La parution aujourd’hui du livre de l’éditrice Vanessa Springora, Consentement, dans lequel elle décrit comment elle a été séduite par l’écrivain Gabriel Matzneff, presque quinquagénaire, alors qu’elle avait 14 ans, a remis sur le devant de la scène le débat sur la pédophilie. Avec une question corolaire : l’oeuvre aussi géniale soit-elle d’un écrivain peut-elle occulter les actes répréhensibles de son auteur ?

Bernard Pivot, à qui l’on reproche aujourd’hui sa complaisance à l’égard de Gabriel Matzneff il y a 30 ans, dans une émission d’Apostrophe, a bien résumé le problème : “Dans les années 70 et 80, la littérature passait avant la morale. Aujourd’hui, la morale passe avant la littérature. Moralement, c’est un progrès. Nous sommes plus ou moins les produits intellectuels et moraux d’un pays et, surtout, d’une époque”.

Ces problématiques pourraient nous passer bien au dessus de la tête. Après tout, ce débat ne concerne qu’une intelligentsia parisienne prompte à brûler aujourd’hui ce qu’elle a adoré hier. Mais en sommes-nous aussi sûrs?

Ce débat pourrait nous concerner aussi à l’ile de La Réunion. Certes, les faits ne datent pas de 30 ans, ils sont bien plus anciens. Ils datent même de près de 250 ans mais touchent un de nos poètes les plus célèbres, Evariste de Parny, qui ne cachait pas, lui non plus, ses amours pour les enfants…

Jeudi 2 Janvier 2020 – 07:08

 

Tout le monde à La Réunion connaît de nom Evariste de Parny. Ne serait-ce que parce qu’un lycée porte son nom à Plateau Caillou, à Saint-Paul. Et que de nombreuses villes ont baptisé une rue de son nom : Saint-Pierre, Le Tampon, Le Port, La Possession, Saint-Louis, et j’en oublie peut-être.

Parce que le niveau de notre enseignement est ce qu’il est, pas sûr par contre que beaucoup de Réunionnais soient au courant qu’Evariste de Parny, de son vrai nom Évariste Désiré de Forges, chevalier puis vicomte de Parny, est un des plus grands poètes français et qu’il est né le 6 février 1753 à L’Hermitage, à Saint-Paul dans ce qui s’appelait à l’époque l’île Bourbon. Et qu’il est mort le 5 décembre 1814 à Paris.

Il a quitté l’ile à l’âge de 9 ans et après avoir un temps envisagé une carrière ecclésiastique, a fini par embrasser celle de militaire après avoir été introduit à la cour de Versailles où il s’est lie d’amitié avec deux autres poètes, un de l’ile Bourbon comme lui, Antoine Bertin (dont une rue au moins porte le nom à Saint-Denis) et Nicolas-Germain Léonard, originaire de Guadeloupe.

C’est au cours d’un séjour à l’ile Bourbon en 1773 qu’Evariste de Parny découvre sa vocation poétique et qu’il tombe amoureux d’Esther Lelièvre, alors âgée de 12 ans, qu’il séduit. C’est comme ça qu’on désignait l’acte de faire l’amour à l’époque.

Malheureusement pour lui, le père d’Esther s’oppose au mariage et la jeune fille hantera l’œuvre de l’écrivain. Il lui rendra de nombreux hommages en lui consacrant notamment en 1778 les Poésies érotiques où elle apparaît sous le nom d’Eléonore, une oeuvre qui connaît d’emblée un grand succès.

Je vous livre le premier paragraphe des Poésies érotiques :

Aimer à treize ans, dites-vous,
C’est trop tôt : eh, qu’importe l’âge ?
Avez-vous besoin d’être sage
Pour goûter le plaisir des fous ?
Ne prenez pas pour une affaire
Ce qui n’est qu’un amusement ;
Lorsque vient la saison de plaire,
Le cœur n’est pas longtemps enfant.

Et dans d’autres poèmes, plus tardifs, il souligne encore son amour pour “l’âme juvénile”…

Pas question pour moi de commettre une erreur assez courante qui consisterait à vouloir juger Evariste de Parny aujourd’hui, avec nos yeux d’hommes -et de femmes- du 21ème siècle.

En 1773, les enfants étaient à peine considérés comme des humains et la conscience des violences sexuelles n’existait qu’à peine. Ce n’est en effet qu’en 1832 que le rapport sexuel d’un adulte avec un enfant sera considéré comme un crime.

Et s’il est ensuite “très lourdement moralement réprouvé“, “il reste longtemps et jusqu’aux années 1980 considéré avec une certaine légèreté dans le discours social“, explique Anne-Claude Ambroise-Rendu, historienne et autrice d’une Histoire de la pédophilie : XIXe-XXIe siècles.

Une recrudescence de la pédophilie au lendemain de Mai 68

De nombreux écrivains et hommes publics , au fil des siècles, n’ont pas caché leur amour des petites filles et des petits garçons.

Dans les années 1950, Vladimir Nabokov en Russie, raconta ses amours avec sa Lolita. Puis André Gide en France, qui dans L’Immoraliste, narra son goût des petits garçons.

