En ce mois d’avril, l’humanité commémore le centenaire des génocides des Arméniens et Assyro-Chaldéens perpétrés par l’Empire ottoman. Il est des peuples qui ont connu par le passé un sort tragique mais que l’histoire présente a ressuscités. Ce n’est pas encore le cas du peuple assyro-chaldéen qui endura à maintes reprises les vicissitudes de l’histoire.
Comme effet du génocide, le XXè siècle restera pour ce peuple et ses institutions civiles, culturelles et religieuses celui de la grande tragédie. L’étendue des ruines et le champ des blessures sont énormes. Le drame de 1915 a profondément bouleversé leur vie et déstructuré leur société. Les hiérarchies sociales et religieuses ont été ruinées et complètement désintégrées. Ce fut le début d’une diaspora massive.
Connu sous des vocables différents : Assyriens, Chaldéens, Syriaques, Nestoriens, Jacobites, Araméens, les Assyro-Chaldéens, appelés Aïssors ou Assoris par les Arméniens, Suriyani par les Turcs, se considèrent en filiation avec les peuples assyrien, babylonien, chaldéen et araméen de l’antique Mésopotamie, pays situé entre les deux fleuves le Tigre et l’Euphrate, dont l’histoire remonte à plus de 5000 ans.
Ces massacres ont eu lieu sur un périmètre très large, en Anatolie orientale, au Hakkari, au nord de l’Iran et dans la province de Mossoul, voire ailleurs, à partir de janvier 1915, dans les mêmes conditions et presque sur les mêmes lieux que les Arméniens et dans un dessein analogue, qui visait selon des objectifs arrêtés : à homogénéiser l’Empire et turquifier le pays, à l’éradication de tout groupe ethniquement non turc et religieusement non musulman.
De nombreux actes douloureux et des scènes d’horreur jalonnent cette histoire, durant lesquelles des centaines de milliers de personnes ont été massacrées ou sont mortes de soif, de faim, de misère, d’inanition, d’épuisement, de maladies sur les routes de l’exode et de la déportation. L’objectif était de les évacuer des zones géographiques, trop sensibles aux yeux des nationalistes turcs et de se débarrasser, sous le prétexte fallacieux d’infidélité et de déloyauté de ces non Turcs et non musulmans, en les éliminant physiquement, en les diluant et en les déportant.
Confirmé pour son historicité, ce peuple était reconnu dans ses différentes composantes, comme des millet (Nation et Eglise) quoique avec des limites, sous l’Empire ottoman.
Il est reconnu explicitement dans un document diplomatique international, le traité de Sèvres, signé le 10 août 1920, entre les puissances victorieuses, alliées et associées et la Turquie. Ce traité prévoyait un plan d’autonomie locale pour les Kurdes. Au sujet des Assyro-Chaldéens, il stipule que « ce plan devra comporter des garanties complètes pour la protection des Assyro-Chaldéens et autres minorités ethniques ou religieuses dans l’intérieur de ces régions. » (Section III. Kurdistan article 62).
Les Assyro-Chaldéens sont également consacrés dans plusieurs textes de la Société des Nations (SDN), prédécesseur de l’ONU. On lit en effet, en 1935, dans une brochure L’établissement des Assyriens. Une oeuvre humanitaire et d’apaisement ceci : « Il faut voir une preuve de courage peu commun et de rare ténacité dans le fait que la communauté assyrienne réussit à se maintenir pendant de longs siècles d’oubli et de mépris, conservant quelque chose de ses anciennes traditions en tant qu’Eglise et en tant que peuple. » Il y est dit également que les Assyriens furent « chassés de leurs montagnes par les forces turques » en 1915 et « se réfugièrent à Ourmiah, en Perse, ville qui était, à l’époque, aux mains des troupes russes. »
Ce génocide n’est pas une terre inconnue. Nous possédons en effet une documentation de première main, de l’époque, abondante et en plusieurs langues qui relate au jour le jour ce qui s’est passé. Elle décrit localité par localité les faits et émane le plus souvent de missionnaires établis sur place, toutes obédiences religieuses confondues, de journalistes, de rapports diplomatiques établis par les Etats, et ceux des patriarches des différentes Eglises. Il existe en outre une littérature en araméen (classique, oriental et occidental), qui est la langue de cette communauté, et en arabe, que nous avons dépouillée.
