L’UNION – 16 septembre 2009

http://www.lunion.presse.fr/index.php/cms/13/article/352485/

{{ {Le député PS des Ardennes, Philipe Vuilque, est président du groupe d’étude parlementaire sur les sectes.} }}

{{Comment interprétez-vous cette modification législative ?}}

PHILIPPE VUILQUE : « C’est une énorme boulette qui intervient au terme d’un travail législatif bâclé. Cette nouvelle loi est un texte fourre-tout qui n’avait donné lieu, à l’époque, à aucun débat ».

{{Comment se fait-il que cette disposition soit passée inaperçue ? Aucun député, aucun juriste ne s’en était alors rendu compte ?}}

P.V. : « Je reconnais que nous sommes tous passés à travers. Cela tient à la complexité d’un texte incompréhensible bouclé dans la précipitation, en deux jours. La discussion n’avait donné lieu qu’à une seule lecture à l’Assemblée et au Sénat. Si on voulait s’assurer que le Parlement ne puisse rien contrôler, on ne s’y serait pas pris autrement ».

{{Voilà pour la forme. Que reprochez-vous au texte sur le fond ?}}

P.V. : « Précisément, qu’il change le fond de la loi. Son ambition, comme son nom l’indique, était de simplifier, de clarifier et d’alléger les procédures, et non d’organiser l’impunité des personnes morales (associations, entreprises…) en cas d’escroquerie.

En catimini, il y a là la volonté de dépénaliser le droit des affaires car demain, ce texte pourra s’appliquer à une banque, par exemple. C’est une manipulation ».

{{Le président de la commission des lois, Jean-Luc Warsmann, prétend au contraire que l’interdiction d’exercer, directement ou indirectement, toute activité est plus efficace que la dissolution…}}

P.V. : « De toute évidence, M. Warsmann ne connaît pas grand-chose au fonctionnement des organisations sectaires. La dissolution d’une structure entraîne de facto celle de ses actifs. Au lieu de quoi, il suffira que la personne morale interdite d’exercer son activité change de nom pour repartir de plus belle ».

{{La Scientologie échappe désormais au risque de dissolution. M. Warsmann en renvoie la responsabilité au parquet, qui n’aurait pas vérifié la validité de ses réquisitions, en juin dernier.}}

P.V. : « C’est une défense scandaleuse. La bourde est la sienne. M. Warsmann pourrait au moins l’assumer. Et le gouvernement n’y est pas étranger non plus ».

{{Un député PC soupçonne une infiltration de l’Assemblée par la Scientologie. Votre avis ?}}

P.V. : « Que les scientologues exercent un lobbying constant sur les parlementaires est connu. Mais je n’irai pas jusque là. Cela n’interdit pas la vigilance ».

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Sectes : la loi qui coince

UNE « erreur matérielle ». Ainsi Michèle Alliot-Marie a-t-elle qualifié hier la disposition contenue dans la loi sur la simplification des procédures judiciaires, prévoyant de ne pas dissoudre les personnes morales coupables d’escroquerie. « L’erreur sera corrigée », a ajouté la garde des Sceaux.

À l’initiative du président de la Commission des lois, l’Ardennais Jean-Luc Warsmann, le texte relatif à la responsabilité pénale des personnes morales (associations, entreprises…) avait été voté le 12 mai dernier, soit treize jours avant le retentissant procès de l’église de scientologie, au terme duquel le parquet avait précisément réclamé la dissolution de l’organisation en France.

Une réquisition qualifiée d’« erreur » hier par Jean-Luc Warsmann, qui s’est défendu d’avoir voulu organiser la dépénalisation du droit des affaires (voir par ailleurs).

Révélée lundi par la Miviludes (la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires, présidée par l’avocat Georges Fenech), la disposition controversée a provoqué hier un véritable tollé parmi les députés de l’opposition.

Le communiste Jean-Pierre Brard, membre des commissions parlementaires sur les sectes, a réclamé l’ouverture d’une enquête pour déterminer qui est vraiment à l’origine de cette modification législative destinée, selon lui, à « favoriser la scientologie ». « Je veux une enquête pour savoir qui tenait le porte-plume », a lancé le parlementaire tandis qu’un autre communiste, Roland Muzeau, a dit soupçonner « une infiltration de la scientologie au ministère de la Justice ».

Infiltration ?
Interrogé sur une telle interférence au Parlement, le président du groupe PS à l’Assemblée, Jean-Marc Ayrault, ne l’a pas écartée : « On peut toujours se poser la question. En matière de lutte contre les dérives sectaires, il faut faire preuve d’aucune complaisance et d’une extrême vigilance par rapport à des gens extrêmement bien organisés et intelligents ».

Le groupe PS à l’Assemblée a pris acte de la volonté de Michèle Alliot-Marie de remettre en place l’ancienne disposition législative, mais s’est interrogé sur les circonstances d’un texte « adopté douze jours avant le début du procès de la scientologie. On ne peut être que dubitatif devant les hasards du calendrier. Si on ajoute à cela la rencontre en 2004 entre Nicolas Sarkozy et Tom Cruise et les propos de la directrice de cabinet de l’Élysée estimant en 2008 que les sectes sont « un non-problème en France », on peut s’interroger », a estimé la députée PS Marie-Pierre de la Gontrie. « Alors que le verdict dans le procès contre la scientologie est prévu pour le 27 octobre, elle échappera selon toute vraisemblance à la dissolution, car cette nouvelle disposition ne sera pas rétroactive », a ajouté la parlementaire.
Dans les rangs de la majorité aussi, le texte a semé le trouble : « S’y est glissée une disposition pour le moins curieuse et contestable », a commenté le ministre chargé des relations avec le Parlement, Henri de Raincourt. Le ministre a toutefois estimé « ne pas croire à l’infiltration en tant que telle de la scientologie au Parlement. Je fais confiance aux présidents des deux Assemblées […] mais franchement, je ne le crois pas ».

Dossier Gilles GRANDPIERRE