L’équipe de Johanna Rolland a versé plus de 20 000 euros pour des séminaires avec un thérapeute promouvant la méditation d’Osho ou un “Jeu du roi et de la reine”.

La mairie de Nantes s’est-elle offerte des séminaires ésotériques pour plus de 20 000 euros? Dans sa dernière édition, le journal satirique local La lettre à Lulu se penche sur les liens entre l’équipe de la maire Johanna Rolland et le thérapeute Jean-Philippe Magnen. Ancien élu écologiste à Nantes et porte-parole d’EELV, ce dernier avait quitté la politique en 2014 pour s’orienter vers le développement personnel. Gestalt-thérapeute, Jean-Philippe Magnen enseigne aussi la méditation dynamique selon Osho ou invite ses clients à “rencontrer son enfant intérieur”.

En septembre 2018, il organise un “séminaire de rentrée” pour les 17 membres du cabinet de Johanna Rolland. Facturé 750 euros, celui-ci prend la forme d’un singulier “Jeu du Roi et de la Reine”. Conçu et déposé par le thérapeute tantrique Dominique Vincent, ce jeu de rôle new age est censé permettre de “mieux explorer la personne que vous êtes dans toutes ses dimensions physique, psychologique, sensorielle”, tout en faisant grandir votre capacité à être un “leader”. Ce “psychodrame” classe les participants en six archétypes : “le roi ou reine”, “le compagnon-bâtisseur”, “le sage”, “le guerrier”, “l’artiste” et “l’inconnu”. Dominique Vincent ne fait pas mystère du fatras ésotérique sur lequel repose cette expérience, entre trantra-yoga, ying et yang, “pensée jungienne” et même “physique quantique”(sic). “Telle personne en abordant le chakra du coeur a rencontré et ressenti les émotions de ses ancêtres gazés à Auschwitz, ce qui a contribué à la guérison de son cancer des poumons” va jusqu’à affirmer sur son site celui qui a formé et certifié Jean-Philippe Magnen à ce jeu… Du côté de la Ville de Nantes, on réduit aujourd’hui cette séance à un simple “team-building” qui devait “contribuer à souder l’équipe”. Sur le site de Jean-Philippe Magnen, la directrice de cabinet Marianne Thiéry-Sène n’hésite pas à faire la promotion de ce “temps collectif inédit”.

Thérapie de couple pour les socialistes et écologistes

Mais la contribution du thérapeute ne s’est pas arrêtée-là. Comme l’avait révélé Mediacités Jean-Philippe Magnen a, en septembre et novembre derniers, organisé deux séminaires pour les 56 élus de la majorité municipale. Objectif : après un premier mandat de Johanna Rolland marqué par les fortes dissensions entre socialistes et écologistes, notamment au sujet de l’épineux dossier de Notre-Dame-des-Landes, il s’agissait d’évacuer les tensions passées et faire collaborer tout le monde. La mairie de Nantes nous indique que le premier stage avait pour mission : “mieux se connaître, capitalisation sur le mandat précédent et nouvelles propositions pour le mandat qui s’ouvre, temps de cohésion d’équipe”. Il a été facturé 11 520€ TTC. Le deuxième, en visio-conférence, avait pour objectif un “partage des feuilles de route 2020-2021 des élus et construction de la feuille de route collective de l’équipe pour la 1ère année de mandat”. Coût pour la collectivité : 8 119€ TTC.

“Johanna Roland nous avait demandé de travailler sur l’élaboration d’une feuille de route politique à partir des feuilles de route individuelles pour la majorité municipale. C’est cher en euros, mais en nombre de jours travaillés, ça a été beaucoup”, nous assure Jean-Philippe Magnen, qui se défend de tout renvoi d’ascenseur suite à l’alliance entre socialistes et écologistes à laquelle il a contribué. “Avant le second tour, j’ai aidé à la rencontre ente les deux candidates (Johanna Rolland et Julie Laernoes NDRL) pour qu’elles puissent se parler, ce que j’ai fait bénévolement. Ensuite, j’ai fait une prestation professionnelle à l’automne. J’ai été recruté, je pense, sur mes compétences”. Du côté de la Ville, on précise que “ces montants se situent dans la moyenne de ce qui se fait à Paris et en régions pour des consultants seniors, comprenant tout à la fois la préparation avec plusieurs réunions en amont, l’animation (2 personnes) de deux groupes d’une trentaine de personnes, le design atelier, la formalisation des synthèses et pour le format en visio, une autre consultante spécialisée en digital avec l’adaptation du programme de présentiel en distanciel qui a nécessité la révision du séquencement. Sur le fond, ces séminaires ont notamment compris la préparation de tous les tests en ligne, les compte-rendus de tous les résultats et une aide à la synthèse de l’ensemble des feuilles de route des adjoints”. Le premier adjoint Bassem Asseh certifie à l’Express que “ces séminaires n’avaient rien à voir avec le développement personnel. Le premier était explicitement une façon de se connaître les uns et les autres dans un contexte de crise sanitaire, car un élu sur deux était nouveau, et on ne s’était pas tous vus durant la campagne. Le deuxième a lui permis d’établir les priorités en matière de politiques publiques pour la première année”.

