitation ne serait pas suffisante pour lutter contre la pédocriminalité dans la discipline. « Malheureusement, on peut se retrouver avec des clubs affiliés à la fédération [ayant un coach condamné pour pédocriminalité sans le savoir] pour la simple et bonne raison que les fichiers des éducateurs ne sont pas reliés aux fichiers de condamnation Fijais [Fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles et violentes]» La formation des professeurs d’équitation interroge également. Pour enseigner aujourd’hui dans un club d’équitation, un éducateur doit avoir obtenu le diplôme étatique BBJEPS (brevet professionnel de la jeunesse, de l’éducation populaire et du sport). Sophie Soulez Larivière est la gérante du club Killola Stud. L’éducatrice est diplômée du BBJEPS mais aussi d’une équivalence irlandaise, différente sous bien des aspects selon elle : « J’ai été formée pendant mon diplôme au“child protection”. Cela consiste à enseigner aux coachs comment se comporter avec des mineurs. Dans quelles conditions on peut emmener des enfants dans sa voiture ? Où peut-on le toucher pour lui montrer des positions ? C’est très codifié. L’épaule, le haut des bras, le dos et les pieds sont autorisés et pour les autres parties, l’enseignant doit demander la permission au mineur. »

Chaque signalement fait par des parents ou élèves mineurs est pris au sérieux et des mesures d’écartement de prévention du professeur en question, avant même une procédure judiciaire, sont actées par la fédération irlandaise. « En France, les élèves et coachs peuvent encore dormir dans la même chambre En Irlande, pour la moindre ambiguïté vous pouvez vous faire révoquer votre licence de coach dans la journée. La France n’est pas du tout dans la même dimension et tous ces dysfonctionnements dans l’approche avec les mineurs génèrent de telles histoires sordides. » 

source : https://www.mediapart.fr/journal/france/230520/pedocriminalite-les-oeilleres-du-monde-equestre?page_article=3

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