Peu nous importe le succès…

3 déc. 2019 — Le cardinal Barbarin quittera Lyon. C’est la remise importante que la bonne ville de Lyon a gagnée pour le blackfriday de ce 29 novembre 2019. L’avocat de Philippe Barbarin, Maître Luciani, l’a annoncé dans sa plaidoirie : « Bientôt le cardinal Barbarin quittera Lyon. » L’avocat a discrètement tenté de maquiller le vendredi noir du cardinal en vendredi saint : « Cet homme ne mérite pas le pilori qu’il subit depuis des années. » ; Il « se retrouve seul à porter le poids de l’absence de la parole de tous.»

Et tel le Simon de Cyrène de ce nouveau Christ, il ajoute : « Il faut qu’il reparte de cette ville délivré du poids d’être l’incarnation du mal et de la pédophilie. » Pour un peu, j’ai failli avoir une larme : sainte Blandine déchirée par les lions au milieu des théâtres romains. Sauf que les lions, cette fois, ce sont les victimes du péché par omission du cardinal Barbarin, les dizaines d’enfants abusés par un prédateur couvert par son supérieur qui est encore plus fautif s’il s’est laissé manipuler par lui. Avec une habileté de maquignon, Philippe Barbarin avoue une erreur pour ne pas reconnaître une faute qu’il attribue aux autres dans le but évident d’éviter qu’on ne la lui impute ?

Comment prétendre être responsable d’Eglise avec une telle façon d’être et de gouverner ? A chaque fois qu’il a parlé, ses propos ont manifesté ses contradictions évidentes. Le dernier en date, à la journaliste de France 3 Auvergne Rhône Alpes : « Je suis soulagé, je m’en remets à la décision de la justice. Et je veux dire aux victimes que je (ne) pense qu’à elles. » Pourquoi est-il soulagé ? Se saurait-il déjà relaxé ? Et s’il ne pensait qu’aux victimes, pourquoi a-t-il fait appel en sachant que chaque procédure renouvelle les souffrances de leur traumatisme ? Cela s’ajoute à la longue liste de ses déclarations qui n’ont jamais été celles d’un vrai chef qui prenait la mesure de la situation et qui indiquait la voie supérieure à suivre. François Devaux a raison quand il parle de « naufrage spirituel sidérant. »

Donc, bonne nouvelle, le cardinal quitte Lyon. Je ne doute pas que tous ceux qui ont eu à se plaindre pendant dix sept ans de la gestion autoritaire du cardinal Philippe Barbarin n’hésiteront pas à contrebalancer les adieux émus du cercle dévotionnel des bigotes et cagots, avec dans la main une tomate de circonstance pour faire ton sur ton. La pétition qui accompagnait ma lettre ouverte du 21 août 2018 et qui l’invitait à le faire n’a plus lieu d’être. Elle est donc clôturée. Cependant, avec Barbarin et ses défenseurs, tout est subtil et on ne voit pas forcément le piège. Mais la manipulation existe : votre archevêque va se retirer ; ne soyez donc pas inhumains et ne le condamnez pas. Vous avez déjà obtenu ce que vous voulez puisqu’il part. La clôture de cette pétition n’est donc pas à interpréter dans ce sens.

Que diront les Juges le 30 janvier 2020 ? S’il confirment le jugement de première instance, ils sauront se montrer grands et donc à la hauteur. S’ils l’infirment, ils prendront le parti des notabilités lyonnaises qui se camouflent derrière un point étroit et obscur du droit pour mieux se protéger. Ils sont de fait mis sous pression. Appliquez le droit pur et dur et rien d’autre, leur dit-on. Sauf que l’un des adages les plus anciens et les plus essentiels du droit est lumineux : Summum Ius, summa injuria. « L’application excessive du droit conduit à l’injustice. »

Le droit n’avance pas seulement grâce au législateur et à ses injonctions surtout en période prélectorale. Devant les situations de nécessité, les Juges ont le pouvoir de créer la jurisprudence. Se montreront-ils soumis au réquisitoire du Parquet ou sauront-ils « inventer », au sens de trouver et découvrir, la décision juste que tous attendent ? Seront-ils une nouvelle fois la preuve, malgré les déclarations théoriques, de la collusion pratique entre l’Église et l’État dans notre pays ? On ne peut que les inviter à imiter le juge Paul Magnaud (1848-1926), dit le bon juge de Château-Thierry, qui sut protéger Louise Ménard (1875-1963) à la fin du XIX° siècle et qui fit évoluer positivement le droit.

Un des points que l’on peut reprocher à Philippe Barbarin est d’avoir confondu Lyon avec ses notables, oubliant que Lyon est d’abord un peuple de travailleurs qu’il faut respecter. Les notabilités lyonnaises, nous les avons sous les yeux puisqu’elles sont en train de transformer Fourvière à coups de millions d’euros pour escamoter la Vierge dorée en Bocuse d’or afin de récupérer les offrandes des pèlerins en additions gastronomiques. Encore quelques ajustements et Fourvière ressemblera bientôt au château de Disneyland.

