Vesoul. Elle parle de lui comme s’il était toujours là. « Il a eu 20 ans vendredi dernier », glisse Marie-Agnès Choulet, en passant devant la photo de son fils. Pierre, pourtant, est mort en février en Irak. « Les services de renseignement nous ont confirmé son décès. C’est sûr à 99 %. »

Originaire de Port-sur-Saône, Pierre Choulet avait quitté Besançon, où il était étudiant, le 22 octobre 2013. Direction la Syrie, où il a rejoint les rangs de l’État islamique. Ses parents recevaient environ un courriel par mois, sans réussir à savoir ce qu’il faisait là-bas : il parlait d’humanitaire, pas de djihad. La réalité, brutale, s’est imposée lors de l’annonce de sa mort. Selon la propagande de l’organisation terroriste, Pierre Choulet, dit « Abou-Talha al-Faransi », aurait commis un attentat suicide contre une caserne en Irak.

Depuis, sa maman a besoin de témoigner. « C’est une thérapie pour moi », reconnaît la quinquagénaire, aide-soignante dans une maison de retraite. « Mon mari est plus discret, mais il souffre autant que moi. » Le couple avait accepté de nous recevoir juste après l’annonce du décès de Pierre (L’Est Républicain du 19 février 2015). Mercredi, Marie-Agnès Choulet a participé à l’émission « Toute une histoire », présentée par Sophie Davant, qui sera diffusée lundi à 14 h sur France 2. Le thème : « Leur enfant est parti en Syrie ».

{{« Il n’était plus lui-même, comme dans une secte »}}

En juin, elle avait déjà raconté le parcours de son fils sur le plateau de l’émission. Elle a aussi été invitée dans « C à vous », sur France 5, et a reçu des sollicitations de nombreuses télés et radios. En avril, elle a été reçue avec son mari et d’autres familles par le ministre de l’Intérieur.

À chaque occasion, elle dresse le portrait d’un jeune sans histoires, passionné de sport, proche de sa famille. Sa conversion à l’islam, semble-t-il pendant son année de première à Vesoul, les avait inquiétés. Mais à l’époque, les crimes de Daech n’étaient pas aussi médiatisés qu’aujourd’hui. « On n’en entendait pas parler », souligne la mère de Pierre. Les risques de radicalisation n’étaient pas aussi connus non plus.

Quel parcours précis le Haut-Saônois a-t-il suivi ? Ses parents n’en savent rien. « On reste avec nos questions. Ceux qui ont réussi à lui retourner la tête sont forts : c’est du lavage de cerveau. D’un ange, ils ont fait un démon. Il n’était plus lui-même, comme dans une secte. Ça nous paraît irréel qu’ils aient pu en faire un terroriste. »

{{« Il y a un numéro vert, il ne faut pas hésiter à appeler »}}

C’est ce danger que Marie-Agnès Choulet veut montrer au plus grand nombre : selon elle, personne n’est à l’abri d’une dérive équivalente à celle de son fils. « Je ne veux plus qu’il y ait d’innocent comme le nôtre qui reparte là-bas ». « C’était un oisillon dans son nid, on lui donnait encore la becquée, mais quelqu’un est venu pour le faire voler alors qu’il ne savait pas encore. Les policiers avec qui on a parlé nous ont dit qu’il n’avait pas le profil des gens qui partent, que c’était plus souvent des jeunes en manque de repères. Mais aujourd’hui, il n’y a plus de profil. »

Si Marie-Agnès Choulet devait donner un conseil aux parents autour d’elle ? « Il faut être vigilant sur le comportement de ses enfants, sans faire de psychose, et réagir en cas de changement. Il y a un numéro vert pour ça, il ne faut pas hésiter à appeler. Ça n’existait pas à l’époque pour Pierre… »

En ce qui la concerne, depuis sept mois, la mère de famille tente de faire le deuil de son fils. « C’est comme une grave maladie », confie-t-elle. « Il faut accepter, réaliser, se soigner, mais on vit avec toute sa vie. Moi, j’ai encore du mal à réaliser. » La quinquagénaire n’a jamais vu le corps de son fils et essaye en vain d’obtenir un acte de décès. « J’étais toujours avec lui, il faut que je m’habitue à vivre autrement. »

Dans le cadre de l’assistance aux familles confrontées au départ de mineurs pour la Syrie, le ministère de l’Intérieur propose un numéro vert, le 0.800.00.56.96 (appel gratuit depuis un poste fixe). Accessible du lundi au vendredi, de 9 h à 17 h, ce numéro de téléphone peut être utilisé pour : signaler une situation inquiétante qui paraît menacer un membre de la famille ou un proche ; obtenir des renseignements sur la conduite à tenir ; être écouté et conseillé dans les démarches à suivre.

source : par Guillaume MINAUX
http://www.estrepublicain.fr/actualite/2015/09/25/son-fils-mort-au-djihad-on-reste-avec-nos-questions