Après l’année de la foi, l’année de l’athéisme ? La résolution prise par un ancien pasteur américain pour 2014 suscite de nombreux commentaires et interrogations aux Etats-Unis, de la part de chrétiens mais aussi d’athées. Peut-on en effet réellement décider de mettre, du jour au lendemain, sa foi de côté et « essayer » l’athéisme comme on se mettrait au judo ou au tuba ? Une telle démarche est-elle spirituellement et intellectuellement valide ? Ces questions métaphysiques (ou pas, d’ailleurs) agitent actuellement des éditorialistes Outre-Atlantique.

Tout a démarré donc, avec l’ouverture d’un blog par Ryan Bell, pasteur adventiste du septième jour remercié par son église en mars 2012 suite à un nombre grandissant de prises de positions libérales (et, de son propre aveu, un itinéraire personnel relativement chahuté). Sur son site « A Year without God » (« Un an sans Dieu » – en anglais), l’ex-pasteur explique en effet son intention de vivre les douze prochains mois « comme s’il n’y avait pas de Dieu », et ainsi tenter d’« entrer dans le monde de l’athéisme et de vivre (…) comme un athée ». Une démarche qu’il veut la plus sérieuse possible, en expliquant qu’il va non seulement renoncer à prier, lire la Bible ou se référer à Dieu, mais aussi s’efforcer d’embrasser la pensée athée à travers la lecture de ses« textes sacrés » et l’échange avec de nombreux incroyants. Et toutes les observations que lui inspirera ce « voyage », Ryan Bell compte bien les consigner sur son blog et en tirer un livre.

Seulement voilà, première embuche de son voyage : Ryan Bell, malgré sa profession d’athéisme temporaire, continuait d’enseigner dans deux universités chrétiennes de Californie. Lesquelles n’ont évidemment pas tardé à lui signaler le problème que leur posait son expérience. Et c’est donc sans ces deux emplois que l’ancien pasteur a dû débuter l’année. Dieu merci (enfin, c’est selon), un blogueur athée influent, Hemant Mehta, a rapidement joué les bons samaritains et lancé une collecte en ligne pour subvenir aux besoins de Ryan Bell. En quelques jours, rapporte (en anglais) le site de CNN, 19.000 dollars (14.000 euros) auraient ainsi été récoltés par des athées – bien que Bell se dise convaincu que des chrétiens font partie de ses généreux mécènes spirituels.

L’événement n’a en tout cas pas manqué de créer un sous-débat, autour de la question de la fermeture d’esprit des chrétiens. « Il a appris ce que c’est que d’être athée [aux Etats-Unis] très rapidement », a ainsi commenté Hemant Mehta. Mais les deux institutions concernées (le Fuller Theological Seminary et l’Azusa Pacific University) se sont évidemment défendues, soulignant plutôt la nécessité de cohérence entre le choix posé par Ryan Bell et sa responsabilité auprès de ses étudiants. Ligne défendue également par The American Conservative, qui publie une tribune (en anglais) défendant l’idée qu’il s’agirait ici « d’une affaire d’intégrité intellectuelle et morale » :« Imaginons qu’il travaille pour le Parti Démocrate, mais lance un blog qui ferait la promotion de son projet de vivre comme un Républicain pendant un an… Est-ce qu’il se considèrerait victime d’un abus de leur part si les Démocrates le licenciaient ? Ou imaginons qu’il ait annoncé à Mme Bell son intention de vivre cette année comme si la polygamie était juste, comme une simple expérience. Est-ce que ce serait vraiment surprenant qu’elle lui dise de faire ses valises ? »

Mais si l’on s’en tient à la question de fond, celle de savoir s’il est possible d’abandonner provisoirement à la foi chrétienne, la démarche de Ryan Bell a été plutôt défendue par le doyen du Fuller Theological Seminary, qui explique (toujours sur le site de CNN – en anglais) : « D’un point de vue académique, voire même en tant qu’itinéraire personnel, je trouve très intéressante la démarche qu’il entreprend. Il n’y a aucun homme de foi sincère qui n’ait pas de doutes, et Ryan est suffisamment courageux pour faire un pas en arrière et réévaluer sa vie. C’est vraiment audacieux de sa part. »

