L’agro-écologue Pierre Rabhi est mort
C’était une figure, ses disciples diraient même un gourou, de l’agro-écologie. Un sage, un humaniste, un paysan écolo et l’un des inventeurs du concept de «sobriété heureuse», plus vendeur que celui de «décroissance». L’écrivain et philosophe Pierre Rabhi est mort à l’âge de 83 ans des suites d’une hémorragie cérébrale, a appris l’AFP samedi auprès de sa famille. Pour bien des écolos il était un des apôtres de la décroissance, un sage dont la voix humaniste portait au-delà des ghettos militants. Pierre Rabhi, «c’est ce paysan, penseur et écrivain, né en 1938 dans le sud algérien qui, pour s’affranchir de sa condition aliénante d’ouvrier spécialisé, a choisi en 1961 le retour à la terre», écrivait Libération en 2013. «Une prise de maquis physique, morale et éthique par rapport à une société que je considère comme ayant été une grande illusion», racontait-il en 2013 dans le film intitulé Au nom de la terre, qui lui était consacré.
Sandales aux pieds, pantalon de velours et bretelles, bouc bien taillé, Pierre Rabhi c’était «52 kilos tout mouillé» mais un vrai charisme et des formules qui faisaient mouche pour appeler à une «insurrection des consciences». Né en 1938 aux portes du Sahara, il est très tôt écartelé entre «modernité et tradition», quand son père le confie à une famille de colons français, afin de lui assurer une meilleure instruction. Rabah deviendra alors Pierre.
«Des déchirements, des ruptures, des souffrances, il y en a eu un bon paquet», confiait cet autodidacte, enraciné en Ardèche depuis 1961, après avoir quitté l’Algérie au début des «événements» et connu «l’incarcération» d’une vie parisienne. A l’usine, il rencontrera Michèle, secrétaire de direction et future mère de ses cinq enfants, avec qui il échafaude ce retour à la terre, dans une volonté de «désaliénation» car «nous ne sommes pas nés pour produire».
Pour acheter ce qui deviendra leur ferme, le frêle Pierre Rabhi, mû par «l’énergie tenace des gens du désert», se fera maçon, menuisier, ferronnier, ramasseur de truffes, ouvrier agricole… Il restera comme l’un des pionniers de l’agroécologie – pratique agricole visant à régénérer le milieu naturel en excluant pesticides et engrais chimiques. Une méthode appliquée dès les années 1980 en Afrique sub-saharienne, où il effectuera de nombreux séjours.
Référence dans le sérail écologiste et altermondialiste, celui qui fut l’ami de Thomas Sankara ou du légendaire violoniste Yehudi Menuhin a connu une certaine exposition médiatique en 2002, lors d’une éphémère candidature à la présidentielle pour, déjà, «introduire dans le débat l’urgence écologique et humaine». Il partagera par la suite son temps entre interviews, animation de ses fondations, conférences et rédaction d’ouvrages… Même si dans ce riche programme, le temps de jardinage n’était «pas négociable».
«Il y a une espèce d’inconscience, nous sommes dans une modernité aveugle, dans le sens où l’on ne voit plus que le gain financier», déclarait-il à l’AFP en octobre 2018.
La ritournelle du colibri
En lui, le moine bouddhiste Matthieu Ricard voyait un «frère de conscience». Et il sera adulé par l’actrice Marion Cotillard ou Nicolas Hulot. «Une des rares personnes qui m’ont aidé à me construire», confie l’ex-animateur de télévision.
Les ouvrages de Pierre Rabhi, innombrables, rencontrent à chaque fois un succès indéniable. A commencer par son livre-plaidoyer, Vers la sobriété heureuse, vendu à plus de 460 000 exemplaires depuis sa parution en 2010, selon son éditeur Actes Sud. «L’agroécologie est reconnue maintenant, même par les Nations unies, comme étant la bonne solution pour résoudre les problèmes de l’alimentation dans le monde», se réjouissait-il. Elle «a beaucoup bénéficié des avancées scientifiques en matière de compréhension des sols et de la vie biologique». Sans parti, militant de «la joie» plutôt que de «la décroissance», Pierre Rabhi rejetait catégoriquement la notion de «développement durable», «une niaiserie ajustée sur la croissance économique».