Fracture numérique, fracture sociale 07/2019
Une connexion vous manque et tout est dépeuplé. L’injonction sociale et administrative à maîtriser l’outil numérique est forte ; ceux qui n’y parviennent pas peuvent rapidement se replier sur eux-mêmes. La fracture numérique serait-elle un facteur de démobilisation citoyenne pour les plus vulnérables ?
Aujourd’hui, le numérique est devenu indispensable pour accéder à ses droits et à l’emploi (100 % des démarches administratives dématérialisées en 20221), mais aussi pour travailler (automatisation des outils de production) ou au quotidien (loisirs, lien social, mobilité, suivi scolaire, etc.). Les cinq millions de Français cumulant précarité sociale et précarité numérique sont mis au ban de ce nouveau continent… Les freins à l’inclusion numérique sont multiples : illettrisme, absence de compte courant ou de logement, coûts des télécommunications et du matériel, complexité de l’offre, morcellement des opportunités d’accompagnement au numérique… Aussi les personnes âgées ou handicapées, les allocataires de minima sociaux, les habitants de zones rurales ou encore les jeunes n’ayant qu’un usage récréatif d’Internet restent sur le bord du chemin. Alors même que les services publics qui s’adressent à eux communiquent de plus en plus via Internet ! C’est ce qu’on appelle la « double peine » des publics fragilisés face au tout-numérique.
Les freins à l’inclusion numérique sont multiples : illettrisme, absence de compte courant ou de logement, coûts, complexité de l’offre…
Pas de lien sans connexion
Selon une étude menée pour Emmaüs Connect2, le numérique permet d’actionner trois leviers d’insertion socio-professionnelle des personnes en difficulté : l’estime de soi, la préservation des liens sociaux et familiaux et l’apaisement psychologique. Ainsi, pour la majorité des personnes interrogées, l’accès à une connexion permet d’être « comme tout le monde » : « Si tu n’as pas de téléphone, pas de numéro à donner, tu n’existes pas » entend-on régulièrement à Emmaüs Connect. Avoir accès à des outils numériques et savoir s’en servir renforce ainsi l’estime de soi. Ce sont aussi les liens sociaux et familiaux qui peuvent être préservés. 52 % des répondants utilisant Internet déclarent fréquenter des chats ou Skype et 38 % affirment utiliser les réseaux sociaux. Apaisement psychologique enfin, quand une personne interrogée déclare : « Je suis seule en France. Parfois, je suis stressée et j’ai peur. Avoir un téléphone me donne un sentiment de sécurité. » Estime de soi, lien social, sentiment de sécurité sont bien les premières briques essentielles pour construire les bases solides d’un pont entre chaque individu et la société. Le fait d’être connecté (avoir une connexion et savoir s’en servir) est donc autant une nouvelle injonction qu’une condition pour être inséré.
Être inséré pour se mobiliser
Mais Internet suscite également de l’inquiétude et ce sentiment est une forte source de démobilisation. Si celle-ci est notamment due à des problématiques de sécurisation des données (voir graphique ci-dessous3), elle est liée aussi à un sentiment d’incompétence et de non-maîtrise de l’outil (face aux démarches administratives dématérialisées par exemple). Quatre personnes sur dix se disent « très » ou « assez » inquiètes face à la perspective de devoir accomplir l’essentiel des démarches administratives en ligne. Les plus âgées et les moins diplômées témoignent d’un niveau d’inquiétude plus fort encore. Même parmi les plus jeunes de nos concitoyens et les plus diplômés, un peu plus d’une personne sur cinq fait état d’un certain malaise vis-à-vis de la généralisation des démarches en ligne4.
Source : Crédoc, Baromètre du numérique 2018, p. 197.