Il n’empêche, cette expérience d’athéisme « soulève de multiples questions », note Laura Turner dans Christianity Today (en anglais). « Comment peut-on essayer l’athéisme, comme si ce n’était qu’un jean dans lequel on se tortille pour entrer ? J’applaudis la recherche de vérité de Ryan Bell, mais pas sa méthodologie. Tout le monde devrait avoir le droit et la possibilité de chercher la vérité, donc sa curiosité et sa sincérité sont louables. Mais cette idée qu’il pourrait débrancher sa foi pour un an et ensuite la rallumer s’il le désire me laisse un sentiment étrange. »

Et cette même incompréhension est également soulevée dans les milieux athées. Même Hemant Mehta, qui a donc lancé la souscription de soutien à l’ex-pasteur, se dit incrédule face à la démarche et se demande comment quelqu’un pourrait « faire comme s’il était athée ». Il explique ainsi au Christian Post (en anglais) que tant que Ryan Bell n’aura pas pleinement décidé de ne plus croire en Dieu « il est juste un chrétien qui tente ce que toute personne devrait faire, à savoir envisager une autre perspective. C’est une bonne chose, évidemment, mais scruter ses propres croyances n’est pas équivalent au fait de ne pas avoir de Dieu ».

D’autres athées ont été interrogés sur le sujet par Daniel Burke, du blog « Belief » de CNN (en anglais). Ainsi, l’écrivain Mitchell Stephens se dit « mal à l’aise avec l’idée d’“essayer” l’athéisme » :« Contrairement à la religion, ce n’est pas quelque chose qu’on accepte simplement par la foi. C’est censé être le résultat d’une réflexion et d’une recherche. Et limiter l’expérience à une année me paraît également un peu artificiel : cette réflexion, cette recherche ne devrait jamais s’arrêter. »Quant au porte-parole d’American Atheists, Dave Muscato, son jugement est encore plus tranché :« Si Ryan Bell a fait le choix de reléguer sa foi au rang de superstition au profit de ce que l’évidence montre, alors il peut comprendre l’expérience athée. Mais s’il la conserve, il n’a pas l’attitude d’un athée : c’est juste qu’il ne pratique pas sa religion. »

Dans une tribune publiée dans la rubrique (A)theologies du magazine Religion Dispatches, Linn Marie Tondtad affirme (en anglais) qu’il existe une erreur encore plus profonde dans le projet de Ryan Bell. Selon elle en effet, « sa compréhension du rapport entre foi et pratique dit quelque chose de la façon dont nous en sommes venus à penser la religion avec une approche de marché de la spiritualité contemporaine. Bell traite l’athéisme comme une pratique religieuse, qui consisterait à participer à des offices et à lire des ouvrages de dévotion – ce qu’il appelle les “textes sacrés” de l’athéisme. »

Certains pourtant, comme l’écrivain Dale McGowan, défendent la démarche comme parfaitement valide : « Essayer d’être athée est non seulement possible, mais c’est une façon très courante de quitter la croyance religieuse. (…) Ça dépend beaucoup du sérieux et de l’honnêteté avec lesquels on tente l’expérience. On peut avoir tendance à se ruer sur nos anciens modes de pensée au premier craquement ou au premier étonnement. » C’est aussi l’avis de Penny Edgell, professeure en sociologie à l’Université du Minnesota, qui considère l’expérience comme intéressante « si l’on se rappelle que c’est à travers une pratique quotidienne que nous devenons qui nous sommes ». Elle évoque ainsi non seulement la pratique religieuse, mais également la multitude de guides destinés à faire de leurs lecteurs « une meilleure mère, un meilleur mari, un amant plus passionné, etc. »

En tout cas, le « voyage » dans l’athéisme initié par l’ancien pasteur a déjà suscité (au-delà des considérations sur son histoire personnelle) de nombreuses interrogations, et promet d’en provoquer encore au cours de l’année. Avec cette grande question en ligne de mire : où en sera Ryan Bell en décembre ? Chrétien, athée, agnostique, ou simplement sur le point d’achever un futur best-seller de témoignage façon L’année où j’ai vécu selon la Bible ? 350 ans après Pascal, les paris sont ouverts.

source :AYMERIC CHRISTENSEN
CRÉÉ LE 17/01/2014 / MODIFIÉ LE 17/01/2014 À 19H02
http://www.lavie.fr/debats/chretiensendebats/peut-on-renoncer-provisoirement-a-sa-foi-17-01-2014-48801_431.php