En revanche, pour Nicolas de La Casinière, directeur de la Lettre à Lulu, il s’agit de “la négation de la politique si on rapporte tout à l’individu en se disant que la clé de conflits internes – comme cela arrive dans tout groupe social – est le moi intérieur inconscient, avec besoin d’un thérapeute pour le décrypter, plutôt que la défense des idées et des points de vue. Il y a là une dérive avec des méthodes de management inspirées du new age que l’on trouve dans le monde de l’entreprise, mais qui sous couvert de modernité se répandent aussi dans les collectivités, à l’image de la méditation transcendantale ou de la programmation neuro-linguistique”.

Le sulfureux gourou Osho

Comme le souligne La lettre à Lulu, Jean-Phillippe Magnen enseigne également la méditation active selon Osho. Il y a été formé par Dominique Vincent, qui a lui-même été initié par Osho en se rendant dans son ashram en Inde. “Se référer à Osho, c’est quand même assez audacieux” ironise Nicolas de La Casinière. Egalement connu sous le nom de Bhagwan Shree Rakneesh, Osho (1931-1990) a été le plus controversé des gourous vedettes de la révolution sexuelle et de la quête mystique de la jeunesse occidentale durant les années 1960-1980. Collectionneur de Rolls Royce et de Rolex, ce barbu, surnommé “le gourou du sexe”, prônait l’amour libre, mais n’était nullement désintéressé par les biens matériels, avec une fortune estimée à sa mort à un milliard de dollars. En 1984, ses disciples (baptisés “les sannyasins”) commirent dans l’Oregon une attaque bioterroriste, en empoisonnant 750 personnes à la salmonelle. Un épisode rocambolesque que raconte le génial documentaire Wild Wild Country, disponible sur Netflix. En France, le Centre Osho a été cité dans le rapport parlementaire 1995 sur les sectes.

A la mairie de Nantes, on n’est visiblement pas abonné à Netflix, car la responsable de la communication nous dit tout ignorer d’Osho. Auprès de l’Express, Jean-Philippe Magnen nuance lui cette lourde référence. “Je pratique et j’utilise ponctuellement dans mes pratiques de psychothérapeutes des méditations dite actives qu’Osho a inventées. Je n’ai jamais été en Inde de ma vie, je n’ai jamais rencontré Osho. J’ai bien conscience de qui il est, mais il n’est nullement une référence sur le plan idéologique. Je mentionne son nom, parce que c’est lui qui a inventé ces techniques”.

“Pas de démocratie participative sans développement personnel, thérapie et méditation…”

Jean-Philippe Magnen minimise aussi aujourd’hui ses liens avec son mentor Dominique Vincent, et se définit avant tout comme un Gestalt-thérapeute : “J’ai trouvé de l’intérêt à ses formations, pour ce Jeu du Roi et de la Reine comme pour la méditation active. J’ai encore des rapports avec lui par rapport au jeu. On se réunit une fois par an pour faire le point sur cette pratique. Mais pour le reste, je n’ai pas d’intérêts communs ou de liens de proximité forts”. En 2017, Dominique Vincent était pourtant l’un des invités vedettes à Saint-Herblain (en périphérie de Nantes) pour le cycle de conférence “Nouveaux pouvoirs Nouveaux leaders” organisé par Jean-Philippe Magnen et son association Psypol. Un événement, dans lequel on pouvait aussi écouter le chaman Arnaud Riou ou le spécialiste de méditation transcendantale Peter Wrycza, et qui a bénéficié d’une subvention de 4500€ de la part de Nantes métropole, comme de la présence de Johanna Rolland. Faisant le bilan de ces rencontres sur son site, Dominique Vincent plaidait à l’époque pour qu’on associe le développement personnel, la méditation et les thérapies à la politique: “Intégrer psychologie et politique, développement personnel et thérapie à la formation au leadership. Pas de démocratie participative, pas de nouvelles gouvernances sans développement personnel, sans thérapie et sans ouverture spirituelle, méditation et autres… Il nous faut visiter notre puissance entre sentiments de toute-puissance et d’impuissance. Pour cela, il nous faut revisiter les blessures de notre histoire, les traumas personnels comme ceux de notre milieu, de l’histoire de notre pays, les génocides, les guerres où nous et notre famille avons été impliqués. Si nous avons été méprisés et maltraités dans notre enfance, nous avons à comprendre, à intégrer, à transformer la peur, le figement, l’insensibilité et la compulsion à répéter la violence reçue. Importance des thérapies individuelles mais aussi des thérapies de groupe. Place à la méditation, la communication non violente, et l’intelligence collective”. Sur son site, Jean-Philippe Magnen qualifiait Dominique Vincent de véritable “‘inspirateur” de ces conférences. Une nouvelle édition doit avoir lieu en septembre. Son intitulé : “Se gouverner soi-même pour mieux gouverner le monde”.

Se disant “abasourdi” par ces accusations en ésotérisme, Jean-Philippe Magnen assure à l’Express qu’il n’y a pas de séance supplémentaire prévue avec l’équipe municipale à Nantes : “On s’arrête là. Il n’y aura plus d’autre collaboration. C’était acté dès le départ, on était sur du lancement de mandat”.

source : https://www.lexpress.fr/actualite/politique/quand-la-mairie-de-nantes-s-offre-des-seances-de-developpement-personnel-esoteriques_2149141.html

Par Thomas Mahler
publié le , mis à jour le