Cette documentation qui couvre tous les champs territoriaux où le drame s’est déroulé, émane de sources autorisées et bien informées, de personnalités reconnues pour leur moralité et intégrité. Ce qui est frappant c’est que tous ces témoignages convergent et condamnent le gouvernement turc et les autorités régionales et locales respectives. On y trouve un faisceau de faits, de preuves et d’arguments sur la tragédie.
Ce génocide physique et cette spoliation des terres et des biens étaient accompagnés d’atteintes graves à l’héritage culturel. Des monuments historiques ont été détruits et laissés à l’abandon, des églises profanées et des écoles démolies. Des bibliothèques contenant des livres rares et de riches manuscrits ont été dilapidées et détruites, comme celles du diocèse chaldéen de Séert ou du siège patriarcal assyrien à Kotchanès, petit village au Hakkari, désormais abandonné, ou encore des monastères syriaques de Tour Abdin.
Les Assyro-Chaldéens se sont vus ainsi déposséder d’une grande partie de leurs lieux de vie, de culture et de mémoire. En tout, plus de 400 églises et monastères ont été ruinés.
Plus de 250 000 Assyro-Chaldéens-Syriaques – ce qui représente plus de la moitié de la communauté – ont péri sur l’ensemble du territoire turco-persan, des mains des Turcs, des irréguliers kurdes et d’autres ethnies qui furent utilisées à ces fins. Tous les documents montrent que ces massacres furent des actes « combinés et concertés » par les autorités ottomanes et qu’il ne s’agit en aucune manière d’éléments isolés ou incontrôlés
Donnons-en quelques exemples
Le Blue Book britannique : « The Treatment of Armenians in the Ottoman Empire » (1916) est une contribution majeure qui rassemble des récits de témoins illustres et traite dans sa version originale anglaise des massacres des Assyriens.
L’abbé assyro-chaldéen, Joseph Naayem, témoin oculaire des massacres, qui fut emprisonné et qui échappa de justesse aux massacres, a écrit un ouvrage en français, en 1920, dont le titre est, en lui-même, fort évocateur : Les Assyro-Chaldéens et les Arméniens massacrés par les Turcs.
L’abbé français Eugène Griselle (1861-1923), quant à lui, a intitulé son ouvrage : Syriens et Chaldéens, leurs martyres, leurs espérances, 1914-1917, dans lequel il décrit les massacres.
Isaac Armalé, prêtre syriaque de Mardin, un autre témoin oculaire de la tragédie, a rédigé un ouvrage intitulé : Al-Qousara fi Nakabat Annasara (Les calamités des chrétiens). C’est une source capitale et intarissable de témoignages et d’informations sur les massacres de 1915, voire même de 1895.
D’autres témoins importants méritent d’être mentionnés parmi lesquels : le pasteur allemand Johannès Lepsius, les trois Dominicains Jacques Rhétoré, Hyacinthe Simon et Marie-Dominique Berré, et le Syriaque Mor Ephrem Barsoum. Ces crimes, écrit Joseph Naayem « déshonorent l’histoire de l’humanité. ». Ils ont été commis par les « ennemis de l’humanité » accuse, pour sa part, Isaac Armalé, cet autre témoin des massacres.
Aujourd’hui, l’heure de la reconnaissance est en marche.
source : Par Joseph Yacoub, professeur honoraire de l’Université catholique de Lyon, ancien titulaire de la chaire UNESCO « Mémoire, cultures et interculturalité » de ladite Université.http://www.lemonde.fr/idees/article/2015/04/23/pour-la-reconnaissance-du-genocide-des-assyro-chaldeens_4620930_3232.html
Joseph Yacoub est aussi l’auteur de Qui s’en souviendra ? 1915 : le génocide assyro-chaldéo-syriaque, Ed. du Cerf, octobre 2014.