{{La sexualité d’Edward Heath a toujours intrigué.}}

L’ancien Premier ministre britannique n’était pas marié, il n’avait pas d’enfants et ne semblait témoigner aucun intérêt pour les femmes. Certains le croyaient homosexuel, d’autres, asexuel.

Mais depuis le début de la semaine, l’ancien leader conservateur décédé en 2005 se retrouve au cœur d’un scandale compromettant sa réputation.
A ce jour, son nom apparaît dans cinq investigations portant sur des actes de pédophilie et dans une enquête sur une affaire étouffée par la police. En début de semaine, l’IPCC (Independent Police Complaints Commission) indique qu’elle a ouvert une enquête car elle soupçonne la police d’avoir couvert le Premier ministre dans les années 90.

A cette époque, «Madame Ling Ling» tient une maison close, pas très loin de la demeure du suspect, à Salisbury, où l’ancien Premier ministre (en poste entre 1970 et 1974) est venu s’installer en 1985. Poursuivie par la justice, elle serait parvenue à lui échapper en menaçant de faire des révélations sur la déviance sexuelle de son voisin, ce qu’elle nie aujourd’hui.

Dizaines d’appels. Au même moment, la police du Wiltshire lance un appel à témoins. «Sir Edward Heath a été nommé en relation avec des infractions qui concernent des enfants», explique-t-elle, avant d’inviter des informateurs ou des victimes à se manifester. En l’espace de 24 heures, la police et le NSPCC, un organisme qui lutte contre la maltraitance des enfants, reçoivent des dizaines d’appels. Le lendemain, la police du Kent et celle du Hampshire font également savoir qu’elles enquêtent sur des accusations similaires. C’est à ce moment-là que Scotland Yard et la police de Jersey révèlent que l’ex-Premier ministre pourrait aussi être mêlé à des réseaux de pédophilie qui compromettent des membres de l’establishment. L’opération Midland, à Londres, vise un groupe de politiciens et de VIP qui auraient organisé des soirées avec des enfants dans différents endroits de la capitale. Et l’opération Whistle, à Jersey, concerne des accusations d’abus dans l’orphelinat du Haut-de-la-Garenne sur la petite île britannique. Dans ces affaires sordides, des enlèvements, des violences physiques, des viols auraient été commis. On va même jusqu’à parler de meurtres.

Les faits remontent aux années 80-90, mais le statut des personnes accusées rend les investigations délicates. Quelques fureteurs s’y sont cassé le nez. Ainsi, le 12 novembre 2008, après presque quarante années de bons et loyaux services au sein de la police et huit années à la tête de la police de Jersey, Graham Power est suspendu de son poste, officiellement, pour incompétence. Mais lui pense que c’est une punition pour avoir osé défier la «culture du silence». En 2011, c’est une journaliste d’investigation américaine qui affirme avoir été bannie du Royaume-Uni et de l’île parce qu’elle s’intéressait de trop près à l’affaire de l’orphelinat. «Les officiers de police qui mènent l’enquête ont entendu des rumeurs et je sais que quelques membres de la police pensent que Sir Edward en faisait partie», a-t-elle confié à la chaîne Sky News, ajoutant que les enfants ont été emmenés sur son yacht au large de l’île.

«Soirées de Noël».Un autre nom bien connu figure dans l’affaire de Jersey : «Jimmy Savile dormait dans le même hôtel que Heath.». «Après les révélations sur Jimmy Savile, la presse britannique est devenue obsédée par les scandales sexuels de ce genre, explique Mark Watts, journaliste du site d’investigation Exaro. Ce qui est intéressant, c’est que toutes ces affaires ont été totalement négligées jusqu’ici.» Exaro a commencé à enquêter sur les cercles de pédophiles VIP en 2012, peu de temps après la tempête médiatique autour de l’animateur vedette de la BBC déchu. Le nom d’Edward Heath émerge rapidement. Une victime qui se fait appeler Nick raconte alors son supplice dans un appartement du quartier de Pimlico, pas très loin de Westminster. Dès l’âge de 11 ans, Nick aurait été emmené de force au moins à dix reprises à ces «soirées de Noël», où des hommes connus se divertissaient avec des enfants. «C’est un soulagement que le nom d’Edward Heath soit mentionné en public, en tant que membre clé du groupe d’hommes qui nous ont blessés, moi et les autres», a-t-il dit à Exaro cette semaine.

Ces accusations ne sont pas confirmées et des proches d’Edward Heath tentent encore de sauver son honneur. Mais elles ouvrent une nouvelle phase pour les investigations. «Tout le monde à Westminster, dont moi, avait entendu parler des rumeurs qui entouraient le Premier ministre, raconte l’éditorialiste du Mirror Paul Routledge. Nous présumions qu’il avait un secret sombre et bien enfoui, mais à cette période-là, on ne posait pas la question.»

SOURCE: liberation.fr par Hélaine LEFRANÇOIS Intérim à Londres