Chronique de la vie quotidienne, sociale et culturelle dans les pays arabes. Des histoires qui racontent les particularités de leurs diverses sociétés.
Le film libanais Capharnaüm de la réalisatrice libanaise Nadine Labaki, distingué par le Prix du jury du Festival de Cannes samedi 19 mai, dérange le Hezbollah, le puissant mouvement politique libanais, vainqueur des élections législatives du 6 mai.
Capharnaüm raconte le périple d’un petit garçon, réfugié syrien des bidonvilles, dont le chemin croise une jeune femme de ménage qui travaille au noir. Et aborde des questions sociales a priori éloignées de la politique au Liban. Mais il est question de sans-papiers, d’enfants maltraités et de… réfugiés. Un thème qui fait manifestement bondir quelques figures du Hezbollah.
C’est Manar Sabbagh, une présentatrice de la chaîne Al-Manar, l’organe de communication du Hezbollah, qui a ouvert les vannes en rappelant sur Twitter aux «intellectuels (que) la gloire des martyrs du Hezbollah devrait suffire», avec une photo des «martyrs du premier jour de la bataille de Qousseir, en Syrie, en 2013».
Une prise de position appuyée par le député du Hezbollah Nawaf Moussaoui qui qualifie «les armes» d’uniques garants de la protection des libanais. L’intention dans les deux cas est claire : montrer que tout ce qui se rattache au pays du Cèdre doit converger vers l’engagement du «Hezb» au côté du régime de Bachar al-Assad et s’assurer qu’aucun événement, y compris culturel, ne l’éclipse.
Le Hezbollah, sur les dents
Sur les réseaux sociaux, de nombreuses personnalités de la société civile voient derrière cette surenchère médiatique du mouvement la peur d’être tenu responsable de l’afflux massif de réfugiés au Liban à cause du conflit syrien… Selon le Haut commissariat aux réfugiés, environ 1,9 million de personnes vivant au Liban ont ce statut, faisant du pays celui qui a le plus haut taux de réfugiés au monde, principalement des Palestiniens et Syriens. Le 30 avril 2013, le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, avait reconnu l’engagement de ses combattants dans la guerre en Syrie au côté du régime de Bachar al-Assad, une implication qui a divisé la scène politique mais aussi la société civile libanaise.
Pour d’autres, ces réactions épidermiques de la part de proches du parti chiite reflétent simplement leur rejet de toute vie culturelle… La polémique a pris tellement vite que le Hezbollah s’est fendu d’un communiqué officiel dès le 22 mai pour se désolidariser de ces propos – supprimés depuis du réseau social – affirmant qu’il «n’a jamais été contre l’art ou la culture», tout en rappelant que «les martyrs de la résistance sont la fierté de la patrie».
Au fond, cette micro polémique trahit tout un rapport utilitaire à l’art et la culture, comme l’explique à Libération Didier Leroy, chercheur spécialiste du Hezbollah à Bruxelles. «Le Hezbollah prône depuis sa création, en 1982 au moment de la guerre du Liban, ce qu’ils appellent « les arts de la résistance », qui consistent dans la promotion de l’engagement militaire dans la guerre en Syrie et/ou dans la commémoration du retrait des forces israéliennes du sud du Liban et le culte des martyrs.» Le mouvement compte dans son arsenal culturel notamment deux orchestres symphoniques officiels qui glorifient les martyrs à travers des chants très martiaux, mais aussi «le Jihad Tour», «un musée et complexe touristique» de 60 000 mètres carrés situé dans la ville de Mleeta.
Pour le spécialiste du Liban contemporain Stéphane Malsagne, la récompense obtenue à Cannes par le film de Nadine Labaki «revêt une signification symbolique car elle montre que le Liban peut aussi rayonner et faire unité sans le Hezbollah, alors que ce mouvement -la seule milice qui a conservé ses armes depuis la guerre du Liban- clame haut et fort qu’il est l’unique garant et rempart de la souveraineté libanaise, depuis son implication en 2000 dans la fin de l’occupation israélienne et en 2006 lors de la guerre des 33 jours et des destructions commises par Israël en territoire libanais».
source : liberation.fr
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