Le recteur de la Grande Mosquée de Paris, Chems-Eddine Hafiz, vice-président du Conseil français du culte musulman, livre en exclusivité son analyse sur le projet de loi contre les séparatismes. Le texte est examiné ce mercredi en Conseil des ministres.

 Chems-Eddine Hafiz estime que si c’est «une bonne chose» de «normaliser l’organisation du culte musulman», le contexte n’est pas opportun.
Chems-Eddine Hafiz estime que si c’est «une bonne chose» de «normaliser l’organisation du culte musulman», le contexte n’est pas opportun.  LP/Philippe Lavieille

C’est l’une des voix les plus influentes de l’islam de France. Chems-Eddine Hafiz, avocat franco-algérien âgé de 66 ans, est recteur de la Grande Mosquée de Paris après avoir succédé, il y a près d’un an, à Dalil Boubakeur. Celui qui est aussi vice-président du Conseil français du culte musulman (CFCM) nous a reçus ce lundi dans ses murs pour commenter le projet de loi contre les séparatismes examiné mercredi en Conseil des ministres et visant, notamment, à lutter contre l’islamisme.

Quel regard portez-vous sur le projet de loi contre les séparatismes destiné, entre autres, à lutter contre l’islam radical ?

CHEMS-EDDINE HAFIZ. J’ai des doutes sur son opportunité. N’aurait-il pas été plus sage de reporter son examen, dans un contexte moins passionnel? Car depuis l’annonce, par le président de la République, de ce texte, il y a eu deux événements graves : la décapitation de Samuel Paty et l’attaque de la basilique de Nice. Cela va être un texte répressif, qui risque de toucher aux droits fondamentaux. Il aura des répercussions sur l’organisation de l’islam mais aussi les autres cultes. Or cela me gêne qu’à chaque fois qu’on légifère en France sur la question de l’islam, cela touche les autres cultes avec qui je souhaite avoir une relation apaisée. Je ne veux pas que leurs responsables puissent me reprocher : C’est toujours à cause des musulmans qu’on est contraint de remettre sur la table l’organisation des cultes en France.

Sur le texte en lui-même, quelle est votre position ?

Il y a une volonté de normaliser l’organisation du culte musulman en France, ce qui est une bonne chose. Mais j’émets aussi des réserves. La transparence nécessaire concernant les financements étrangers est déjà prévue dans le Code monétaire et financier. Pourquoi le redire dans une nouvelle loi ? Idem pour l’apologie du terrorisme, il existe déjà une loi de 2017. Le dispositif législatif français est suffisamment complet.

En matière de financement des lieux de culte par des fonds étrangers, c’est l’opacité qui règne, non ?

Elle existe, bien évidemment. Mais on sait où elle se trouve. Il ne faut pas jeter le trouble sur tous les financements étrangers mais faire une distinction entre les pays. La Grande Mosquée de Paris est financée par l’Algérie dans la transparence la plus totale, cela ne pose pas de problème à la société française. En revanche, l’Arabie saoudite, le Qatar, les pays du Golfe…, eux, n’ont aucune raison d’être des sources de financement, ils n’ont pas de communauté ici en France.

Comment mettre fin à l’islamisme dans l’Hexagone ?

C’est aux mosquées de s’emparer de cette problématique. Les imams doivent certes assurer le prêche le vendredi, mais aussi sortir impérativement de leur salle de prière pour aller vers les musulmans et les non-musulmans afin de leur expliquer la réalité de leur religion. Eux seuls peuvent faire ce travail de théologie, déconstruire l’argumentaire monté par les groupes terroristes qui légitiment leurs actions en instrumentalisant et en dévoyant le corpus religieux. Pour cela, il faut qu’on les forme et qu’ils bénéficient d’un statut juridique. Il faut aussi trouver comment les rémunérer grâce à de nouvelles sources de financement : le pèlerinage à La Mecque, une taxe halal…

La laïcité à la française est-elle le meilleur système pour garantir la liberté des cultes ?

Absolument. Pour les musulmans de France, la laïcité est une chance extraordinaire : ils appartiennent à la dernière religion à s’être assise à la table de la République aux côtés des autres cultes avec lesquels ils sont à égalité. Nous avons, en très peu de temps, construit un patrimoine de l’islam de France avec 2 600 lieux de culte. Cette liberté d’association et d’obtention de financements, nous l’avons eu grâce à la laïcité.

Le Conseil français du culte musulman (CFCM), critiqué pour son manque de représentativité, a-t-il encore une raison d’être ?

