Il est impropre, car il ne s’agit pas de faire des lavages de cerveau à des terroristes endurcis. Face à un terrorisme islamiste en mesure d’emmener dans sa furie destructrice des petits délinquants ou des extrémistes religieux, il s’agit de chercher à prendre en charge ces personnes et de prévenir la radicalisation des autres.

L’administration pénitentiaire avait lancé cette réflexion avant les attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher en janvier 2015. Elle a, depuis, obtenu des moyens très importants. Pour évaluer ces politiques de prévention de la radicalisation et les budgets qui y sont consacrés, le ministre de la justice installe jeudi 7 juillet un « comité de pilotage ». Jean-Jacques Urvoas devrait par ailleurs constituer d’ici à la rentrée de septembre un comité scientifique chargé d’accompagner l’exploration du sujet.

« Tout le monde tâtonne, il est impossible de mesurer l’efficacité des programmes lancés », affirme Guillaume Denoix de Saint Marc, directeur général et porte-parole de l’Association française des victimes du terrorisme. Mais, insiste-t-il, « une chose est sûre, si on ne fait rien, on sait qu’on laisse livrées à elles-mêmes des personnes qui sont potentiellement des bombes humaines ». Sans attendre de retour scientifique sur ce qui a été fait, une prise en charge des détenus repérés comme radicalisés ou en voie de l’être sera déployée après l’été dans 27 prisons dites sensibles. « Il y a aujourd’hui dans les prisons 1 400 radicaux dont 300 ont un lien avec le terrorisme et 100 sont des condamnés », a détaillé M. Urvoas, le 15 juin, à l’Assemblée nationale.

« Plus d’inconvénients que d’avantages »

De son côté, la contrôleure générale des lieux de privation de liberté a publié mercredi 6 juillet un nouveau rapport sur le regroupement de détenus islamistes radicaux dans des unités spécialisées. Les équipes d’Adeline Hazan ont cette fois visité les cinq unités spécifiques ouvertes entre janvier et mars dans les prisons de Fresnes (Val-de-Marne), Fleury-Mérogis (Essonne), Osny (Val-d’Oise) et Lille-Annœullin (Nord). Le rapport est plus mesuré que celui du 30 juin 2015 dans lequel Mme Hazan avait dénoncé un choix « potentiellement dangereux », mais conclut néanmoins que le dispositif « présente plus d’inconvénients que d’avantages ».

La contrôleure générale des lieux de privation de liberté s’interroge « sur le bien-fondé de ce type de rassemblement organisé par l’administration pour des personnes que la justice poursuit pour association de malfaiteurs. En outre, il peut paraître paradoxal d’organiser un regroupement tout en sachant pertinemment qu’il n’est pas étanche ». Les contacts avec les autres détenus restent possibles bien qu’ils soient maintenus en cellules individuelles. La contrôleure des prisons a rencontré 61 des 64 détenus qui étaient en avril dans ces unités spécifiques. Plusieurs ne savaient manifestement pas pourquoi ils y avaient été transférés.

Du côté de l’administration pénitentiaire, on estime au contraire qu’avec la montée en puissance de ces cinq unités (qui comptent 117 places) les méthodes s’affinent. D’abord en matière d’évaluation de la radicalisation, menée à Fresnes et à Fleury-Mérogis par des équipes pluridisciplinaires (surveillants, psychologues, éducateurs). « On parvient désormais à déjouer les stratégies de dissimulation », assure un responsable de la pénitentiaire. Notamment parce que les entretiens croisés menés sur la durée permettent de « déceler les discours non authentiques ».

Grilles de détection

Conséquence, ces évaluations prévues pour durer huit semaines prennent en réalité quatre à cinq mois. Un peu plus de la moitié des détenus ainsi évalués ont été envoyés en unité de prise en charge. Souvent des jeunes qui ont voulu partir en Syrie ou qui y sont allés sans que l’on sache ce qu’ils y ont fait. Quelques-uns, considérés comme trop dangereux et endurcis, seront répartis dans des centres de détention pour être maintenus à l’isolement.

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Le dispositif actuel ne touche qu’un petit nombre. Imaginées au départ pour s’adresser également aux « droits communs » identifiés comme radicalisés ou en voie de l’être, les unités spécifiques ne se sont intéressées jusqu’ici qu’aux condamnés ou aux détenus mis en examen pour des affaires liées au terrorisme. Les autres publics devront être concernés par la déclinaison des programmes de prévention dans 27 établissements.

Des grilles de détection (qui prennent en compte la pratique religieuse, le prosélytisme, le comportement avec les autres détenus, etc.) testées depuis le printemps dans une trentaine de prisons par les personnels pénitentiaires (surveillants et conseillers d’insertion et de probation) vont être évaluées cet été pour être corrigées et diffusées à l’ensemble des établissements pénitentiaires d’ici à la fin de l’année.

Contrairement aux unités spécifiques, le principe sera de « favoriser la dispersion des personnes concernées dans les différents secteurs de l’établissement », indique un projet de circulaire interne de l’administration pénitentiaire. Ces détenus devront être surveillés et toutes les observations devront être consignées quotidiennement dans le logiciel Genesis afin notamment de ne pas perdre les informations en cas de transfert de prison. Surtout, ce projet de circulaire détaille les outils de prévention. Une palette de stages de citoyenneté, de conférences-débats sur la violence, la religion, la géopolitique est ainsi proposée. Des programmes plus structurés autour du désengagement de la violence pour des groupes de six à dix détenus seront organisés pour des périodes de trois mois. A la différence des unités spécifiques, ces programmes s’adressent à des détenus volontaires.

« La seule façon d’éviter qu’une personne entre ou s’enferme dans la radicalité est de la faire réfléchir », plaide M. Denoix de Saint Marc. La mobilisation contre la radicalisation amène la prison à tenter de faire ce qui aurait toujours dû être sa préoccupation, faire réfléchir les détenus pour mieux préparer leur sortie.

source :
http://www.lemonde.fr/police-justice/article/2016/07/06/prison-la-prise-en-charge-de-la-radicalisation-avance-a-tatons_4964605_1653578.html

Jean-Baptiste Jacquin
Journaliste