Objet d’un véritable engouement médiatique, la méditation pleine conscience et ses bienfaits martelés par la presse grand public sont aujourd’hui sur la sellette. En clair : les preuves scientifiques de ces effets sur la santé feraient cruellement défaut selon une étude internationale publiée le mois dernier.

Sous la conduite de Nicholas Van Dam, psychologue clinicien et chercheur en sciences psychologiques à l’Université de Melbourne (Australie), une étude publiée le 10 octobre dernier[1] dans la revue scientifique Perspective on Psychological Science remet en cause l’ensemble des recherches scientifiques parues ces vingt dernières années sur la méditation de pleine conscience (alias mindfulness)[2]. Signée par quinze chercheurs d’universités réputées de divers continents, cette analyse met en exergue un manque cruel de rigueur scientifique : absence d’essais randomisés, non-respect du protocole en double aveugle, utilisation d’images cérébrales sans nuances, etc. L’intitulé de cette publication est éloquent : « Mind the hype ». Plus que les vertus de la méditation, c’est leur sur-exploitation marketing qui est visée.

Ce n’est pas vraiment une première. Déjà en 2014, une méta-analyse publiée dans  Journal of American Medical Association  conclut que, concernant l’anxiété, la dépression et la douleur, les résultats de la pleine conscience en termes de santé sont « faibles à modérés ». Professeur de médecine interne à l’Ecole de Médecine John Hopkins, Madhav Goyal, principal auteur de cette méta-analyse, estime que des recherches plus approfondies sur des échantillons plus significatifs sont nécessaires. La méta-analyse qu’il a conduite porte sur un échantillon de 3500 personnes ayant participé à 47 études. Après évaluation vigilante de l’effet placebo de ces études, Madhav Goyal conclut que les effets de la pleine conscience ne sont pas suffisamment significatifs sur la santé, l’humeur, les habitudes alimentaires, le sommeil ou la régulation du poids.

Absence de critiques objectives

Ce constat venait confirmer celui établi par l’American Heart Association (AHA) en 2013. Ayant validé les résultats positifs de la seule méditation transcendantale, l’AHA classait la pleine conscience parmi les techniques de méditation dont les études n’apportaient pas suffisamment de preuves scientifiques quant à leurs effets sur l’hypertension. Autre critique à considérer, celle de James Coyne, PhD, Professeur de  Psychologie de la Santé au Centre Médical de l’Université de Groningen (Hollande). Conseiller scientifique à la  Commission Européenne, il a également souligné le manque de preuves suffisantes dans les recherches conduites sur la pleine conscience. L’ensemble de ces critiques n’a rien de surprenant dans la mesure où John Kabat Zin, à l’origine de la promotion de la « mindfulness meditation », ne s’est jamais caché de ces lacunes : « toutes ces recherches ont aidé à populariser la méditation de la pleine conscience, même si beaucoup d’entre elles ne respectaient pas les plus hautes exigences scientifiques » a-t-il répété lors de la conférence qu’il a donnée à l’Université de Médecine de Strasbourg à l’automne 2016. Le plus étonnant dans cette affaire est sans doute le silence de la presse française qui continue de vanter les mérites de la pleine conscience en matière de santé et de bien-être comme si de rien n’était.

La nouvelle étude publiée en octobre 2017 arrive à point nommé, non pour nier le bien-fondé de la méditation, mais à la manière d’une « évaluation critique associée à un programme prescriptif » (comme l’indique d’ailleurs l’intitulé de l’étude), pour inciter les chercheurs concernés à procéder avec plus de rigueur scientifique dans leurs travaux comme dans leurs implémentations cliniques.

Un marché à plusieurs milliards

Précisons que la pleine conscience a fait l’objet d’environ 1200 études scientifiques publiées dans des revues visant un public universitaire, relayées par plus de 33.000 articles dans des journaux et des magazines visant le grand public. Cet engouement de la presse généraliste tient dans une large mesure au fait que la pleine conscience a été présentée dès le départ comme une « technique de méditation laïque », un argument pour le moins ambigu. Cette technique est directement issue de Shamatha, le premier niveau des pratiques bouddhistes et que la plupart des centres bouddhistes enseignent gratuitement. Sortie de son contexte bouddhiste, enseignée de manière disparate via des séminaires payants, des livres, des CD, des émissions de radio, du coaching ou des applis sur mobile, la pleine conscience représente aujourd’hui un marché mondial de plusieurs milliards de dollars. Poussée par un marketing digne de la vente de savonnettes, la pleine conscience promet au grand public moins de stress, plus de bien-être grâce au développement de la présence. La technique consiste à porter son attention sans jugement sur  la respiration ou tout autre processus biologique et à laisser passer le flot des pensées. Cette pratique met un terme au vagabondage mental.

