Il y a trois décennies se propagea un mouvement à visée spiritualiste nommé « new age » dont les ingrédients ont été élaborés surtout en Californie. Dans un livre devenu culte, Marylin Fergusson avait prophétisé un nouvel âge du Verseau avec des aspirations et des connaissances fondamentalement distinctes de celles soutenant le matérialisme et le consumérisme. Le nombre considérable de courants et pratiques se réclamant du new age ne facilite pas la compréhension de ce mouvement qui s’inscrit comme une spiritualité ou une nouvelle religiosité bâtie le plus souvent avec un syncrétisme absorbant diverses traditions issues de la sagesse antique et/ou orientale. D’où réaction des spécialistes orientaux face à un new age auquel ils reprochent d’utiliser leurs doctrines et pratiques sans vraiment les comprendre et donc en les déformant. Du côté du Vatican, Jean-Paul II n’appréciait guère ce mouvement spiritualiste, lui reprochant de méconnaître les vérités de la Révélation chrétienne.

Qu’est devenu le new age en ce début de siècle que Malraux avait prophétisé comme spirituel sans préciser à quelle spiritualité il pensait ? C’était dans les années 1960. Une période cruciale pour l’Occident. Deux auteurs pour saisir la compréhension de la nouveauté de cette époque. Brzezinski et sa thèse de l’âge technétronique avec la propagation d’un nouveau mode d’existence depuis les Etats-Unis. Le sociologue Nisbet avait quant à lui projeté un âge nouveau, gouverné par la rationalité et les productions industrielles avec l’abandon des croyances et pratiques religieuses. Chez nous, la revue Planète offrait un regard anti-moderne en évoquant les anciennes traditions, l’ésotérisme et quelques nouveautés scientifiques. Ruyer forgea la thèse d’une nouvelle gnose issue de la physique moderne et propagée depuis Princeton par quelques savants, surtout des physiciens. Pour Ellul, l’abandon du religieux n’était pas du tout à l’ordre du jour en 1970. Le penseur de la technique avait décelé dans la société la présence d’aspirations religieuses prenant un virage mais pas forcément en respectant les canons de la tradition. A contre-courant des interprétations dominantes, il interpréta la déchristianisation non pas comme un déclin du religieux mais l’avènement d’une nouvelle religiosité développée dans des sociétés dont les aspirations ne peuvent être satisfaites par le matérialisme et la rationalité étriquée. La nouvelle religiosité s’inscrivant alors moins dans la Nature et la Révélation qu’en relation avec ce nouveau milieu proposé à l’homme qu’est le technocosme.

Les années 1990 ont vu le new age prendre un essor médiatique conséquent, suscitant intérêt auprès de populations occidentales devenues perplexes après la chute du mur et en quête de sens. La question du sens, c’était le marronnier de l’époque, un thème qui n’a pas perduré, contrairement au plus couru les marronniers, la franc-maçonnerie. Le new age de 1990 est à la fois un ensemble de spiritualité, une foire ouverte au charlatanisme, un bon produit éditorial et un excellent business, avec des formes commerciales sans oublier la tendance nouvelle que fut le channeling. Notre bon vieux Pascal y aurait vu le signe du divertissement plutôt qu’une authentique quête spirituelle. Au final, Ellul avait vu juste mais cette démultiplication de la religiosité nous fait perdre de vue ce qu’est la religion au sens authentique du terme. A ces nouvelles orientations religieuses devenues presque concurrentielles s’ajoutent les pratiques traditionnelles, en déclin dans les pays occidentaux mais très présentes pour ne pas dire renforcées dans les pays d’Islam. Avec les formes intégristes qui n’ont plus rien du religieux mais tout du politique. En Asie, les traditions se perpétuent, sans qu’on ne puisse prédire leur avenir en cette ère de marchandisation et de consumérisme.

Après 2000, Internet est devenu un outil de diffusion sans limites si bien que les mouvances du new age se sont propagées en se diversifiant avec tendances virant au charlatanisme ou aux facéties ésotériques vites popularisées dans la littérature de science fiction et les contes magiques. Le succès de Harry Potter participe à cette génération de l’individu tout puissant. D’ailleurs, les sociétés occidentales ont façonné la figure de l’individu au point d’en faire un trait essentiel et même une éthique pour génération d’enfants gâtés. Le milieu technique isole autant qu’il met en communication. Il ensorcelle en offrant le sentiment que tout est accessible, disponible, réalisable. L’homme connecté est souvent un « homme seul ».

Le devenir du new age se diffracte dans la diversité des valeurs, aspirations et modes de vie. Au final, le transhumanisme et l’idéologie de la singularité se placent dans le sillage du new age, avec une aspiration transcendante, celle du dépassement de l’humain par l’hybride homme machine. Le transhumanisme est construit la manière du paganisme. Il représente en fait le paganisme contemporain, fondé non plus celui sur la Nature, ses entités, ses elfes, ses divinités, mais sur les pouvoirs quasi magiques des machines. Le reste du new age se situe entre des pratiques spirituelles et corporelles plus ou moins sérieuses, parfois associés à un bizness de l’âme, alors qu’une quête authentique de spiritualité, de sens, d’ouverture, de nouvelle gnose, se dessine également chez quelques individus résolument décidés de larguer les amarres avec les limites de la matérialité et du rationnel étriqué. La science moderne n’accèdera jamais à l’énigme de la vie et aux mystères de l’univers, pas plus qu’elle ne comblera le manque spirituel et le désir de croître en connaissance, en conscience et en expériences diverses dépassant les règles du jeu matériel et prosaïque.

Une nouvelle gnose arrive, construite à partir de la physique contemporaine et des sciences du vivant. Un sens nouveau se dessine. Le meilleur du new age nous attend si nous le décidons et l’accompagnons. La Modernité ne peut plus continuer sur sa route.

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