{ {{Sandrine Briclot, le jeudi 26 novembre 2009

La Mission interministérielle de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) dresse, aujourd’hui (jeudi) à Lyon, un état des lieux de la menace en France. L’occasion pour son président, Georges Fenech, de se féliciter de la création d’une nouvelle cellule policière spécialement affectée à ces dossiers complexes.}} }

Son acronyme est Caimades. Ce n’est pas le nom d’une nouvelle société secrète, mais le sigle de la Cellule d’assistance et d’intervention en matière de dérives sectaires. Un service tout juste créé au sein de la Direction centrale de la police judiciaire (DCPJ) et placé sous l’autorité de l’Office central pour la répression des violences aux personnes (OCRVP), qui s’est récemment illustré dans l’affaire dite « du gourou d’Oxford » : Thierry Tilly, un quadragénaire soupçonné d’avoir maintenu sous son emprise une famille de notables du Sud-Ouest pendant une dizaine d’années, a été interpellé fin octobre dernier en Suisse par les enquêteurs de la Caimades et placé en détention provisoire dans le cadre d’une procédure bordelaise.

Depuis le mois de septembre dernier, dans leurs trois bureaux feutrés de la DCPJ, à Nanterre (Hauts-de-Seine), six officiers de police judiciaire – quatre hommes et deux femmes –, tous volontaires, ont ainsi pour mission de prêter main-forte aux services saisis de dossiers visant des organisations à caractère sectaire. « Ils ont un double rôle, explique Frédéric Malon, patron de l’OCRVP. En termes d’abord d’assistance, ils doivent savoir identifier rapidement les professionnels – psychiatres ou psychologues – susceptibles de prendre en charge les victimes des sectes. Les mineurs, notamment, et les personnes qui viennent de sortir de l’emprise d’un mouvement. Des spécialistes capables d’apporter une plus-value à l’enquête. »
« Canevas d’audition »

Pas simple, en effet, pour un enquêteur d’auditionner un ex-adepte qui a passé plusieurs années sous l’emprise d’un gourou. « Il faut se montrer très patient et ne surtout pas négliger une approche psychologique, d’autant que la loi About-Picard (NDLR : adopté en juin 2001, le texte tend à renforcer la détection et la répression des mouvements sectaires) a prévu un certain nombre de critères pour déterminer si nous sommes, ou non, face à un cas d’emprise mentale », précise Frédéric Malon. Pour faire face à cette procédure « hyper-technique », les enquêteurs de la Caimades peaufinent actuellement des « canevas d’audition », une sorte de « check-list » à appliquer lors de l’interrogatoire d’un membre d’une association ou d’un chef spirituel. Le but : vérifier si tous les critères sont remplis avant d’estampiller un dossier. « Il faut être vigilant, et ne pas confondre sectes et dérives sectaires : il n’y a pas forcément commission d’un délit dans chaque secte », souligne le chef de l’OCRVP.

En termes d’intervention ensuite, les officiers de la Caimades sont habilités à effectuer des actes d’enquête classiques : perquisitions, interpellations, etc. « Ce sont de toute façon des policiers et des gendarmes rompus aux affaires criminelles », stipule Frédéric Malon.

Le travail de la Caimades, cependant, n’est pas simplifié par la procédure actuelle. La question de la prescription en matière d’emprise mentale, par exemple, n’est pas tranchée. Quant aux affaires, comme celle du « gourou d’Oxford », qui ont des ramifications internationales, elles se heurtent aux législations des pays concernés. Là encore, aux enquêteurs de trouver des parades.

France Soir
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{{“Il faut nous adapter à la flexibilité des mouvements sectaires”}}

FRANCE-SOIR. Vous parlez aujourd’hui en clôture du colloque de la Miviludes. Peut-on considérer qu’il s’agit d’un geste politique fort en direction des services judiciaires qui luttent contre les dérives sectaires ?
JEAN-MARIE BOCKEL, secrétaire d’Etat à la Justice. Plus qu’un geste politique, c’est une volonté humaniste de montrer que la situation difficile et douloureuse des victimes, mais aussi des familles de victimes, est connue et prise en compte par le ministère de la Justice. J’observe ainsi que chacune de ses directions dispose d’un référent pour les dérives sectaires. En outre, la Direction des affaires criminelles et des grâces a créé une mission de lutte contre les dérives de ce type dont l’une des attributions est de mettre en œuvre la formation à l’attention des magistrats et des fonctionnaires au niveau interministériel. Ces dernières semaines, plusieurs affaires nous ont montré que ces initiatives n’étaient pas inutiles et qu’il fallait que nous demeurions vigilants.

{{Au regard du nombre de plaintes, le phénomène sectaire est-il en progression ?}}

Plusieurs rapports récents nous indiquent que ce phénomène est effectivement en progression car, à côté des grandes organisations sectaires connues de tous, de nombreux mouvements de taille plus réduite, notamment dans le domaine de la santé et de la formation professionnelle, se sont développés ces dernières années. Pour ces derniers, qui fonctionnent le plus souvent en réseau et dans une réelle opacité, il est beaucoup plus difficile d’apporter les preuves d’éventuelles infractions qu’ils pourraient être amenés à commettre (abus de faiblesse, exercice illégal de la médecine, escroqueries, violences à caractère sexuel…). Il faut donc que nos méthodes de travail évoluent afin de nous adapter le plus efficacement possible à la flexibilité des mouvements sectaires.

{{L’arsenal juridique actuel est-il suffisant ou la Chancellerie envisage-t-elle de le renforcer prochainement ?}}

Selon moi, l’arsenal français est aujourd’hui particulièrement complet et opérationnel. Je note que la loi dite About-Picard qui sanctionne l’abus d’état de faiblesse est de plus en plus utilisée par les magistrats. La création du groupe spécialisé de l’Office central pour la répression des violences aux personnes (OCRVP) a incontestablement permis une meilleure connaissance du phénomène sectaire par les enquêteurs, et donc une meilleure répression judiciaire des infractions commises. Vous connaissez mon attachement à l’Europe et je suis persuadé que la lutte contre les dérives sectaires pourrait s’enrichir d’une réflexion plus aboutie au sein de l’Union européenne.

France Soir