«L’envoyé spécial du pape est allé jusqu’à l’affirmer devant une église pleine. “Oui, vous, ici, vous êtes la lumière du monde. Vous êtes la vérité.” Il l’a dit.» Les yeux verts délavés de Zeljko Vasilj, un homme élancé aux cheveux blancs qui dirige l’office de tourisme de Medjugorje, en Bosnie-Herzégovine, s’animent lorsqu’il évoque la visite de l’archevêque polonais Henryk Hoser au printemps. Depuis, cet envoyé spécial du pape serait revenu «incognito» régulièrement, assurent les villageois.

«Argent»

Le Vatican, qui a toujours refusé de reconnaître les apparitions de la Vierge qui se produiraient très régulièrement depuis trente-six ans, s’apprêterait à le faire «prochainement». Pourraient être reconnues les «apparitions des sept premiers jours», et la «dimension surnaturelle» du phénomène. «Le pape reconnaîtrait Medjugorje comme un sanctuaire marial», a de son côté affirmé le magazine de la paroisse, Glasnik Mira («Messager de la paix»). L’archevêque polonais a affirmé lors d’une homélie – alors qu’il présidait une messe à Medjugorje – que ce culte marial est, selon lui, le fruit d’une intervention divine. Un changement de ton radical par rapport aux déclarations antérieures émanant du Vatican. Le pape François avait notamment estimé que «cette mode de la  Vierge superstar […], ce n’est pas très catholique».
Mais les oppositions de l’évêque local, celui de Mostar, honni ici, ainsi que de la papauté, n’ont jamais réussi à refroidir les pèlerins. «Que le phénomène soit reconnu ou pas, au fond, ça ne change rien. Les gens continuent de venir ici, quoi qu’il arrive. Et si au passage, on peut se faire un peu d’argent, tant mieux», commente un commerçant de ce village devenu prospère.
Italiens, Polonais, Hongrois, Sud-Américains… Depuis les premières «apparitions» supposées, en juin 1981, de 20 à 30 millions de visiteurs se seraient rendus à  Medjugorje. Pour le Saint-Siège, un tel niveau de piété populaire est devenu difficile à ignorer. C’est pour dresser un état des lieux au caractère pastoral que l’archevêque polonais est entré en scène. Officiellement. «Et quand il a vu que les nôtres travaillent mieux que ceux du Vatican, il a été saisi d’admiration», s’enthousiasme Zeljko Vasilj, à la terrasse d’une brasserie place de la «Gospa» (la «Vierge»), à côté de l’église du village.
Autour de la brasserie, comme dans tout le village, sont alignées des boutiques de souvenirs avec des statues de la Vierge, des pendentifs, des portefeuilles, des porte-clés à son effigie. Des tee-shirts aussi. Quelques-uns portent l’inscription «I love Jésus». Impossible d’échapper à la «mère» ou au «fils» de Dieu. On dort même avec le Christ, figurant sur les croix accrochées dans chaque chambre d’hôtel. Côté son, les épiceries ou les restaurants du village diffusent des chants religieux, et des haut-parleurs l’homélie à l’heure de la messe. Devant l’église, des pèlerins s’agenouillent, en extase. Une ambiance exaltée à laquelle aurait été sensible l’envoyé spécial du pape. «Quand il a vu, pour la première fois de sa vie, autant de gens (des milliers) faire la queue pour se confesser devant l’église, il s’est signé», se souvient Zeljko.

Oustachis

Zdravka Sego, une étudiante de 20 ans, très souriante, cheveux châtains mi-longs, fait partie des centaines de locaux allés l’applaudir à son arrivée, devant l’église. «Une petite fille lui a remis un bouquet de fleurs. Il avait l’air surpris. Même si une future reconnaissance [des apparitions, par le Vatican] reste entre les mains de Dieu, il nous a redonné de l’espoir. A Medjugorje, on est tous catholiques, tous pratiquants», explique-t-elle, joyeuse. Elle attend une amie rue du cardinal Stepinac, figure controversée de l’Occupation, accusé de proximité avec les oustachis, ces extrémistes croates pronazis.
A quelques encablures de là, se trouve la rue Franjo Tudjman, du nom de l’ancien président nationaliste de la Croatie voisine. Pas de drapeaux bosniens ici mais des bannières de la Croatie ou celle de l’«Herceg-Bosna», l’«Etat» rêvé des nationalistes croates de Bosnie depuis la guerre (1992-1995). Leur bastion se trouve justement dans cette région. Loin de l’appareil épiscopal urbain et des franciscains de Sarajevo, qui se tiennent éloignés de Medjugorje, et qui n’ont jamais cédé aux sirènes nationalistes. «Il n’en va pas de même en Herzégovine. Les Franciscains de Medjugorje sont des oustachis en soutane. Mais aussi de grands commerçants en pèlerinages, s’appuyant sur l’intégrisme catholique en expansion, notamment dans les anciens pays communistes», commente l’historien spécialiste du monde slave Vladimir Fisera. Finalement reconnu ou pas par le Vatican, Medjugorje restera ce qu’il est depuis longtemps : avant tout un gros business local.
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