Mais le peuple lyonnais a ses lettres de noblesse grâce aux Canuts : « Nous sommes tout nus mais notre règne arrivera quand votre règne finira. » Lyon, la noble ville de Saint-Exupéry peut-elle ne pas condamner et l’abuseur de ses Petits Princes et celui qui l’a couvert ? L’avocat général se justifie en affirmant que la justice ne peut pas être symbolique. Mais si on en revient au sens des termes, le symbole étant la réunion des deux tessons coupés alors que le diabole en est la division, pourrait-on en déduire que si la Justice n’est pas symbolique elle saurait se révéler diabolique ?

Et si le cardinal gagnait son procès en appel, le gagnerait-il vraiment pour autant ? Comme l’a dit François Devaux qui a le sens de la formule, « on peut gagner la tête basse et perdre la tête haute. » Philippe Barbarin a déjà perdu son procès devant l’opinion publique. On la présente à tort comme celle qui le lynche, mais cette vision complotiste de ses supports n’intègre pas que c’est le sens moral du peuple qui se révolte. Le peuple ne rejette pas l’autorité, il en a besoin pour vivre, mais il se rebelle quand il comprend que ceux qui la détiennent s’en servent pour leur intérêt personnel et non pour le bien commun.

L’énergie désespérée et désespérante que l’archevêque de Lyon déploie pour se défendre, en comptant sur les notables, a montré à tous qu’il n’était pas, malgré sa communication, du côté des victimes, là où se trouve déjà Jésus et le reste du peuple chrétien. Il s’en est pourtant fallu de peu : s’il avait écouté les fondateurs de La Parole Libérée en décembre 2015. Au lieu de leur répondre qu’il ne fallait « pas d’étincelles », il serait aujourd’hui le champion de la protection des mineurs et des vulnérables. Pourquoi le cardinal et les notables ne savent plus écouter le peuple, c’est un problème général à l’ordre du jour et pour lequel je n’ai pas la solution ?

Il est pourtant urgent que ces messieurs cessent de se soutenir les uns les autres. Les Canuts sont toujours là, « car on entend la révolte qui gronde. » En gagnant son procès, de quoi le cardinal Barbarin pourra-t-il donc se glorifier ? Ses soutiens pourront-ils chanter avec « une chasuble d’or » : « Grâce à Dieu, les faits sont prescrits ! » Il était « présumé innocent » : il ne sera plus désormais « présumé », mais il n’en sera pas redevenu « innocent » pour autant. Il ne sera plus rien. En en faisant un intouchable, la Justice le rendra paria. Son avocat et lui-même ont fini par le comprendre. Il va donc partir mais ça sera par la petite porte. Il restera chez Guignol. On pourra entendre la Mère Cotivet dire à un enfant : « Arrête, tu mens comme un Barbarin ! ».

Ma Lettre ouverte tentait d’empêcher le cardinal d’emmener l’Église avec lui dans le mur de la honte. C’est hélas chose faite. Non seulement il a impliqué le diocèse de Lyon et l’Église de France mais, en refusant d’endosser sa responsabilité en se couvrant de l’autorité de la curie romaine et de celle du pape, il entraîne avec lui l’Église universelle. Le résultat est total et complet. Le pape François se compromettrait en le nommant à un poste romain de substitution, quel qu’il soit. S’il le faisait, il « sauverait » Barbarin mais il perdrait la France. C’est lui qui choisira qui il faut suivre, « son » cardinal ou Jésus avec les victimes. En vingt siècles, on ne compte plus les erreurs politiques pontificales.

Pour se montrer à la hauteur, enfin, et malgré tout, il reste une solution à Philippe Barbarin. Saura-t-il in extremis la prendre ? Je ne parle pas de celle qui serait pourtant un sursaut d’honnêteté de sa part, ainsi que de celle des évêques de la région Auvergne Rhône Alpes qui se sont aplatis à sa demande, de me relever de ma révocation de juge ecclésiastique. Ne rêvons pas même si cela permettrait à l’Église de redevenir crédible en affirmant que le danger ne réside pas en celui qui dénonce le mal mais en celui qui le fait ! Non ! Pour éviter de compléter son portrait en faisant croire qu’il se retire à Tarascon, la place nouvelle du cardinal pourrait devenir grande, s’il partait s’occuper des pauvres à Madagascar. En est-il capable ? Je l’espère.

Merci à vous, chers signataires de cette pétition, de ma part et de celle de ceux qui l’ont lancée, les présidents de l’AVREF et de la PAROLE LIBEREE. En France et dans l’Église, nous avons porté la parole d’humanité et de dignité qui fait notre grandeur. Quel que soit le résultat annoncé des combines au profit des hommes petits qui ne pensent qu’à eux-mêmes, nous répondons d’avance : « Peu nous importe le succès, il s’agit d’être grand et non de le paraître. » (Préface de Romain Rolland à La Vie de Beethoven).
source :
Père Pierre Vignon, prêtre diocésain
Saint-Martin-en-Vercors, le 30 novembre 2019