Vingt et un décembre 2012. Pour un grand nombre de personnes, cette date correspond à une énième fin du monde annoncée. Le village de Bugarach, dans l’Aude, constituerait, selon les « prédictions », l’un des seuls lieux au monde préservés de cette funeste prophétie. Plusieurs mouvements sectaires apocalyptiques ont donc surfé sur la vague paranoïaque pour y acquérir bunkers ou autres galeries souterraines. Cette information pourrait prêter à sourire si la France n’avait été le théâtre de drames orchestrés par des gourous aux sombres desseins, comme ce fut le cas avec la tuerie suicide de l’Ordre du temple solaire en 1995, où seize adeptes avaient trouvé la mort dans une clairière du plateau du Vercors.
Pour faire face à ces dérives jusqu’au-boutistes, l’État s’est doté en 1998 d’un organisme interministériel, la MILS (Mission interministérielle de lutte contre les sectes), devenue MIVILUDES (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires) en 2002, et d’un texte de loi spécifique, la loi About-Picard, votée en 2001 (l’article 223-15-2 de la loi About-Picart stipule qu' »est puni de trois ans d’emprisonnement et de 2500000 F (375 000 euros, NDLR) d’amende l’abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de la situation de faiblesse (…) soit d’une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique (…) est apparente et connue de son auteur, soit d’une personne en état de sujétion psychologique ou physique résultant de l’exercice de pressions graves ou réitérées ou de techniques propres à altérer son jugement, pour conduire (…) cette personne à un acte ou à une abstention qui lui sont gravement préjudiciables »).
Du côté du ministère de l’Intérieur, un groupe d’enquêtes criminelles dépendant de l’OCRVP était chargé des dossiers sur les dérives sectaires tout en traitant en parallèle d’autres affaires de droit commun. En 2009, une cellule spécifique, la CAIMADES, était créée au sein de ce même office, devenant « le » service de police français spécialisé sur la question. Six officiers de police judiciaire, tous volontaires, ont pour mission de prêter assistance aux services saisis de dossiers visant des organisations à caractère sectaire et de favoriser l’application des dispositions de la loi de 2001 relatives à la sujétion ou à l’emprise mentale. Leur objectif n’est pas de lutter contre les mouvements sectaires proprement dits, « mais contre les dérives orchestrées par ces sectes, précise Frédéric Malon, commissaire divisionnaire et chef de l’OCRVP. Certaines sectes ne nous posent aucun problème en termes d’ordre public ou pénal, chacun ayant la liberté de penser ce qu’il veut. Mais, à partir du moment où l’on peut considérer qu’il y a des infractions pénales résultant de dérives sectaires, nous sommes fondés à intervenir ».
L’exemple de cette dame se rendant dans un commissariat normand pour porter plainte est tout à fait représentatif du travail de la cellule. La plaignante révèle à un OPJ lors de sa première audition qu’elle a été membre d’une secte et que le gourou a entretenu avec elle des relations sexuelles fréquentes durant plusieurs années. Elle pense avoir été manipulée mentalement et psychologiquement, et souhaite porter plainte pour viol. « Dès lors, notre objectif a été de démontrer qu’il y a effectivement eu manipulation mentale altérant le jugement. » Pour parvenir à prouver cette manipulation, le groupe fait appel à des ressorts psychologiques. Tout d’abord lors de l’audition des plaignants : « Dans ce genre d’affaire, les auditions sont à la fois déterminantes et laborieuses, explique Aurélie Martin, chef de la CAIMADES. Ce travail peut s’étaler sur plusieurs jours pour que la victime puisse nous livrer son parcours, le procédé utilisé par le leader pour la placer sous son emprise mentale, les techniques psychologiques utilisées, son quotidien dans le groupe, le temps passé en son sein… »
Pour prouver cette emprise mentale, des psychologues experts en la matière ont dressé une liste de critères spécifiques : rupture complète des liens familiaux, mise à disposition de ses biens au profit de la secte ou du gourou, problèmes judiciaires rencontrés de manière récurrente par la secte… Si cinq ou six critères sont réunis au cours de l’enquête, il est alors considéré que la manipulation mentale est avérée. « La spécificité des dérives sectaires est qu’il ne suffit pas de s’intéresser aux motivations et qu’il faut également s’attacher à la qualité des liens entre les individus, précise Florent Gatherias, psychologue et responsable de l’analyse comportementale psychocriminologique au sein de l’OCRVP. Les victimes sont a priori « consentantes » et défendent dans un premier temps le groupe auquel elles appartiennent. Le policier doit alors effectuer un travail plus en profondeur que d’habitude pour pouvoir monter des qualifications judiciaires. Pour que la personne se livre lors des auditions, elle ne doit pas se sentir attaquée dans ce qu’elle est ou dans ses croyances, aussi délirantes soient-elles. Dès lors, notre but est qu’elle se rende compte de l’emprise dont elle a été victime. À ce moment-là, l’emprise mentale peut s’effondrer d’elle-même et il peut y avoir un revirement assez important chez la personne entendue. » Selon les cas, plus ou moins complexes, l’un des psychologues de l’OCRVP peut accompagner les enquêteurs lors d’auditions pour livrer son regard et comprendre l’articulation des relations et des rapports entre protagonistes d’une affaire. Un canevas d’audition préparé avec l’aide d’un psychiatre expert a également été mis en place pour essayer de faire ressortir les différents points d’emprise mentale. D’un récit libre initial, la personne sera petit à petit orientée par l’enquêteur pour mettre l’accent sur les éléments constitutifs de l’infraction.
La CAIMADES s’appuie par ailleurs sur un réseau relationnel avec les autres acteurs impliqués dans le domaine : la sous-direction de l’information générale (SDIG), la gendarmerie (structure d’analyse des dérives sectaires à Rosny-sous-Bois), la MIVILUDES ou encore les associations de victimes spécialisées. « Ces partenaires nous alimentent en informations, en renseignements sur tel ou tel mouvement qui présenterait un danger ou qui aurait commis telle ou telle infraction, poursuit le chef de l’OCRVP. À partir de là, nous réalisons une première évaluation et, s’il y a lieu, nous démarrons une enquête, au préalable validée par un magistrat du parquet compétent. »
Une fois l’aval du magistrat obtenu, l’enquêteur se lance alors dans un travail de fond. « Notre première mission consiste à nous immerger psychologiquement dans les doctrines de chaque groupe concerné, continue Aurélie Martin. Ce travail s’effectue par des recherches sur Internet très approfondies, des rencontres avec des associations d’aide aux victimes pour tout d’abord comprendre le message véhiculé, évaluer ensuite les risques et les dangers pour les personnes et enfin déterminer les infractions pénales présentes ou sous-jacentes. »
Source : site de la MIVILUDES
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