La décision de Facebook de retirer toutes les pages et tous les groupes associés à la mouvance de théories du complot de l’extrême droite QAnon compromettra la capacité des communautés virtuelles dangereuses à répandre leurs messages radicaux, mais cela ne les enrayera pas complètement.

L’annonce faite par Facebook le 6 octobre du retrait par l’entreprise de tous les « comptes représentant QAnon, même s’ils ne contiennent aucun contenu violent » suit une précédente décision du média social de déclasser le contenu de QAnon dans les résultats de recherche sur Facebook. Elle a été suivie par Instagram. Le 15 octobre, YouTube a dicté de nouvelles règles concernant la diffusion de vidéos conspirationnistes, mais le réseau n’a pas ordonné une interdiction complète.

Ce mois-ci marque le troisième anniversaire de la mouvance qui a commencé lorsqu’une personne connue sous le nom de Q a publié une série de théories du complot en ligne sur le forum 4chan. Q mettait les gens en garde contre un réseau d’élites mondiales de l’État profond satanique s’adonnant à la pédophilie et au trafic sexuel et affirmait que le président américain Donald Trump travaillait à un plan secret pour démanteler le réseau.

QAnon est désormais un phénomène mondial

Avant cette année, la majorité des gens n’avaient jamais entendu parler de QAnon. Mais au cours de 2020, la mouvance marginale a rallié de nombreux adeptes aux États-Unis et ailleurs dans le monde, y compris nombre de politiciens républicains qui ont fait ouvertement campagne en tant qu’adeptes de Q.

Cela fait plus de deux ans que mes recherches portent sur QAnon et je dois admettre que j’ai moi-même été choqué par l’évolution récente du mouvement.

Ce que la majorité des gens ne réalisent pas est que QAnon en juillet et en août était un mouvement différent de ce qu’est maintenant QAnon en octobre. Je n’ai jamais vu un mouvement évoluer ou se radicaliser aussi rapidement que QAnon. Et tout cela se passe à un moment où l’environnement sociopolitique mondial est bien différent de ce qu’il était cet été.

Tous ces facteurs ont pesé dans la balance lorsque Facebook a décidé d’agir contre les « mouvements sociaux militarisés et QAnon ».

Dans les semaines qui ont précédé le retrait des pages, j’ai remarqué une tendance de contenu plus violent sur Facebook, en particulier avec la circulation de mèmes et de vidéos faisant la promotion des « attaques à la voiture bélier » et du slogan « all lives splatter » (toutes les vies éclaboussent) et d’autres messages racistes envers les Noirs.

Pour expliquer le retrait de ces pages, Facebook note que bien qu’elle ait « retiré le contenu de QAnon qui célébrait et approuvait la violence, nous avons vu apparaître du contenu de QAnon sur d’autres sujets qui pouvaient réellement causer du tort, comme les affirmations récentes selon lesquelles certains groupes de personnes sont à l’origine des incendies de forêt sur la côte ouest (des États-Unis), ce qui a détourné l’attention des autorités locales occupées à lutter contre ces incendies et à protéger la population ».

Les actions précédentes ont été inefficaces

Avant de retirer complètement les pages, les tentatives précédentes de Facebook d’empêcher les groupes de la mouvance QAnon de s’organiser sur Facebook et Instagram n’ont pas été suffisantes pour empêcher son message trompeur de se répandre.

Les adeptes de Q se sont adaptés par l’entremise de formes plus subtiles de propagande, un phénomène que j’appelle QAnon pastel. Pour contourner les sanctions initiales de Facebook, les femmes qui croyaient aux conspirations de QAnon ont utilisé des images chaleureuses et colorées pour répandre les théories de QAnon au sein de communautés axées sur la santé et le bien-être et en infiltrant des campagnes légitimes menées par des organismes à but non lucratif pour lutter contre la traite des enfants.

La dernière initiative de Facebook permettra à QAnon pastel de continuer d’exister dans les communautés axées sur le style de vie, la santé et la mise en forme, un adoucissement des messages traditionnellement crus de QAnon, mais une façon efficace de répandre les théories du complot à de nouveaux auditoires.