Mais ce sont surtout les années 1970, au lendemain des événements de Mai 68 où il était “interdit d’interdire” que la pédophilie a pris son essor dans l’intelligentsia française, la plupart du temps de gauche ou d’extrême gauche.

Des pratiques sexuelles avec une fillette de 5 ans

C’est par exemple le journal Libération qui, dans son édition du 5 novembre 1977, titrait “Apprenons l’amour à nos enfants“. Et qui, le 20 juin 1981, publiait l’interview d’un homme décrivant ses pratiques sexuelles avec une fillette de 5 ans, dont voici un extrait :

“Je faisais un cunnilingus à une amie. Sa fille, âgée de cinq ans, paraissait dormir dans son petit lit mitoyen.
Quand j’ai eu fini, la petite s’est placée sur le dos en écartant les cuisses et, très sérieusement, me dit “à mon tour, maintenant”.
Elle était adorable.
Nos rapports se sont poursuivis pendant trois ans”.

En 1977, comme Libé, Charlie Hebdo prenait la défense de trois hommes emprisonnés pour pédophilie. Le journal appelait alors tous ses lecteurs qui “aime[nt] les petites filles et les petits garçons” et leurs “ciels de cuisses tendres et sans duvet” à rejoindre le combat en faveur de ces hommes “emprisonnés […] pour amour à enfants“. Une pétition en leur faveur d’abord publiée par Le Monde puis par Libération recueillera des signatures prestigieuses : Louis Aragon, Bernard Kouchner, Glucksmann, Jack Lang, Philippe Sollers, Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir… La crème de la crème !

Même succès pour un autre texte, quelque temps plus tard, qui réclame une modification profonde des articles du code pénal réprimant le détournement de mineur, et “une reconnaissance du droit de l’enfant et de l’adolescent à entretenir des relations avec les personnes de son choix“…

Quand Daniel Cohn-Bendit caressait “des gosses” qui ouvrent sa braguette

Le 23 avril 1982, c’est Daniel Cohn-Bendit, reprenant une confession faite en 1975 dans son livre le Grand Bazar, qui proclame sur le plateau d’Apostrophes : “Quand vous avez une petite fille de 5 ans qui commence à vous déshabiller, c’est fantastique, car c’est un jeu absolument érotico-maniaque”. Des propos qu’il reniera plus tard, “en fonction de ce que nous savons aujourd’hui“.

Voici un extrait de ce qu’il avait écrit en 1975 :

“Il m’était arrivé plusieurs fois que certains gosses ouvrent ma braguette et commencent à me chatouiller. Je réagissais de manière différente selon les circonstances, mais leur désir me posait un problème. Je leur demandais : “Pourquoi ne jouez-vous pas ensemble, pourquoi m’avez-vous choisi, moi, et pas les autres gosses ?” Mais s’ils insistaient, je les caressais quand même”.

Des personnalités impliquées mais jamais inquiétées

Mais l’affaire la plus célèbre remonte à 1982. C’est celle dite du “Coral”, un foyer pour jeunes handicapés basé à Aimargues, dans le Gard. A cette époque où, comme nous l’avons vu, de nombreux intellectuels militaient pour l’abaissement de l’âge de la majorité sexuelle, le Coral recevait la visite notoire de nombreuses personnalités parmi lesquelles Jack Lang, le philosophe René Schérer, l’écrivain Gabriel Matzneff (qui vient de se faire épingler), Frédéric Mitterrand…

Au total, près de 340 personnalités (hommes politiques, artistes, journalistes, magistrats, policiers, prêtres…) auraient été impliquées de près ou de loin dans l’affaire Coral.
Sur le plan judiciaire, bizarrement, l’affaire Coral finira en eau de boudin.

Bien que de nombreuses photos d’activités pédocriminelles aient été saisies, et que de nombreux témoins aient affirmé avoir assisté à des scènes pédocriminelles au Coral, seule une poignée de lampistes (dont le directeur du Coral, Claude Sigala) seront au final condamnés, en mars 1987, à quelques légères peines de prison, toutes assorties de sursis curieusement clément. Des peines ridicules au regard des faits, du nombre de personnes impliquées, et du scandale énorme que l’affaire avait provoqué à l’époque.

Et Evariste de Parny dans tout ça ?

Comme je l’ai dit plus haut, il serait aberrant de vouloir condamner les actes d’Evariste de Parny au regard des lois du 21ème siècle. Mais pour autant, peut-on raisonnablement continuer à laisser des établissements scolaires et des rues porter le nom de quelqu’un qui ne cachait pas son amour pour une enfant de 12 ans?

Reconnaissons que la question, pour le moins, mérite d’être posée.

source : https://www.zinfos974.com/Pierrot-Dupuy-Evariste-de-Parny-etait-un-pedophile-doit-on-debaptiser-son-lycee-et-ses-rues_a147828.html
Pierrot Dupuy
Pierrot Dupuy est le fondateur de Zinfos974. C’était le 1er septembre 2008