Pourtant ce document n’apporte pas grande nouveauté si ce n’est qu’il
offre une forme plus précise, plus achevée et donc plus forte aux mises en garde précédentes contre les «{ déviances souvent présentes » dans des « {sessions de guérisons dites psycho-spirituelles} } » organisées «{ par des groupes de chrétiens}» ! Rappelons un texte d’avril 2005 destiné (seulement) aux évêques et aux supérieurs majeurs (provinciaux religieux) et la note doctrinale de la Conférence
des évêques n° 6 d’avril 2007. Cette dernière est d’ailleurs citée dans une lettre du conseil pontifical pour les laïcs à la communauté des Béatitudes… Car c’est bien elle qui est aussi visée. Peut-être
devrions-nous ajouter que c’est à cause d’elle que ces textes demeurent secrets…

{L’éveil de Haute-Loire} vient en effet de publier le 28 décembre un article de Julien Bonnefoy sur le docteur Dubois et ses pratiques soutenues par l’évêque du Puy, Mgr Brincard qui n’a pas voulu répondre aux questions du journaliste. Or le médecin est cité par le document épiscopal et sévèrement critiqué, autant pour son anthropologie que pour sa théologie (note 10). Mgr Brincard est donc en faute, non parce qu’il ne suit pas les orientationsde la Conférence des évêques (c’est une
question complexe de théologie surtout quand les évêques ne sont pas d’accord entre eux) mais parce qu’il n’a pas entendu la pertinence du groupe de travail de l’épiscopat qui met en garde contre les dérives manipulatrices des sessions Agapè.
Pour quelles raisons ? Idéologiques? Financières ?

Pourtant le groupe de travail établit un constat accablant : {« Nombre
de personnes ou de familles ont été victimes de ces « sessions de guérisons intérieures », ou de « prières de guérison », menées sans discernement et aboutissant parfois à des ruptures {entre conjoints ou entre parents et enfants. Certaines familles victimes ont pris conscience de ces dérives et ont demandé à des responsables ecclésiaux d’intervenir. Leurs dossiers sont consistants et factuels. Ils n’ont à ce jour trouvé aucune réponse satisfaisante. Ces familles ont alors
fait appel aux pouvoirs publics, à la Miviludes (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires), si bien que des enquêtes sont en cours.}{ Des articles, émissions de télévision et de radio seraient prévus pour les mois à venir. Ces familles sont en attente d’une position claire des autorités ecclésiales. Elles demandent que leurs proches, dont la mémoire est maintenant habitée par de faux souvenirs induits, puissent être écoutés par des personnes compétentes pour tenter de réparer les préjudices moraux et parfois financiers occasionnés par ces dérives}. » Alors que toutes les forces devraient être mobilisées pour que cessent ces pratiques de manipulations mentales exercées sous couvert d’un quasi mandat épiscopal (qui ne dit mot et a fortiori qui bénit consent !), « ces {accompagnateurs et animateurs} de session psycho-spirituelles » dont on se demande s’ils méritent la « {confiance que leur font tant de} {chrétiens} continuent leur travail de confusion etde rupture… et le groupe qui rappelle que les familles attendent une position claire des évêques verra son texte frappé de la stricte confidentialité.
Quel cauchemar pour nous qui suivons l’actualité de l’Eglise, mais combien plus pour ces parents que nous avons reçus à la rédaction et qui attendent le retour de leur enfant, séparé d’eux par le docteur Dubois et ses épigones ! « Plusieurs familles », note le document. Pourtant le texte de la Conférence affirme clairement : {« S’il arrivait qu’un évêque reste silencieux sur cette question, son silence ne
pourrait être interprété que commeune approbation. Ne risquerait-on
pas, alors, que les erreurs et les abus soient dévoilés seulement au cours de procès civils intentés par des victimes :manipulation mentale, manipulation psychologique, exercice illégal de soins psychothérapeutiques, abus financiers même ? »} Nous avons pu lire des lettres épiscopales qui signifient leur mutisme.