Effets comparés de la pleine conscience et de la méditation transcendantale sur le stress post-traumatique

Cultiver cette présence comme on renforce un muscle par la gymnastique est le seul but de la technique, y compris à long terme, alors que les traditions bouddhistes ne visent rien moins que l’éveil spirituel et proposent à cet effet d’autres niveaux de pratique de plus en plus évolués. Rappelons que c’est en méditant sous son arbre que le Bouddha a atteint la conscience cosmique, une étape clé de l’illumination, but ultime de tout travail spirituel. Cet état de présence glorifié par le marketing de la pleine conscience n’a pas de caractéristiques biologiques particulières. Il dépend du niveau d’éveil de chacun. C’est l’état de veille ordinaire amputé du vagabondage mental. Par des chemins différents, toutes les techniques de méditation ramènent l’attention à ce même instant présent, loin du vagabondage mental. La pleine conscience n’apporte donc rien de spécifique de ce point de vue. Combien de temps l’attention reste-t-elle focalisée sur ce moment présent ?

Tout dépend bien sûr de la personne, de son état de stress et de la technique de méditation qu’elle pratique. Chez les vétérans de guerres ou les victimes d’attentats souffrant de stress post traumatique, l’attention est accaparée en quasi-permanence par les souvenirs traumatiques, l’amygdale du cerveau ayant ravi le contrôle au cortex préfrontal. C’est pourquoi ces personnes peinent à vivre une « vie normale » avec une activité professionnelle et des relations satisfaisantes. Une méta-analyse portant sur une dizaine d’études a montré que la méditation transcendantale était dix fois plus efficace que la pleine conscience pour réduire les symptômes du stress post-traumatique[3].

Inauguration d’un centre de recherche pour mener un travail de fond

Selon Willoughby Britton, professeur adjoint de psychiatrie et de comportement à la Warren Alpert Medical School of Brown University, co-auteur de la récente étude, les travaux publiés jusque-là sur la pleine conscience peuvent décevoir le grand public dans la mesure où les avantages prêtés à cette pratique sont exagérés. Prudence et nuance ne font pas partie du vocabulaire des promoteurs de la technique. L’étude conduite sous l’autorité de Nicholas Van Dam estime que les preuves scientifiques étaient quasi inexistantes dans les études publiées en 2007 et en 2014 : « Les résultats de quelques études à grande échelle menées jusqu’ici se sont révélés anecdotiques dans le meilleur des cas ».

Pour sa part, David E. Meyer, professeur de psychologie à l’Université du Michigan, également co-auteur de l’étude, explique que parfois, des intuitions prometteuses ont été plombées par les efforts pour les exploiter à tout prix sans aucune preuve. Afin d’améliorer la qualité des recherches futures sur la pleine conscience, un nouveau centre de recherche basé à l’Université Brown effectuera des recherches rigoureuses sur l’impact de cette technique pour les hôpitaux, les écoles et les entreprises qui souhaitent l’adopter. Il sera dirigé par Eric Loucks, professeur agrégé à l’École de Santé Publique de l’Université Brown. Espérons que les institutions françaises engagées dans cette pratique, comme l’Ecole de Médecine de Strasbourg ou encore l’Ecole de Management de Grenoble, suivront les conseils prodigués par cette étude, histoire de rassurer les entreprises qui ont choisi cette technique.

source :

https://www.forbes.fr/lifestyle/preuves-bienfaits-pleine-conscience-jugees-insuffisantes/

Jo Cohen – Contributeur

5 novembre 2017

 

notes :

[1]                                         La publication de cette étude a eu lieu le lendemain de la conférence Wisdom 2.0 qui s’est tenue à New York autour du sujet de la pleine conscience.

[2]                                      “Mind the Hype: A Critical Evaluation and Prescriptive Agenda for Research on Mindfulness and Meditation”, Nicholas T. Van Dam, Marieke K. van Vugt, David R. Vago, Laura Schmalzl, Clifford D. Saron, Andrew Olendzki, Ted Meissner, Sara W. Lazar, Catherine E. Kerr, Jolie Gorchov, Kieran C. R. Fox, Brent A. Field, Willoughby B. Britton, Julie A. Brefczynski-Lewis, David E. Meyer. Perspectives on Psychological Science. First Published October 10, 2017 Research Article.

[3]                                       Aux Etats-Unis et en Afrique, la fondation du cinéaste David Lynch propose l’apprentissage de la méditation transcendantale aux vétérans de différentes guerres.