Je suis l’un de ses membres fondateurs. Heureusement que cet outil existe, mais il est perfectible. Il faut arriver à comprendre pourquoi, sur les 2 600 lieux de culte, il n’y en a que 1 100 qui, aujourd’hui, y adhèrent. Il a par ailleurs un budget de fonctionnement très réduit. Son mode d’organisation doit être totalement revu. On ne peut pas l’ériger comme un clergé. Le CFCM ne peut être à aucun moment le seul représentant des musulmans de France. Il doit être un organe technique, pas politique, pour mettre en place des procédures en vue de structurer et de financer le culte musulman, obtenir auprès des maires des lieux d’inhumation et organiser le pèlerinage à La Mecque.

Quand la « charte des valeurs républicaines » qui doit être signée par les 9 fédérations du CFCM et qui est tant souhaitée par le président Macron verra-t-elle le jour ?

Elle sera signée dans les dix jours qui viennent. On n’a pas encore trouvé tous les dénominateurs communs pour qu’elle soit adoptée par l’ensemble des fédérations. Pour moi, elle doit engager à un respect strict des principes républicains, rappeler que le financement étranger ne peut avoir d’incidence sur la gestion du culte musulman, définir exactement ce qu’est l’islam politique et prévoir des sanctions en cas de violation.

Où en est le projet de Conseil national des imams (CNI) visant à labelliser les imams mais qui est contesté par de nombreuses voix de l’islam de France ?

Sur le plan technique, c’est pratiquement terminé. Il nous reste à rédiger le code de déontologie. Une classification de l’imam a été établie suivant trois catégories : l’imam qui peut assurer les cinq prières quotidiennes, l’imam prédicateur qui prêche lors de la prière du vendredi et l’imam conférencier en charge de la doctrine de l’islam de France. En octobre-novembre 2021, on aura agréé, je l’espère, l’ensemble des imams des neuf fédérations du CFCM. Ensuite, il faudra que les membres du CNI aillent vers les imams indépendants pour les convaincre de l’intérêt d’être agréés car il y a aujourd’hui des réticences. C’est un travail pédagogique, qui se fera par étapes. Il y a énormément d’avantages à obtenir cet agrément. Des cycles de formation gratuite, en France ou à l’étranger, seront notamment proposés. Il est impératif d’agréer les imams officiant en France, de savoir quelles sont leurs formations pour être sûr que leurs discours soient en harmonie avec les principes républicains. Certains évoquent pendant leur prêche leur haine de ces principes et de la France, il faut que ça s’arrête.

Le ministère de l’Intérieur a annoncé, la semaine dernière, le contrôle de « 76 mosquées soupçonnées de séparatisme ». Que pensez-vous de cette initiative ?

Si ces mosquées participent au séparatisme, bien sûr qu’il faut le faire. Mais si, sur 2 600 lieux de culte, il y en a 76 qui posent problème, ça signifie aussi que le culte musulman en France est, de manière générale, sain.

L’Elysée souhaite mettre fin, d’ici à 4 ans, à la présence, en France, des imams étrangers, détachés et rémunérés par leur pays, comme c’est le cas de l’Algérie avec votre mosquée…

C’est une vraie atteinte à la liberté d’exercice du culte. Il existe, dans les autres cultes, de nombreux personnels en provenance de l’étranger, notamment les prêtres africains. Quelles associations, demain, auront les moyens de payer ces imams? Un imam détaché qui cède sa place risque d’être remplacé par ce fameux imam autoproclamé islamiste qu’on ne contrôle pas! Une mosquée ne vit qu’à travers la qualité de son imam. C’est pour cela qu’il y a beaucoup de monde à la mosquée de Paris lors du prêche du vendredi.

Partagez-vous la vision d’un « islam des Lumières » du président Macron ?

Je lui ai dit que depuis le début, je souscris à ce qu’il dit et je serai un partenaire loyal s’il n’est pas dans une approche électoraliste. Je fais un constat extrêmement sévère de la situation en France. Il faut extirper le mal islamiste jusqu’à la racine. A chaque fois que je le rencontre, je le vois déterminé à lutter contre l’islamisme radical, cela me rassure. Je vois aussi qu’il est en train de travailler à l’émergence d’instituts d’islamologie. Sur le plan intellectuel, nous n’avons pas, malheureusement, de penseurs d’envergure comparativement aux autres cultes. Je suis persuadé que c’est ici, en France, que nous allons vraiment en revenir à l’islam des Lumières et faire en sorte que notre pays soit un modèle dans le monde.

source :https://www.leparisien.fr/societe/pour-les-musulmans-de-france-la-laicite-est-une-chance-extraordinaire-dit-le-recteur-de-la-mosquee-de-paris-07-12-2020-8412997.php

Le 7 décembre 2020 à 19h40, modifié le 7 décembre 2020 à 20h16