Certaines pages de QAnon ont survécu au retrait

Facebook surveillera sans doute toute tentative de la communauté QAnon de contourner l’interdiction. Bien que l’initiative de Facebook ait réduit le nombre de comptes associés à QAnon, elle ne les a pas éliminés complètement et, d’un point de vue réaliste, la société n’y arrivera pas. Selon mes recherches :

  • Nombre de groupes publics de QAnon avant leur interdiction : 186 ; après leur interdiction : 18.
  • Nombre de pages publiques de QAnon avant leur interdiction : 253 ; après leur interdiction : 66.
  • Nombre de comptes Instagram avant leur interdiction : 269 ; après leur interdiction : 111.

L’initiative de Facebook causera des dommages permanents à la présence de QAnon sur la plate-forme à long terme. À court et à moyen terme, nous verrons que les pages et les groupes se reformeront en essayant de déjouer l’algorithme de Facebook pour voir s’ils peuvent éviter d’être repérés.

Cependant, avec une présence réduite sur Facebook pour amplifier les nouveaux groupes et les nouvelles pages et les changements à l’algorithme de recherche, leurs efforts ne seront pas aussi efficaces qu’auparavant.

Vers quoi les adeptes de QAnon se tourneront-ils si Facebook n’est plus la plate-forme la plus efficace pour répandre ses théories ? Déjà, la mouvance QAnon s’est fragmentée en communautés sur Telegram, Parler, MeWe et Gab. Ces médias sociaux de rechange ne sont pas aussi efficaces pour promouvoir du contenu ou des marchandises, ce qui aura des répercussions sur les arnaqueurs qui profitaient de QAnon et limitera les efforts de prosélytisme.

Mais l’interdiction a poussé ceux qui étaient déjà convaincus par QAnon à migrer sur des plates-formes où ils interagiront avec du contenu extrême qu’ils n’auraient peut-être pas trouvé sur Facebook. Cela aura pour effet de radicaliser certaines personnes encore plus qu’elles ne le sont déjà ou d’accélérer le processus pour d’autres déjà engagées dans cette voie.

Comme un mouvement religieux

Éventuellement, nous sommes susceptibles d’assister à la fragmentation de l’idéologie QAnon. Il sera important de commencer à considérer que la mouvance QAnon est plus qu’une théorie du complot et qu’elle se rapproche davantage d’un nouveau mouvement religieux. Il faudra aussi examiner les façons dont QAnon a été capable d’absorber et d’assimiler les autres idéologies ou de s’y adapter.

Bien que Facebook ait pris cette importante initiative, il y aura toujours beaucoup de travail à accomplir pour s’assurer que QAnon ne réapparaît pas sur la plate-forme.

YouTube a déclaré que ses nouvelles règles pour « gérer les théories de conspiration nuisibles » sont destinées à « freiner la haine et le harcèlement en supprimant plus de contenu de la théorie de conspiration utilisée pour justifier la violence du monde réel ».

Dans la vague initiale de démantèlement, YouTube a fermé les canaux de certains influenceurs et prosélytes des QAnon, en particulier l’influenceur canadien Amazing Polly, et l’influenceur québécois Alexis Cossette-Trudel. Même si cela va couper l’accès à certains grands influenceurs, il y a du contenu QAnon sur YouTube qui ne respecte pas les nouvelles règles de la plate-forme.

Ces nouvelles règles ne mettront pas fin au rôle que YouTube joue dans la radicalisation des individus en faveur des QAnon, ni ne freineront ceux qui se radicaliseront vers la violence.

La vidéo est le véhicule le plus utilisé pour diffuser le contenu de QAnon dans tous les écosystèmes numériques. Tant que la mouvance QAnon sera hébergée sur YouTube, nous continuerons à voir son contenu sur toutes les plates-formes sociales – il n’y a pas grand-chose que Facebook puisse faire seule pour l’en empêcher. Pour lutter contre QAnon, il faudra en fin de compte un effort concerté multiplateforme.

La technologie et les plates-formes fournissent un vecteur aux mouvances extrémistes comme QAnon. Cependant, à la base, il s’agit d’un problème humain. L’environnement sociopolitique mondial est un terreau fertile et favorable à la pérennité et à la croissance de QAnon.

L’initiative de Facebook est un pas dans la bonne direction, mais la partie n’est pas terminée. Il y a encore du travail à accomplir pour les personnes qui œuvrent dans cet espace.

This article was originally published in English

source

https://theconversation.com/qanon-est-banni-de-facebook-mais-la-bataille-contre-les-theories-du-complot-nest-pas-gagnee-148211