Les familles doivent-elles réécrire ? Auront-elles cette fois une réponse
autre que de feinte sympathie ? Puisque cette fois, ils ne pourront ni prétendre que tout va bien, sous-entendant que ce sont les plaignants qui sont malades, ni qu’ils ne savent pas, s’ils ont bien lu cet excellent document ! La Conférence des évêques a cependant choisi le silence
du secret et les sessions « {agapè} » déjà mises en cause officiellement, telle une hydre, renaissent sous d’autres formes.
Golias ne peut accepter cette situation que nous dénoncions déjà en 2007 avec un dossier dans {Golias Magazine n°114} et la publication des {Marchands d’âmes} de Pascal Michelina.
Mais au-delà de ces cas douloureux, le document de la Conférence des
évêques nous alerte tous sur le danger de la confusion entre le spirituel et le psychologique : il convient au contraire, rappelle un psychiatre et psychanalyste du groupe, de les distinguer pour les unir ! En effet, {« la vie spirituelle chrétienne est don en nous de la vie qui est en Dieu, don de l’Esprit Saint. Cette vie peut avoir et a des effets sur le corps et la réalité psycho-familiale de la personne qui l’accueille, notamment des effets de guérison psychique et biologique. En revanche, l’amélioration de la santé du corps et du bien-être psychologique n’induit pas une meilleure vie spirituelle, ni une conversion. »}

Autrement dit, une personne malade peut vivre la sainteté et une
personne saine peut éviter de vivre la conversion : {« La démarche d’offrir des réponses toutes faites à des questions ou blessures personnelles peut apporter un soulagement dans un premier temps car le sujet a l’illusion d’avoir trouvé la raison de ses maux. Mais non seulement elle n’ouvre pas la voie vers un travail personnel d’élaboration de ses propres conflits psychiques mais elle risque au contraire d’aboutir à une fermeture personnelle, voire à des ruptures relationnelles en rapport avec des boucs émissaires désignés. »} Car, soulignent les auteurs, {« Une démarche psycho-spirituelle fait vivre simultanément aux personnes deux mouvements orientés en sens opposés : – le mouvement de la vie spirituelle les tourne vers Dieu ; il est accueil de la Parole et de la miséricorde divine, offertes à tous gratuitement ; il oriente la personne vers Dieu. – le mouvement de la vie psychosociologique est oeuvre du sujet qui met lui-même en activité ses facultés. Il centre donc le sujet sur luimême.
Quand quelqu’un souffre et qu’on lui demande de se souvenir des
traumatismes qui pourraient être à l’origine de sa souffrance, il y a fort
à croire que son tourment deviendra l’objet principal de la session ; la
Parole risque de n’être plus écoutée que comme moyen de guérison et
non comme présence du Seigneur lui même.
La démarche glissera vers un travail à caractère psychologique. Estce
là l’objet d’un ministère d’Église ? »}
Sans oublier qu’une «{ interprétation unique et qui s’impose à partir de ce qui est imaginé et projeté tout au long d’une anamnèse »} transforme le récit en fiction « alors qu’elle est affirmée réalité historique » !
Avançons encore un peu… «{ Il est habituel aux accompagnateurs et animateurs de sessions psychospirituelles de s’efforcer d’aider
ceux qui viennent à eux en leur demandant de se remettre en mémoire
les blessures qu’ils auraient reçues depuis leur conception jusqu’au
moment présent – et de demander à l’Esprit Saint de les leur révéler s’ils
n’en ont pas le souvenir : ils pourront ainsi pardonner aux auteurs de ces blessures – auteurs parfois imaginés, mais toujours accusés – et seront de ce fait guéris. Deux réflexions invitent à prendre conscience de l’ambiguïté de cette démarche : – Les récits de guérison rapportés par les évangiles l’ignorent. Jésus lui-même n’a pas été guéri des blessures que lui ont faites les hommes. Ressuscité, il nous les présente
glorifiées : elles nous manifestent le Salut. – Affirmer que toute blessure
est due au traumatisme causé par un manque d’amour, et se centrer sur la recherche de la personne qui en serait responsable pour lui pardonner, n’est-ce pas mettre celui qui se situe comme blessé en attitude d’accusation d’autrui ? De plus, s’il est demandé à
l’Esprit Saint de révéler les auteurs des blessures, n’est-ce pas risquer de faire de l’Esprit Saint un esprit accusateur ? N’est-ce pas interpréter
faussement la mission de l’Esprit de Vérité ? Par ailleurs, insister sur la recherche de ceux ou celles qui auraient blessé la personne concernée, n’est-ce pas détourner son attention de ce qui, en fait, blesse principalement sa vie spirituelle, à savoir son péché ? »}

{ {Gageons que nombre d’évêques se réjouiront de la diffusion d’un tel texte qui ne se lit (comme tout texte) que parce que la marge existe : la marge, ce sont les victimes et nous aimerions que ne se reproduisent pas les erreurs commises pour la pédophilie…} }

Source : GOLIAS HEBDO N° 218 semaine du 5 au 11 janvier 2012